Alléluia

C’est beau l’amour…

Nicolas Winter
Juste un mot
Published in
5 min readJan 27, 2018

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Critique de Calvaire de Fabrice Du Welz
Critique de Vynian de Fabrice Du Welz
Interview de Fabrice Du Welz

L’amour. Quel doux sentiment ! Une seule rencontre suffit bien souvent à changer le cours d’une vie. Parfois, il faut du temps pour trouver son âme sœur, beaucoup de temps. C’est le cas de Gloria, une femme d’âge mur divorcé et qui gère seule la vie de sa petite fille. Sous l’impulsion d’une amie, elle s’inscrit sur un site de rencontre par internet. A l’autre bout se trouve Michel, un homme mystérieux mais fascinant qui exerce immédiatement un attrait irrationnel sur Gloria dès leur premier rendez-vous. Seulement Michel, au-delà de son charme atypique, n’est pas véritablement un homme modèle, loin de de là. Malgré ses défauts, Gloria décide de suivre Michel et tombe dans une spirale faite de jalousie, de perversion et de violence.

Alléluia constitue le quatrième film du fantasque belge Fabrice du Welz. Après Calvaire ou Vinyan, deux films radicaux bien loin des clichés habituels du cinéma francophone, le réalisateur s’était un peu égaré avec Colt 45. Heureusement, il revient à ses premières amours avec le film d’horreur et ce Alléluia totalement inattendu. Malheureusement, comme près de 80% des tentatives de genre francophone, le long-métrage n’a eu l’honneur que d’une sortie très limitée (il n’a bénéficié que d’une projection unique au nord de Paris). Un état de fait d’autant plus odieux lorsque l’on regarde la qualité des métrages français récemment sortis au cinéma. Alléluia bénéficie pourtant d’un soin et d’une qualité incontestables. Du Welz s’inspire d’un fait divers sordide qui a eu lieu aux Etats-unis et qui avait déjà été adapté par Arturo Ripstein dans Profundo Carmesi. Malgré une présentation à la Quinzaine des Réalisateurs de Cannes, le long-métrage n’a eu quasiment aucune vision en France, une injustice que l’on espère rattraper dans le futur avec sa sortie DVD. En attendant, faisons la connaissance de Michel et Gloria.

Franchement, difficile d’être préparé à ce qui nous attend dans Alléluia. Segmenté en plusieurs parties distinctes, le long-métrage commence d’abord par une rencontre tout ce qu’il y a de plus banal entre deux personnes d’âge mûr. Immédiatement pourtant, on sent que les deux tourtereaux partagent une même déviance. Impossible cependant de mettre le doigt dessus. D’un côté, on a Michel, un escroc du cœur, qui séduit les femmes pour mieux leur soutirer de l’argent, de l’autre, Gloria, une mère célibataire en perte de repères prête à vendre son âme au diable. On découvre rapidement que les deux ont un problème, un gros. Du genre de ceux que l’on qualifierait facilement de folie meurtrière. Du Welz fait glisser dès la fin de la première partie son film dans une ambiance malsaine et dérangeante qu’il ne quittera plus avant la toute fin de l’histoire. S’il arrive si bien à le faire, c’est grâce notamment à son couple d’acteurs, Laurent Lucas (déjà vu dans Calvaire), exceptionnelle gueule de cinéma à la voix envoûtante et au charisme animal, et Lola Duenas, un petit bout de femme qui se révèle monstrueusement talentueuse en s’enfonçant graduellement dans la folie. Mieux, l’alchimie entre les deux psychopathes fonctionne tellement bien qu’on ne doute jamais de l’authenticité de leur relation, transcendant le postulat du couple freak pour taper autre part… dans le registre de l’horreur taboue, entre inceste, obsession et déviances sexuelles.

Au-delà de son récit très mais alors très glauque, Du Welz livre une prestation impressionnante. Il se sert de sa caméra de façon tout à fait impériale et capture avec un talent invraisemblable la lente montée en puissance du couple sanguinaire. Le belge ose tout, ou presque, il va jusqu’à mettre en scène une improbable scène de chant où Gloria déclame son amour à Michel dans une cuisine, une scie à métaux à la main, prête à découper un cadavre étalé sur la table de la cuisine. Fabrice du Welz est fou, comme ses personnages, mais filme avec un génie consommé une maniaquerie salutaire dans ses différents tableaux, pour accoucher d’une fresque terrible où le sexe devient une arme de domination. Patiemment, il dissèque les profondeurs de la folie, n’hésitant à heurter aucune sensibilité. D’un dialogue entre Michel et Gloria sur comment Michel est devenu si doué sexuellement aux nombreux plans pour extorquer de l’argent à leurs victimes, en jouant sur une relation frère-sœur fantasmée, Du Welz en profite pour parsemer son film d’éclats de violence impressionnants avec des armes pour le moins improbables. La chose la plus notable dans les protagonistes que l’on croise dans Alléluia, c’est leur banalité. Michel, Gloria, Marguerite et tous les autres sont des individus du commun, versant volontiers dans la médiocrité et la laideur. Gloria est très loin de constituer un canon de beauté et ne parlons pas des différentes “conquêtes” de Michel. Seule exception, Solange, interprétée par Héléna Noguerra, dont la beauté tranche dans ce tableau ordinaire.

C’est d’ailleurs cette fausse note dans la course vers l’enfer du banal qui brise finalement la destinée de sang et de sexe des amoureux. Étrangement, Du Welz fait coïncider la fin de l’horreur avec la destruction du beau. Après avoir profondément fouillé dans la tête de deux malades, le belge les stoppe en pleine “gloire” dans une conclusion qui apparaît dès lors comme tout à fait inévitable mais qui surprend encore dans la façon dont le cinéaste a de la filmer, renvoyant à sa métaphore des anges dépravés tombés en enfer au gré de leurs pérégrinations terrestres. S’il ne dit pas ouvertement les choses en fin de métrage, le générique fera comprendre au spectateur attentif que la veuve noire a surpassé le prédateur sexuel. C’est finalement la personne qui semblait au départ la plus inoffensive et commune qui renfermait la plus grande part d’ombre et de folie, comme si celle-ci se terrait en chacun, n’attendant qu’un catalyseur pour sortir au grand jour. En pervertissant sans relâche la relation amoureuse, en la saupoudrant de sous-entendus incestueux, en tournant l’institution du mariage en dérision et en utilisant le fétichisme sexuel comme un acte de soumission, Du Welz explose les carcans d’un genre qu’on croyait codifié. Le film de couple dysfonctionnel n’a jamais été aussi efficace et fascinant.

Plongée en apnée dans la folie, le long-métrage de Du Welz ose tout. Mais plus qu’une escalade de déviances et de violence, le film recèle une audace et une force picturale incontestables. En y additionnant le talent extraordinaire de ses deux acteurs principaux ainsi que leur alchimie presque surnaturelle, le récit franchit allègrement le plafond de verre du banal film d’horreur.
Alléluia est un long-métrage que vous n’oublierez pas de sitôt.

Note : 9/10

Meilleur scène : le chant dans la cuisine — le générique final — la confrontation sous la pluie

Meilleure réplique : “Si tu peux la baiser, tu peux la tuer !”

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