Ant-Man

Héros taille XS

Nicolas Winter
Juste un mot
Published in
5 min readApr 30, 2018

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La grande aventure du Marvel Cinematic Universe a fait rêver bien des fans de comics. Seulement, depuis quelques temps, le grand chef d’orchestre derrière toutes ces sorties, le fameux Kevin Feige, semble faire des choix de plus en plus douteux. En voulant lisser les intrigues et trouver un modèle décalquable pour chaque volet, l’américain perd le gros avantage de la mosaïque de réalisateurs à la personnalité forte que pouvait devenir l’univers. Nous sommes en effet passer d’une époque où Jon Favreau, Kenneth Branagh, Joe Johnston et autres Shane Black faisait le bonheur du studio à un âge où ils ont été remplacé par de parfaits yes-man tels que Alan Taylor ou plus récemment Peyton Reed. Pire, des gens comme Joss Whedon, pratiquant un cinéma à priori à mi-chemin entre le grand-public et le personnel, ont cédé à cette simplification délétère comme le prouve le décevant Avengers 2. Dès lors, le sort d’Ant-Man, le film concluant la phase 2 du Marvel Universe, semble édifiant.

Pour comprendre la semi-déception que constitue le film, il faut revenir aux origines. En 2006, bien avant que l’on parle d’Avengers et d’univers partagé, Ant-Man est annoncé avec au poste de réalisateur le surdoué anglais Edgar Wright, père de la fabuleuse trilogie Cornetto. Seulement voilà, les choses vont se compliquer. Arlésienne de l’univers, Ant-Man devra d’abord s’adapter aux exigences de la dimension partagée du Marvel Cinematic Universe et sera partiellement retravaillé par Wright et Joe Cornish (Attack the Block). Puis, coup de tonnerre, Edgar Wright quitte le poste de réalisateur suite à des différents avec la production — et le boulet Kevin Feige donc — laissant la main à un yes-man du nom de Peyton Reed, réalisateur de l’anecdotique La Rupture. Pour bien finir les choses, le scénario est repris en main par quatre hommes (!!) dont Paul Rudd lui-même, l’interprète d’Ant-Man. A partir de là, le long-métrage sort en salles tant bien que mal pour présenter un résultat bâtard et finalement, extrêmement frustrant.

En fait, Ant-Man n’est pas un mauvais film, ni même un film moyen. Il apparaît sympathique à bien des niveaux, à commencer par le choix de son acteur principal, Paul Rudd, dont la capital sympathie de mec lambda contribue largement à la réussite du personnage de Scott Lang. Le souci réel, c’est que dès le départ ou presque, le long-métrage est traversé par la marque de fabrique de Wright mais toujours de façon tronquée ou trop courte. Sur le plan de la réalisation, on retrouve une aventure mêlant la platitude d’un Peyton Reed aux géniales idées de l’anglais. La première est celle de la forme du film. Ant-Man se révèle très différent des autres Marvels à ce point de vue puisque le métrage adopte la trame d’un récit de braquage. Une idée excellente puisqu’elle permet d’exploiter à merveille les dons de l’homme-fourmi, à savoir ses changements de taille. Problème, on retrouve par-dessus une intrigue bateau avec un méchant totalement dénué de charisme, Darren Cross, dont les motivations restent totalement opaques. Le personnage est plat, caricatural, et l’acteur qui l’incarne, Corey Stoll, s’avère bien peu inspiré, pour ne pas dire plus.

C’est en réalité la parfaite démonstration de la frustration que connaît le spectateur devant Ant-Man. Le long-métrage fusionne deux films en un. Le premier semble tout droit sorti de l’imagination d’un geek aux multiples idées de mise en scène (voir le fabuleux passage de la valise, absolument génial, ou la combat dans la chambre pour enfants, délice d’humour british à la Wright), le second tente de venir lisser les choses et de façonner le film de telle façon qu’il convienne mieux aux exigences des Marvel récents. On retrouve alors tous les défauts récurrents d’un Thor 2 avec une intrigue balisée et manichéenne, des séquences d’émotions forcées qui tombent à l’eau, et un super-héros qui y perd des plumes. Cependant, il reste encore d’excellentes choses dans cet Ant-Man. Toutes les idées de Wright donne aux films des atouts inespérés. Certains dialogues que n’auraient pas renié un Shaun of The Dead (les récits de Luis, les gags avec les fourmis…), des scènes d’actions vraiment inspirées et ludiques (la valise, la chambre d’enfant, la baignoire, et puis le combat contre un des Avengers, excellemment placé), et les personnages de Hank Pym et Scott Lang qui marchent à merveille. Notons que la participation de Michael Douglas n’a rien d’un coup de pub et que celui-ci livre une interprétation parfaite dans la peau de l’irascible Hank Pym.

On n’arrive pas définitivement à détester cet Ant-Man. Malgré la volonté de lissage grand-public et ce ratage magistral autour du bad guy, le long-métrage cache au fond toute la folie et l’amour que lui a porté son créateur durant des années. A chaque défaut, comme le miscast Evangeline Lilly, on peut opposer une qualité, telle la joyeuse compagnie de gangsters de pacotille emmenée par Luis. Ce qu’il manque réellement à Ant-Man, c’est une cohérence. Il manque cette audace que voulait apporter Wright dans l’univers Marvel ainsi qu’une personnalité entière qui aurait démarqué le film du tout-venant actuel. En l’état, on assiste à un spectacle sympathique parsemé de moments de bravoure, agrémenté d’une séquence Avengers bien trouvée et emmené par un duo de héros attachants. Feige doit comprendre que persévérer à virer des gens créatifs de l’univers au profit de réalisateurs sans âme conduira à la destruction pure et simple du Marvel Cinematic Universe. Une chose d’autant plus inquiétante que la contre-attaque DC s’organise et que des films comme Batman vs Superman ou Suicide Squad ont de forte chances de changer radicalement la donne.

Film d’aventures agréable mais frustrant, Ant-Man incarne à lui seul toutes les forces et faiblesses du Marvel Cinematic Universe à ce stade. Rejeton bâtard tiraillé entre la paternité Wrightienne et l’adoption forcée de Reed, le long-métrage compte presque autant de défauts que de qualités pour un résultat manquant cruellement de panache et d’âme. Ne reste plus qu’à croiser les doigts pour le futur…

Note : 6.5/10

Meilleures scènes : La bataille dans la chambre d’enfant — La valise

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