Black Mirror, Saison 2

Dérives technologiques

Nicolas Winter
Juste un mot
Published in
8 min readJan 7, 2018

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Emmy Awards 2012 Meilleur Mini-Série TV

Après une première saison tout à fait formidable, la série Black Mirror renouvelle l’expérience de l’anthologie de SF sociétale dans une seconde saison (et un épisode spécial Noël). Cette fois, le génial Charlie Brooker signe l’ensemble des scénarios des quatre nouvelles histoires. Inutile de dire qu’avec la qualité et le potentiel de ce qui a été fait précédemment par le bonhomme, les attentes étaient très hautes. Il était même quasiment inespéré qu’il fasse ne serait-ce qu’aussi bien que pour la première saison. C’est mal connaître Brooker qui nous livre une fournée encore plus acide et plus intelligente. Près pour un nouveau tour d’horizon d’un futur à vous glacer le sang ?

Be Right Back

Pour le premier épisode de cette saison, on retrouve un couple de jeunes mariés dont la vie n’a rien d’extraordinaire. Ash et Martha emménagent même à la campagne pour fonder une future famille qui écoulera des jours paisibles dans ce coin paisible retiré de tout. Sauf qu’un jour, Ash meurt ne laissant que ses traces d’existence virtuelle sur les réseaux sociaux qu’il fréquentait. Effondrée, Martha apprend de la bouche d’une amie qu’une société propose de prolonger l’existence du défunt par une sorte de reconstitution IA. D’abord extrêmement réticente, la jeune veuve finit par céder à la tentation après que cette même amie l’ait inscrite par internet. E-Mails, téléphone et même davantage, Ash semble pouvoir revivre. Vraiment ?
A l’instar du dernier épisode de la saison précédente, Be Right Back se concentre sur une situation intimiste et oublie un peu la généralisation sociétale, même si on la devine en filigrane derrière le récit. Brooker reprend une vieille marotte de la SF, c’est à dire “Et si on pouvait faire revivre une personne aimée ?” mais en la plaquant sur la technologie actuelle et les réseaux sociaux. Le récit est aussi étrange que touchant, d’autant plus que le deux acteurs, Hayley Atwell et Domhall Gleeson, restent hyper-crédibles de bout en bout. L’anglais va fouiller dans nos envies les plus secrètes et s’interroge sur la nature de l’être humain en même temps que sur la puissance, souvent aveugle, de l’amour. L’épisode s’avère réussi et se laisse regarder sans déplaisir, malgré une fin attendue et un certain manque d’ampleur. Il s’inscrit dans la droite lignée d’un The Entire History of You, c’est donc plus faible que le niveau général auquel on nous avait habitué mais tout de même bien plus intéressant que ce que les séries TV explorent ces dernier temps. Reste que pour toucher l’aura prestigieuse de la précédente saison, il va falloir faire bien mieux.

Justement…le second épisode — White Bear — vient mettre une grosse claque au spectateur. Victoria se réveille allongée dans sa chambre. Amnésique, elle réalise rapidement qu’il n’y a personne d’autre dans sa maison. Plus effrayant encore, tous ses voisins l’observent avec une caméra ou un smartphone à la main. Malgré ses multiples invectives personne ne répond et tous s’enfuient lorsqu’elle s’approche d’eux. Résolue à découvrir le fin mot de l’histoire, elle décide de sortir pour explorer les environs. C’est à ce moment qu’une voiture s’arrête brutalement non loin laissant des individus masqués et armés jusqu’aux dents en sortir. Pourchassée impitoyablement, Victoria va devoir fouiller en elle pour comprendre ce qui lui arrive.
Charlie Brooker revient aux affaires sérieuses avec White Bear. Il est carrément impossible de vous parler réellement de cet épisode sans gâcher le plaisir et le choc de la surprise. L’anglais brasse ses thèmes favoris à savoir voyeurisme de la société moderne et télé-réalité pour le mélanger à une question épineuse : la justice. L’histoire s’éclaircit au fur et à mesure mais rien ou presque ne prépare le spectateur à l’explication finale ainsi qu’au choc des images. Brooker arrive à démontrer qu’il y a pire encore que ce qui se donne les atours d’une saine justice. Mieux encore, il arrive à donner une empathie inattendue de la part du spectateur envers une personne qui ne devrait, logiquement, en mériter aucune. Il faut avouer que la réflexion autour d’un sujet aussi sensible n’avait pas été aussi convaincante depuis un certain épisode de la grandiose série Oz. Le final, glaçant, achève de convaincre que White Bear est un des épisodes les plus aboutis de Black Mirror, une authentique pépite qui fait très mal.

Autant dire qu’après toutes ces émotions, voir que le dernier épisode de la saison concerne un humoriste derrière une marionnette virtuelle a de quoi laisser perplexe. En effet, Waldo fait les beaux jours d’une chaîne de télévision. Ce personnage animé en 3D aussi vulgaire que désopilant ne laisse jamais entrevoir l’homme qui se cache derrière. Jamie Salter, comédien raté et amer, n’existe en réalité pas vraiment, toute sa vie se confond avec son personnage virtuel. La popularité grandissante de Waldo ne fait que s’accentuer quand il commence à recevoir des invités politiques au cours de son show pour les tourner en dérision. C’est alors que les pontes de la chaîne ont une idée merveilleuse : déclarer Waldo candidat aux élections. Jamie se retrouve dès lors embarqué dans un jeu véritablement dangereux.
Franchement, en sortant de White Bear, on se dit qu’il sera vraiment difficile de faire mieux. Pourtant, The Waldo Moment accomplit non seulement cette prouesse mais se paye aussi le luxe de devenir l’épisode le plus retors, le plus intelligent et le plus perturbant de toute la série. Charlie Brooker détourne l’industrie du divertissement télévisuel pour le confondre avec le jeu politicien. Tout en parlant de la misère humaine derrière le personnage de Jamie qui finit par se faire bouffer par son propre avatar 3D, l’anglais montre les rouages d’une campagne dites démocratique intégralement bidonnée et qui ne consiste qu’en un ersatz puant de la propagande télévisuelle quotidienne. Vers la toute fin de l’épisode, Brooker abat ses cartes en y mêlant une intrigue internationale. Il démontre que même les éléments qui semblent les plus révolutionnaires et contestataires de la société se font absorbés par un système démocratique qui n’a de démocratique que le nom. Derrière l’image délirante de Waldo et l’imbécillité du peuple, la pire des dictatures attend son heure. Sa charge frontale fait mal poussant le spectateur à réfléchir sur les fondements d’un véritable jeu politique devenu une farce tragique aux dépends d’un électorat manipulable et abruti par les programmes qu’on lui propose. The Waldo Moment s’affirme rapidement comme une critique acide du système électoral et gouvernemental, la séquence du générique sombrant dans une dystopie totale, d’autant plus effrayante qu’elle se déroule à l’ombre des effigies imbéciles de Waldo.

White Christmas

Comme à leurs habitudes, les britanniques ont également lancé un épisode spécial Noël intitulé sobrement White Christmas. Le plus long de la saison mais également le plus science-fictif. L’épisode se paye le luxe d’inviter l’acteur Jon Hamm — le fameux Mad Men — ainsi que deux actrices de Games of ThronesOona Chaplin et Natalia Tena — pour plus d’une heure autour d’une technologie aux applications douteuses : le Z-Eye. Coincés par la neige dans une maison reculée, Joe et Matt se racontent leurs existences. Dans un monde où le Z-Eye, une caméra doublée d’un lecteur implantée derrière l’œil, a été accepté par tous, la vie se déroule comme un Facebook grandeur nature. Lorsque Matt, coach en séduction, se retrouve piégé lors d’une petite séance d’aide à un célibataire mal dégourdi, sa femme le quitte et le bloque, tout simplement. Il ne peut ni la contacter, ni lui parler…ni même la voir dans la vie réelle, puisqu’elle n’apparaît qu’en brouillée désormais. Joe a du subir le même supplice, à ceci près qu’il doit supporter de ne pas voir grandir son enfant. En effet, sa femme Beth l’a quitté devant son refus de garder le bébé et depuis, elle l’a également bloqué, si bien que chaque Noël, il va en cachette chez son beau-père pour apercevoir sa fille…ou du moins ses contours car elle apparaît également en bloquée.
Brooker transpose cette fois le principe de blocage de Facebook à la vie réelle tout en y ajoutant certaines subtilités comme les copies de soi que peuvent demander de richissimes clients (un arrière-goût de la nouvelle En Apprenant à être moi de Greg Egan…). White Christmas élabore donc une intrigues à tiroirs où les révélations vont crescendo et où l’anglais s’amuse délibérément à poser des indices sur la réalité de la situation. A bien des égards, White Christmas fait la synthèse de Black Mirror mêlant voyeurisme, dérives des réseaux sociaux, justice dépassant les bornes et sentiments humains exacerbés. Grâce à ses excellents acteurs (Jon Hamm et Rafe Spall sont géniaux), l’épisode frappe encore une fois très fort. Brooker pose une nouvelle fois des questions cruciales à propos de ce que notre société devient. Il interroge sur le besoin de contrôle absolu de l’individu et des limites morales de celui-ci. Il développe de même un axe tout à fait perturbant — et Eganien en diable comme dit plus haut — sur la copie artificielle d’une personne. A partir de quel moment une création virtuelle est-elle consciente ? La torture sur celle-ci est-elle vraiment acceptable ? White Christmas dérange avec toute la subtilité coutumière de la série. Seuls les amateurs les plus férus de SF se douteront rapidement de quoi il retourne mais il faudrait être d’une grande mauvaise foi pour ne pas être épaté devant la maîtrise insolente de l’anglais.

La saison 2 de Black Mirror ne démarre certes pas de façon aussi tonitruante que la précédente, mais prise dans sa globalité, elle accomplit quelque chose d’encore meilleur et de façon plus perturbante que la précédente. C’est tout bonnement incroyable. Charlie Brooker vient d’ériger en sept épisodes une série dont la qualité ne souffre aucune comparaison à l’heure actuelle. D’une intelligence acérée, Black Mirror s’impose comme incontournable.
Pour tous les amateurs, il est impossible de la manquer.
Pour les autres, franchement…jetez-vous dessus.

Note : 9.5/10

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