Cœurs de rouille

Golems en perdition

Juste un mot
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4 min readJul 27, 2018

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Éditions Le Pré au clercs, collection Pandore, 273 pages

Initialement paru dans la défunte collection Young Adult Pandore chez Pré au clercs sous la direction de Xavier Mauméjean, Cœurs de rouille est aujourd’hui réédité dans la collection poche Hélios sous l’impulsion de Mnémos. Son auteure, Justine Niogret, est mieux connue pour ses romans de fantasy comme l’excellent Chien du Heaume ou le chef d’oeuvre Mordred. Cette fois pourtant, c’est bien une histoire de science-fiction que la française se propose de raconter au cœur d’une cité morte hantée par des golems.

“Les meilleurs souvenirs sont des fuites de savoir, des tuteurs quand on va mal. Ils n’existent pas par eux-mêmes. Ce sont des mirages, ceux d’un temps enfoui où tout était plus simple. Mais rien n’est jamais plus simple. On est certain d’y avoir survécu. Tu sais, on se ment. Le meilleur souvenir, c’est demain qu’on le construit. Il n’y a rien d’autre.”

Rouages et décrépitude

Cœurs de rouille installe son intrigue au sein d’une cité déserte où les vestiges de l’ancien temps subsistent encore. Saxe, le jeune héros de cette histoire torturée, tente désespérément de trouver la porte qui lui permettra de quitter l’infâme usine où il travaille à la réparation des golems, sorte d’automates fabriqués trop sensibles pour leur propre bien…et surtout trop dangereux pour l’homme. D’autant plus dangereux quand les robots s’aperçoivent qu’ils sont exploités sans vergogne. Cependant, Cœurs de rouille ne débute pas réellement par l’histoire de Saxe mais par celle de Pue-La-Viande, un golem devenu fou qui cherche à récupérer les perles — des sortes de moteurs à souvenirs pour golems — et qui use de toute la violence nécessaire pour se faire. Justine Niogret introduit également un troisième personnage nommé Dresde, en fait une golem oubliée dans la cité par son maître. Elle et Saxe cherche dès lors à s’échapper en s’enfonçant dans les niveaux inférieurs pour découvrir les secrets de cet Enfer de Dante science-fictif.

“Le bonheur n’est pas un horizon trop terrible pour s’y rendre. Ce n’est pas une terre trop lointaine pour les bateaux. Ce n’était pas mieux avant. Ce dont vous parlez, ce n’est rien. Un souvenir passé. Une imagination bulleuse. Une ombre noyée. Ici et maintenant, il y a des choses à vivre. Ici et maintenant, pour moi, tout est plus beau qu’avant.”

Atmosphère en nuances de fuite

Malheureusement, Cœurs de rouille se trouve rapidement confronté à un choix narratif évident. Justine Niogret tente au début avec succès de capitaliser sur son écriture fine pour capturer l’étrange (et inquiétante) ambiance de ce lieu hors du temps qui tient à la fois du mythologique et du religieux…mais le récit se laisse rapidement bouffé par un côté survival teenager où Pue-La-Viande devient une simple Némésis (ou le Diable, on vous laisse choisir) et où les deux pêcheurs tentent de sauver leur peau. A compter de ce moment, Cœurs de rouilles s’épuise et se répète, Saxe n’arrêtant pas de ressasser ce qu’il a déjà dit encore et encore auparavant alors que l’action elle-même s’embourbe, brisant même la qualité stylistique de Justine. Bien que l’on aime tout particulièrement l’idée d’une visite technologique dans un Enfer de Dante revu et corrigé, l’histoire ne tient pas la longueur. Si certaine scènes superbes surnagent de-ci de-là (le squelette de la baleine, l’histoire de Pue-La-Viande…), les péripéties de notre improbable duo ne prennent pas. Saxe ennuie puis énerve tandis que Justine Niogret échoue à insuffler de l’émotion dans le personnage de Dresde…

Plus c’est long…

…plus c’est long ! Basiquement, Cœurs de rouilles s’essouffle dès la centième page. Tout se passe comme-ci Justine Niogret avait eu la brillante idée de croiser Bioshock et Dante mais qu’elle avait trop tiré sur la corde. En l’état, Cœurs de rouille s’avère un brillant exemple que le mieux est l’ennemi du bien et que la française tenait certainement là une excellente novella à l’ambiance dérangeante et originale. Sous forme de roman, et malgré une fin inattendue, Cœurs de rouille se traîne péniblement et grince comme un vieux golem mal huilé. Seule la thématique mémorielle et la réflexion menée sur l’emprise du souvenir, boulet ou catalyseur de l’action, semble rejoindre les beautés entrevues dans Mordred. Le reste laisse froid.

Cœurs de rouille est un échec sur la longueur, une tentative ratée pour détourner les mythes qui trébuche sur l’angle young adult de son histoire et finit par perdre la savante ambiance de ses premières pages trop vite remplacée par un jeu du chat et de la souris rébarbatif.
On vous conseillera plutôt Mordred de la même auteure ou, pour une plongée dans l’horreur d’une cité terrifiante, Veniss Undergound, le chef d’oeuvre de Jeff Vandermeer.

Note : 4.5/10

Existe également en format poche dans la collection Hélios

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