Capitale du Nord, Tome 2: Mort aux geais !

¡ Hasta la revolución !

Nicolas Winter
Published in
5 min readDec 20, 2022

--

Certainement l’une des plus ambitieuses entreprises littératires fantastiques de ces dernières années en France, le cycle de la Tour de Garde se poursuit aux éditions des Forges Vulcain avec l’arrivée du second volume de Claire Duvivier autour de la Capitale du Nord, Dehaven.
Dans le volume précédent, l’autrice nous laissait sur un cliffhanger sanglant alors que Hirion, le fiancé d’Amalia Van Esqwill, massacre ses propres parents, le père et la grand-mère d’Amalia et le majordome de la maison De Wautier avant de s’ôter la vie sous les yeux médusés de Yonas et Amalia qui n’ont d’autre choix que de s’enfuir précipitamment.
Ce terrible évènement résultant à la fois de l’utilisation d’objets magiques permettant d’explorer la ville-miroir de Nevahed mais également de la tension croissante qui règne dans la capitale du nord depuis que les colonies se sont rebellées et que la guerre gronde au loin.
Ainsi, Mort aux Geais ! commence par un jeu de cache-cache avec les autorités de Dehaven et de bien étranges parties de Tour de Garde, le jeu fétiche de la Cité du Nord…

« Toutes ces histoires n’en racontaient qu’une seule, finalement : celle de la lente décadence d’une cité trop sûre d’elle qui prenait conscience qu’elle était construite sur l’ancien estuaire d’un fleuve et que ses fondations s’enfonçaient dans la glaise. »

Attrape-moi si tu peux…

Nous retrouvons Amalia et Yonas dans les quartiers pauvres de Dehaven, obligés de se terrer là où personne ne pensera à les chercher ou presque.
Bouleversés, les deux jeunes gens vont vite réaliser que leur fuite les désigne comme les coupables idéaux du massacre qui a eu lieu quelques nuits plus tôt. Ils décident alors de se fondre dans la masse et d’opter pour une certaine clandestinité. Mais pour survivre, il faut de l’argent.
C’est alors qu’ils ont l’idée d’utiliser le troisième artefact magique acheté par Hirion dans la précédent volume : une paire de diadèmes qui permet de faire communier les esprits de ses porteurs. Ainsi, Amalia habillée en bonne sœur se rend dans les tavernes des environs pour jouer de l’argent sur des parties de Tour de Garde, le jeu dans lequel Yonas excelle tout particulièrement. Très vite, les choses se compliquent.
À la fois parce que la jeune Amalia ne pourra pas tromper son monde éternellement mais aussi, et surtout, parce que l’utilisation des diadèmes commence à avoir des effets bien plus importants que prévus sur ses deux porteurs…
Claire Duvivier retourne à son idée de monde fantasy-light en portant cette fois son attention sur le lien qui s’établit entre ses deux héros du fait de l’utilisation intensive de deux artefacts magiques qui vont abattre les barrière de leur individualité. En faisant cela, l’autrice française réfléchit sur les limites de l’empathie et le risque de se perdre dans les émotions de l’autre, notamment quand celles-ci ne sont que colère et revanche.
En oubliant qui ils sont et en voulant nier leur individualité au profit d’un être composite plus qu’humain, Yonas et Amalia réveille la Machine qui les rend finalement terrifiants et mécaniques.
On constate une fois de plus que ce sont le sentiments et les turpitudes de l’âme humaine qui passionne Claire Duvivier, bien davantage en tout cas que son instrument magique qui fait long feu.
Mais Mort aux geais ! ne se limitent pas à ce petit jeu d’apprenti-sorciers.

« Les rues ici ont une mémoire […]. Nous allons juste la rafraichir.
Et je sais exactement sur qui je peux m’appuyer pour cela. »

Conspiration bourgeoise

Car en toile de fond, Dehaven se consume. Les dissensions politiques s’accumulent, les colonies se révèlent bien plus résistantes qu’escompté et surtout, les classes populaires grondent de leur mécontentement face à la conscription. Bien vite, Amalia se trouve mêlée à une conspiration qui devrait faire changer le pouvoir de main et l’offrir aux disciples de la Main Rouge, un courant contestataire bien connu des habitants de la Capitale.
La grande force de Claire Duvivier, qu’elle cultive d’ailleurs depuis l’écriture de son premier roman Un Long Voyage, c’est la vraisemblance et le soin du détail apporté aux éléments réalistes de ses récits.
Mort aux geais ! ne fait pas exception et utilise la guerre coloniale qui rugit dans le lointain pour motiver la révolte. Mais comment se passe une révolution et, surtout, que coûte-t-elle à ceux qui y prennent part ?
Amalia y trouve non seulement une occasion en or pour ses propres affaires parallèles et sa revanche sur son demi-frère, mais elle y révèle un potentiel que ni le lecteur ni Yonas n’attendait : celui d’un égoïsme certain qui va coûter cher à ceux qui vont la suivre.
L’héroïne dépeinte par Claire Duvivier n’est pas un idéal, tout comme sa ville et son système politique. Elle est un produit de son temps et de son époque, et surtout, une figure humaine avec ce que cela présuppose de défauts et de mesquinerie.
Ainsi, fantastique et réalisme se mêlent pour nous faire vibrer jusqu’au bout de cette histoire où l’intime devient le reflet inextricable de la grande Histoire, celle qui peut faire tomber les puissants et renverser la Table.
Mort aux geais ! montre que ce sont les émotions humaines les plus basiques qui font les grands évènements, que le basculement n’est pas seulement le fait de grands principes éthérés mais l’aboutissement d’une chaîne d’émotions humaines et de revanches personnelles.
Enfin, c’est surtout la relation entre Yonas et Amalia, perdue quelque part entre amitié et amour, qui fera le sel de ce second volume. Un destin entremêlé et cruel en diable, qui agit comme un révélateur à propos de nos deux héros en leur faisant prendre conscience à la fois de leur propres faiblesses et de leurs angles morts émotionnels.
Claire Duvivier sait encore une fois éviter l’attendu et le flamboyant pour nous offrir une épopée intelligente et subtile enrobée d’une langue délicate et élégante qui nous fait tourner les pages encore et encore sans même s’en rendre compte.

Second volume et seconde réussite pour Claire Duvivier qui organise la chute de son héroïne pour mieux la faire se relever peu importe le prix.
Mort aux geais ! joue la carte de la révolte et de la revanche alors que nos héros découvrent qu’il est difficile d’être noble en son cœur quand brûle la rancœur au fond de soi et que la guerre gronde au loin.

Note : 8.5/10

Critique du Volume 1 : Citadins de Demain de Claire Duvivier

--

--