Du Nouveau monde : Roman post-apocalyptique à la Japonaise

Que le jyuryoku soit avec toi !

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4 min readApr 23, 2024

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Surtout connu pour ses thrillers à succès comme La Leçon du Mal ou le plus récent La Maison Noire, l’écrivain japonais Yūsuke Kishi n’hésite pourtant pas à venir explorer des terres plus originales encore comme le prouve la traduction en France cette année chez Robert Laffont du premier tome d’une saga de science-fiction post-apocalyptique.
Du Nouveau monde, traduit par Mai Beck et Dominique Sylvain, nous emmène dans un Japon transfiguré près de 1000 ans après notre ère… et vous n’êtes pas au bout de vos surprises !

« Nous, les êtres humains, ne résistons pas à l’envie d’ouvrir la boîte de Pandore tout en sachant que nous devrions nous en abstenir. »

Si notre narratrice, Saki, nous précise être née en 210, difficile de véritablement savoir à quelle époque nous nous situons.
Ce qui est certain, c’est que le Japon que nous connaissons n’existe plus et que des communautés humaines se sont formées pour rassembler les survivants de ce qui ressemble fort à un contexte post-apocalyptique.
Au sein de Kamisu 66, plusieurs villages vivent une vie paisible, protégées par un mystérieux Cordon sacré censé les protéger des menaces extérieures, démons comme mutants.
Le récit débute ainsi, suivant les péripéties scolaires de plusieurs adolescents dont notre narratrice, Saki, que l’on découvre amoureuse en secret de Shun mais franchement agacée par le turbulant Satoru.
Pendant longtemps, le lecteur peine à comprendre ce qu’il se passe dans ce petit monde bien étrange où l’on va dans des écoles aux noms un peu farfelues comme l’École de la Précieuse Harmonie ou celle de la Grande Vertu. D’emblée, on sent que Yūsuke Kishi s’intéresse davantage aux folklore et croyances des adolescents. Qu’il s’agisse d’une cours secrète d’école remplie de tombes ou d’animaux pour le moins extraordinaires capables de vous couper en deux ou d’exploser, voire les deux !
La rumeur et la superstition imprègnent le récit de Saki, démontrant au passage la soif de curiosité des personnages ainsi que l’importance des mythes dans leur société.
Fait intéressant, et complètement atypique pour les lecteurs européens, le rythme tranquille du roman, presque pastoral, contraste avec le soin apporté à la description des créatures fantastiques ou réelles que croisent nos jeunes héros, rappelant la place centrale occupée par l’écosystème auquel l’humain appartient, qu’il le veuille ou non. Entrant régulièrement dans les détails, Yūsuke Kishi nous raconte la faune de ce nouveau monde avec une précision qui force le respect…mais qui risque aussi d’en laisser plus d’un sur le carreau tant la chose semble incongrue pour ce type de récit. Ce serait pourtant manquer l’un des aspects les plus fascinants de cette histoire puisque nombre de péripéties seront justement liées aux bêtes qui entourent les humains de cette époque fort (fort) lointaine.

« Nous, les humains, sommes une espèce à la mémoire courte, même lorsqu’il s’agit de leçons apprises au prix de la souffrance. »

Les humains, justement, parlons-en.
On s’aperçoit très rapidement que pour devenir adulte, Saki doit développer un étrange don, le jyuryoku.
En réalité, il s’agit de pouvoirs télékinétiques puissants qui permettent à peu près n’importe quoi et assurent la suprématie des humains sur les autres races. Dès lors, le roman prend une tournure intéressante, quelque part entre X-Men et Le Village et l’on comprend que bon nombre de choses échappent en réalité aux adolescents.
C’est arrivé à la moitié du récit avec les révélations du faux minoshiro que l’on comprend enfin ce qu’il se passe dans ce monde jusque là plutôt cryptique. Pour autant, Yūsuke Kishi nous surprend encore en terminant son récit par une guerre entre rats-monstres, des créatures mutantes à peu près intelligentes et qui sont convaincues que les humains de Kamisu 66 sont des dieux. De nouveau, l’auteur japonais s’acharne à décrire tout dans les moindres détails et passionne par la précision de ses descriptions.
C’est à la fois le point fort et le point faible de ce Nouveau monde puisque si Kishi n’a pas son pareil pour décrire un match entre collégiens, une guerre ou un animal, il laisse complètement froid sur le plan émotionnel.
Le talon d’Achille du roman vient en effet de l’écriture clinique et froide de son auteur qui risque de manquer de relief pour ceux qui s’attendent à une aventure plus ardente.
Cependant, ne nous y trompons pas, une fois dans le bain, l’histoire nous entraîne quasiment sans temps mort de découverte en découverte, de mystère en mystère. C’est le regard plutôt naïf de notre narratrice et de ses compagnons qui permet aussi d’entretenir le suspense quant à cette société humaine qu’on imagine bien trop idéale pour son propre bien et qui montre déjà ses failles entre deux conversations volées.
Dernier élément réjouissant, le regard très japonais sur les notions d’honneur et d’ignominie, déplaçant les enjeux sur un plan plus moral et donnant naissance à des concepts plutôt originaux pour expliquer l’évolution de ce monde nouveau.

Intriguant malgré sa froideur, Du Nouveau monde présente un monde post-apocalyptique tout à fait singulier au rythme surprenamment doux et mystérieux. Une expérience dépaysante qui nous laisse un peu sur notre faim… au moins jusqu’au prochain volume.

Note : 7/10

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