Dévoreur

Histoire d’Ogres

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5 min readOct 17, 2017

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Critique de Manesh
Critique de Shakti

Découvert il y a maintenant plus d’un an à travers son premier roman, Manesh, le belge Stefan Platteau s’est imposé naturellement comme une des voix à suivre les plus intéressantes de la fantasy française. Vainqueur du prix Imaginales, l’auteur n’en a pas finit avec son univers. Conçu comme le premier tome d’un cycle, Manesh ne faisait que déflorer le monde imaginé par Stefan en même temps qu’il posait les enjeux de son intrigue. En attendant le second volume, Shakti, l’écrivain et Les Moutons Électriques nous offrent un petit en-cas pour patienter avec une novella intitulée Dévoreur. Petit objet-livre magnifique richement illustré et enluminé par Melchior Ascaride, ce court roman sert en quelque sorte d’introduction à l’univers exploré par Manesh. Que nous réserve donc Stefan Platteau cette fois ?

Évacuons tout d’abord une question embarrassante : celle du prix. Pour un texte de 135 pages dans un format proche du poche, Dévoreur est proposé à 19 euros. Une somme surprenante qui n’encouragera certainement pas beaucoup des profanes en la matière à délier les cordons de leurs bourses. Disons cependant que le tirage limité et la beauté de l’objet-livre (hardcover, illustrations intérieures, conception graphique des pages…) peuvent en partie expliquer cette constatation pour le moins fâcheuse. En tout état de cause, la novella s’adresse avant tout aux lecteurs conquis par Manesh, dès lors, libre aux fans de l’acquérir ou non. Dommage simplement d’arriver à une facture si salée. D’autant plus que le contenu, lui, vaut quand même son pesant d’or.

Dévoreur se centre sur la petite ville de Pélagis, lieu de résidence du mage Peyr Romo et de sa famille : sa femme Aube Romo et ses deux enfants Sita et Lupin. Convoqué par le comte Thorkarin, Peyr Romo laisse les siens l’espace de quelques semaines. Aube peut heureusement compter sur l’aide bienveillante de son voisin, l’éleveur d’ânes Vidal…jusqu’au jour où elle remarque l’étrange lueur qui baigne la demeure de son ami, celle de l’Astre Néfaste Kiarvathi. Petit à petit, l’attitude de Vidal change et l’éleveur se terre à son domicile avec ses deux filles. Une puissance ancienne et funeste s’est emparée du cœur de ce père de famille sans histoire. Une puissance à la faim dévorante. Dans un acte de bravoure insensé, Aube tente de sauver son ami… mais sa volonté seule sera-t-elle suffisante pour triompher ou devra-t-elle se réduire à attendre le retour de Peyr Romo pour vaincre le monstre ?

Stefan Platteau choisit cette fois la voie du conte à l’occasion de ce prélude. Récit prenant, Dévoreur s’avale en quelques heures, mais pas trop goulûment tout de même puisqu’il recèle quelques subtilités franchement agréables. L’auteur tente de marier deux aspects : celui de son univers aux accents mythologiques hindous et celui des contes traditionnels connus de tous. Dévoreur s’avère en réalité une relecture et une réappropriation du mythe populaire de l’ogre, revu et corrigé par la lumières des Astres. En partant de quelque chose de très classique, Stefan Platteau arrive petit à petit à se démarquer, notamment grâce à son style qui semble avoir encore gagné en maturité ainsi qu’à l’agilité de sa plume pour capturer des portraits humains attachants. Loin de vouloir accoucher d’un texte manichéen, l’écrivain s’échine à montrer l’homme brisé derrière le monstre et les limites dangereuses où le bien sombre dans l’abîme du mal.

Ainsi, plus que l’histoire d’Aube ou même de Peyr Romo, c’est bien la tragique destinée de Vidal que cherche à illustrer Dévoreur. De loin le personnage le plus intéressant de cette novella, Vidal incarne à la fois la monstruosité et la candeur déchue. Si l’on pouvait craindre le classicisme d’un énième conte, Stefan Platteau évite l’écueil en deux temps. Il prend d’abord bien soin d’insérer la figure de l’ogre dans son univers aux accents indiens où l’on assiste à des offices de singes devant le temple du village et où les Dieux adoptent des allures pour le moins flamboyantes. L’ogre ici devient un outil des Astres, quasiment une porte d’entrée pour les esprits néfastes. Puis, il creuse la légende, revient aux fondamentaux et illustre avec brio une des caractéristiques les plus étonnantes du mythe de l’ogre : sa propension à représenter le Père. Lorsque le lecteur fouille un peu en profondeur, il s’aperçoit que Vidal n’est pas père par hasard, que le regard des enfants de Peyr Romo a la fin du récit sur leur géniteur n’a rien d’anodin. Derrière l’apparence inoffensive du conte se cache quelques noirceurs terribles pour qui sait lire entre les lignes, quelques peurs enfantines enfouies profondément.

Car il faut aussi le préciser, Dévoreur reprend un des aspects de Manesh, c’est-à-dire sa dimension horrifique. La novella se permet non seulement de raconter des événements terrifiants mais elle offre également des visions évocatrices où le sens pictural de Stefan Platteau fait parfois des merveilles. On pense notamment à la description de ce Château de Sel isolé où chaque pièce devient source d’angoisse, où aux nombreuses apparitions surnaturelles qui hantent le lieu maudit. Plus qu’une simple histoire fantastique, Dévoreur est conçu pour filer quelques frissons à ses lecteurs. Une chose qui marche finalement remarquablement bien. Finissons par dire quelques mots sur la place occupée par Dévoreur par rapport à Manesh et par préciser que l’ouvrage peut se concevoir comme une excellente introduction à l’univers du Sentier des Astres ou, au contraire, comme une précision bienvenue pour le connaisseur au sujet du Panthéon propre au monde créé par Stefan Platteau.

Malgré un prix certainement trop élevé, Dévoreur se révèle un conte passionnant et passionné. Réappropriation intelligente d’une figure mythologique archi-connue, le tout baigné d’une atmosphère horrifique délicieuse, le dernier rejeton de Stefan Platteau a de quoi ouvrir l’appétit à tous les lecteurs avides de découvrir son univers fantasy.

Note : 7.5/10

N.B : Il est rare que l’occasion se présente, mais la dédicace en fin d’ouvrage est également à saluer. Drôle, inspirée, tendre, émouvante et simplement très belle, elle mérite elle aussi le coup d’œil.

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