Faites comme si vous étiez morts

Étincelles surréalistes

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4 min readNov 12, 2019

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Éditions L’Arbre Vengeur, 193 pages

À partir de quel moment savez-vous qu’un auteur est un génie ? Et à quel moment savez-vous qu’il prend simplement trop de LSD ?
Difficile(s) question(s).
Avec Faites comme si vous étiez morts, l’auteur Sammy Sapin tente le tout pour le tout en 14 nouvelles de taille (très) variable. Première publication dans l’excellente maison d’édition de L’Arbre Vengeur (si vous ne la connaissez pas, vous feriez mieux de la découvrir fissa…), l’ouvrage va en surprendre plus d’un puisque Sammy Sapin refuse une chose et une seule : de rentrer dans des petits cases bien ordonnées.

Pas de Limite

Le recueil s’ouvre sur une courte nouvelle d’introduction-préface qui annonce la couleur : « À partir de quel moment comprenons-nous que nous sommes répugnants ? »
Sammy Sapin déploie en trois pages son goût pour l’abstrait tour à tour dégoûtant, drôle et inquiétant. Et l’on n’est pas plus avancé à la fin… à ceci près que l’on sait dans quoi l’on va mettre les pieds par la suite : un univers absurde où tout s’entremêle sans logique apparente sauf la folie créative sans limite de son auteur.
Sans limite, dites- vous ? Sans limite, en effet.
Passons direct à la seconde nouvelle, L’Amateur où un homme qui bouffe n’importe quoi (tortue, cuillère, bois, placenta…) décide que cela a trop duré et que son couple a vacillé à cause de ça. Du coup, des spécialistes en particules ambiguës (un terme qu’adore Sammy Sapin, on ne se demande pas pourquoi d’ailleurs) lui font avaler un brin d’antimatière pour recommencer sa vie et se retenir de manger tout ce qu’il lui tombe sous la main…mais la chose s’avère bien plus compliquée que prévu surtout quand un nouveau-né gras et potelé arrive dans l’équation.
Les univers fous de Sammy Sapin ne connaissent aucune limite dans l’horreur ou l’humour. Et même parfois de façon simultanée.

L’art du Contrepied

Ce qui fascine dans les textes du français, c’est clairement sa façon d’abattre tout ce qui peut paraître improbable pour nous le servir chaud sur un plateau d’argent littéraire.
Ainsi, chaque histoire qu’il nous raconte peut brutalement changer d’aspect, de registre et de genre. Prenons La gomme qui commence comme une tranche de vie tout à fait ordinaire puis tombe dans une dystopie monarchique absurde pour se terminer dans une révélation révolutionnaire maritale.
Prenons Nine One One, qui passe d’un simple appel de détresse à une sordide histoire de mort maternelle…particulière pour le moins.
Ou prenons cette exploration spatiale Monty Pythonesque dans Le commandant où l’on croise des baleines miniatures dotées de pouvoirs psychiques, une agente du service spatiale qui aime lire des romans lubriques de SF et des extra-terrestres qui pensent que l’origine de la vie réside dans le poil.
Pire encore, Sammy Sapin jongle avec les mots et les significations pour brouiller nos propres perceptions. Dans La qualité la plus importante, un Flic devient quelque chose qui semble bien loin de ce que nous connaissons en évoluant dans un univers terriblement glauque où les larves rodent dans l’ombre.
Pour Le Camp de la Goutte Lente, voilà qu’on nous raconte ce qui ressemble à s’y méprendre à la fuite d’un prisonnier durant la seconde guerre mondiale vers la zone libre française…mais rien n’est jamais dit clairement, dans la plus pure tradition Volodinienne.
Le clair est l’ennemi de Sammy Sapin mais l’ami du lecteur en quête de choses radicalement nouvelles.

Univers cryptiques

La force de ce recueil et des textes présentés, c’est d’offrir de multiples univers improbables aux lecteurs curieux prêts à se laisser porter par un imaginaire à la fois sale et merveilleux . C’est d’ailleurs du caractère volontairement cryptique et élusif que naît l’angoisse et la fascination ressenties pour les histoires de Sammy Sapin.
Qui sont ces gens qui font des concours du plus bel instrument dans Le Concours ? Pourquoi condamne-t-on cet homme à mourir chaque jour dans une parodie sordide d’En Attendant Godot ? Qu’est-ce que cette pseudo-plante qui infecte les personnages de la nouvelle Le Jus ? Qui est cet ennemi féroce dans L’enfant de ma sœur ?
Vous ne le saurez pas et il faudra faire avec. L’angoisse du vide et du mystère rode dans les quatorze récits de Sammy Sapin et l’on s’en régale.
Voilà bien un remarquable tour de force où l’absurde côtoie la science-fiction, l’horreur, le fantastique ou le surréalisme. Un caméléon-écrivain qui divisera rode désormais parmi nous.

Faites comme si vous étiez morts introduit l’une des voix les plus singulières de l’imaginaire français avec une extravagance stylistique et narrative remarquable. Amis de l’improbable et de l’angoisse, de l’humour et du silence inquiétant, bienvenue dans ces lieux où tous les espoirs sont permis, même les plus fous.

Note : 9/10

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