Fargo, Saison 1

Il étais une fois, dans le Minnesota

Nicolas Winter
Juste un mot
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5 min readAug 7, 2017

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Retour dans le passé.
En 1996, les frères Coen réalise Fargo. Ce petit film policier qui prend place dans l’état du Minnesota entre rapidement dans la légende. Avec un casting aux petits oignons — Frances McDormand et William H. Macy en tête — et une mise en scène géniale, le long-métrage récolte une pluie de louanges. Aujourd’hui considéré comme un film culte, Fargo n’avait pourtant pas fini de faire parler de lui. En 2013, la chaîne FX (Sons of Anarchy, The Shield, Rescue Me) décline l’univers des Coen en série télé sous la direction de Noah Hawley. Encore peu connu à l’époque, le génial créateur de Legion, recrute un casting impressionnant pour la première saison d’une série anthologique (c’est à dire que chaque saison est indépendante, ou presque, des autres) appelée à devenir aussi culte que son illustre parent cinématographique. Nous sommes en 2014 et pour la première fois apparaît la phrase running-gag d’ouverture de chaque épisode : This is a true story. Bienvenue au Minnesota à nouveau.

Dans le froid glaçant de ce petit état, Lester Nygaard, agent d’assurance, ne profite pas vraiment de la vie. C’est le moins que l’on puisse dire. Moqué et maltraité par son ancien “camarade” de classe Sam Hess, constamment humilié par sa femme Kitty et vivant dans l’ombre de son frère Chaz, Lester mène une existence pathétique. Alors qu’il patiente aux urgences, il fait la rencontre d’un homme mystérieux du nom de Lorne Malvo qui lui propose de tuer Sam Hess pour le venger. C’est à compter de ce malheureux pacte que les choses s’emballent et que la petite ville de Bemidji va connaître une vague de meurtres. Noah Hawley comprend immédiatement une chose en adaptant Fargo en série : il ne s’agit pas de faire un copier-coller du film mais bien d’en saisir l’atmosphère et les codes. Il n’y a donc aucun besoin d’avoir vu le métrage original avant de vous lancer dans l’aventure (même si on vous le recommande chaudement, ne serait-ce que pour sa qualité cinématographique).

Fargo est une série policière mais surtout un laboratoire humain. Ce qui est fascinant, et le sera constamment dans cette première saison, c’est la propension des personnages tout à fait ordinaires à faire des choses extraordinaires. La société de Bemidji est un océan de médiocrité et de petites personnalités narquoises. Notre (anti-)héros, Lester, n’y fait pas exception, il est même un sommet de pathétique. Ce raté par excellence a pourtant quelque chose de profondément touchant. Il a le potentiel mais n’arrive tout simplement pas à se dépêtrer de sa condition…jusqu’à l’arrivée de Lorne. Ce dernier, interprété par l’immense, le génial, le succulent Billy Bob Thornton, est la seule figure extraordinaire de la saison. Un tueur à gages ultra-efficace et inquiétant qui n’a peur de rien ni personne. Le gouffre qui le sépare de Lester n’aurait pas pu être plus grand…et pourtant, les deux vont vite avoir plus en commun qu’on ne le pense. Fargo, c’est la libération des plus vils instincts, c’est la transformation d’un homme normal en quelque chose qui dépasse toutes les normes sociétales américaines.

Et c’est ça qui est si excitant.
Noah Hawley utilise Martin Freeman, parfaite image du type attachant, pour en faire un monstre. L’acteur britannique est génial, aussi drôle qu’attachant et cruel. En face, on trouve toute une galerie de personnages médiocres. Que ce soit la veuve Hess ou ses fils (avec la séquence de l’arbalète à mourir de rire)ou le nouveau chef de la police incarné par un Bob Odenkirk en grand forme. Au milieu, à l’instar de Frances McDormand en 1996, on trouve le personnage de Molly Solverson qui est, avec celui de Lester et Lorne, le dernier pilier de cette saison. Voici une femme qui n’est pas forcément un canon de beauté selon les standards occidentaux, qui n’est pas d’une intelligence foudroyante…mais qui est persévérante et logique. Molly s’avère le parfait contrepoids des autres imbéciles qui fourmillent dans le récit. Une force tranquille mais entêtée qui se révèle beaucoup plus efficace que les vieux briscards débiles du coin. Son pendant masculin, Gus Grimly, a quelque chose d’aussi touchant qu’elle. Voici deux policiers lambda qui ont pourtant plus d’intelligence que leurs supérieurs contents de leur propre médiocrité. Les deux acteurs, Allison Tolman et Colin Hanks, sont brillants dans leurs rôles respectifs, renforçant encore l’empathie du spectateur durant l’enquête.

Quelle enquête d’ailleurs ! Pleine de rebondissements, cette première saison est un jeu de piste que seul le spectateur peut apprécier à sa juste mesure pendant que les autres personnages se débattent dans la mélasse. En retrouvant le cynisme et l’humour acide du film original, Hawley fait des merveilles avec des ruptures de tons que n’aurait pas renié les frères Coen eux-mêmes. Fargo, outre son enquête passionnante et ses personnages brillants, c’est également des moments hilarants qui jouent avec la médiocrité des êtres humains pour mieux se foutre de la race humaine et de notre quotidien. Le décalage provoqué notamment par la présence de Lorne Malvo, un vrai terminator sur pattes, dans une ville peuplée de gens ordinaires, a quelque chose de délicieux. Il faut le voir dézinguer tout un immeuble rempli de mafieux sans que les deux flics en planque devant s’en rendent compte pour comprendre toute la portée humoristique de la chose. C’est également l’occasion d’insister sur la mise en scène de cette première saison, constamment inventive et passionnante, qui utilise la neige du Minnesota pour retrouver l’aspect glacé du film original. Noah Hawley fait des merveilles, cela bien avant Légion.

Vous l’aurez compris, cette première saison de Fargo est un vrai délice d’humour noir, de satire sociale et humaine. Avec une galerie de personnages tous plus savoureux les uns que les autres, des acteurs irréprochables et un sous-texte mordant comme il faut, la série s’impose parmi les meilleures du genre.
C’est simplement, et totalement, indispensable.

Note : 9.5/10

Meilleur épisode : Episode 6- Buridan’s Ass

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