Goodnight Mommy

Je vois je vois

Nicolas Winter
Juste un mot
Published in
4 min readJan 17, 2018

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L’année 2015, comme les années précédentes, a été chiche en films d’horreur de qualité. On a bien eu droit au génial It Follows de David Robert Mitchell, mais c’est pour mieux se contenter d’un grand vide qualitatif par la suite. Encore une fois, les vrais bons films d’horreur sont à chercher ailleurs. Comme The Loved Ones ou The Woman, Goodnight Mommy a eu le douteux honneur de paraître directement en DVD sous nos latitudes, et cela bien que le film ait été très remarqué en festivals et fut un succès aux Etats-Unis malgré sa distribution congrue. A l’origine de ce long-métrage, on trouve deux personnes, les autrichiens Veronika Franz et Severin Fiala qui signent, par la même occasion, leur premier film. Pur récit d’horreur psychologique qui utilise quelques scènes chocs pour renforcer l’impact de son sous-texte, Ich Seh Ich Seh (Le titre original qui signifie Je vois Je vois) peut aussi compter sur un trio d’acteurs convaincants et une mise en scène efficace.

Une famille bavaroise chante sur une pellicule vieillie, tout semble beau et nostalgique. Puis, la caméra de Franz et Fiala file derrière deux petits garçons, Lukas et Elias, courant à travers des champs de maïs. De façon étrange et succincte, Goodnight Mommy capture la joie familiale puis les jeux enfantins tout en distillant un insidieux et discret sentiment de malaise. Comme ces anicroches sur la pellicule ou cette grotte de ténèbres dans laquelle pénètre Lukas. Vient alors le véritable lieu de l’action, une maison design et froide perdue au milieu de la nature, une maison luxueuse qui semble décalée, pas à sa place. Les jumeaux y rejoignent vite une troisième figure : leur mère. Sans aucune explication, celle-ci porte un masque de bandages sur le visage, faisant d’elle un monstre aux contours flous aux yeux de ses propres enfants. Dès cette première séquence, Franz et Fiala prouvent leur savoir faire et leur abord très particulier de la situation. Comme un fantôme revenu à la vie, la mère se tient près d’une vitre, faisant aller et venir les stores, statue silencieuse aussi menaçante que triste. Les réalisateurs autrichiens installent une atmosphère dont la froideur clinique n’a d’égale que l’insidieux sentiment que quelque chose ne va pas du tout dans ce tableau brisé.

Contrairement à beaucoup de films d’horreurs faussement intimistes (on pense au risible The Visit), Goodnight Mommy capture les retrouvailles entre les enfants et leur mère avec une économie de mots impressionnante. Tellement d’ailleurs que pendant une grande partie du temps, le long-métrage devient contemplatif, laissant le spectateur se perdre dans un conte où l’horreur et le fantastique se tirent la bourre. Jouant sur la perplexité des enfants de retrouver une mère transfigurée physiquement et psychiquement, Goodnight Mommy évite les effets d’esbroufe et les grands déballements à base de cris ou de jump scares. Ici, dans la paix lugubre de la maison familiale, la souffrance morale suinte doucereusement. La caméra adopte le point de vue des jumeaux dans un monde réaliste glacial où se terre des notes fantastiques, où une luxuriante forêt peut mener à un tertre envahi de squelettes, où les cafards deviennent des animaux de compagnie et où la mère devient un monstre inquiétant. On croit retrouver Grimm à un détour pour aussitôt reprendre pied dans l’univers réaliste, constater de nos yeux l’effondrement progressif de la logique et du raisonnable chez les enfants qui, inéluctablement, s’éloignent d’une réalité violée.

Puis, les choses se dessinent, prennent une tournure horrible. Les trente dernières minutes jouent la carte du crescendo, oublient un peu les rêves malaisés, et filme l’impensable. La torture et la perte de l’innocence. Là où d’autres auraient fait de Goodnight Mommy un bête torture-porn, Franz et Fiala jonglent entre l’abord direct et le hors champ, la caméra laissant deviner les horreurs qui ont lieu dans la chambre maternelle, renouant avec l’adage bien connu que notre imagination recèle les pires terreurs. Le plus dérangeant ici n’étant pas forcément la torture en elle-même mais bien qui la subit et qui l’accomplit. L’inversement de l’autorité morale, du même genre que l’inceste au fond, devient asphyxiant. En choisissant de garder leur sens clinique jusqu’au bout, les réalisateurs hissent Goodnight Mommy dans des tréfonds d’horreur où la naïveté enfantine se meurt, laissant place à la folie et à l’horreur pure et simple. Le twist final, qu’on l’ait percé à jour ou non, ne change rien au malaise qui envahit le spectateur. Au fond, le long-métrage touche quelque chose d’intime et de mystique à la fois, un endroit où les personnages deviennent des créatures de conte, chacun caché par un masque aussi impénétrable qu’effroyable.

Goodnight Mommy se révèle un excellent film d’horreur psychologique. On se demande, encore une fois, comment de petites perles comme celles-ci échappent à la distribution sur grand écran au profit d’étrons filmiques indéfendables. A l’arrivée, grâce au talent de ses trois acteurs et surtout à l’intelligence malsaine de sa mise en scène et de son scénario, le premier film de Veronika Franz et Severin Fiala impose ces deux-là comme les révélations horrifiques qu’ils sont.
Entre cauchemar psychologique et conte lugubre, Goodnight Mommy n’a rien d’une comptine anodine.

Note : 9/10

Meilleure scène : La première fois où la mère apparaît

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