Green Book : Sur les routes du Sud

Balade américaine

Nicolas Winter
Juste un mot
Published in
4 min readFeb 15, 2019

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Décidé à voler de ses propres ailes, Peter Farelly délaisse son frangin Bobby pour Green Book, un road-movie sur fond de racisme et d’intolérance.
Pour l’occasion, le cinéaste américain embarque avec lui deux acteurs poids lourds : le revenant Viggo Mortensen, deux ans après l’excellent Captain Fantastic, et l’étoile montante Mahershala Ali, révélation de Moonlight et actuellement bluffant dans la troisième saison de la série True Detective.
Basé sur l’histoire vraie du pianiste noir Don Shirley et de son chauffeur et garde du corps blanc Tony Lip, Green Book tire son nom du guide de voyage The Negro Motorist Green-Book recensant les établissements ne discriminant pas les Noirs à l’époque des lois ségrégationnistes américaines.
Nommé aux prochains Oscars, Green Book peut-il mieux faire que le tiède Blackkklansman de Spike Lee ?

Feel Good Movie

Pour disserter sur la condition noire dans les années 60 aux États-Unis, Green Book fait le pari de l’intimiste et de l’humour. Le spectateur va suivre les tribulations de Tony et Don sur les routes des états du Sud ainsi que les diverses mésaventures dont ils seront victimes. Le ton est léger et les personnages attachants, bien aidés en cela par les excellentes prestations de Viggo Mortensen (qui s’amuse visiblement beaucoup) et Mahershala Ali.
Malheureusement, les choses se corsent très rapidement car toutes les situations s’avèrent convenues et prévisibles. Le suspense n’existe tout simplement pas et l’on sait déjà bien à l’avance ce qui va se produire.
La situation de départ elle-même, archi-classique, confronte un blanc d’origine italienne un peu raciste (mais pas trop) à un noir riche mais solitaire. On sait très bien que les deux hommes vont devenir amis malgré leurs différences et que chacun va s’interroger sur ses propres faiblesses. Les épreuves qu’ils vont traverser (enfin surtout Don) seront toutes cousues de fil blanc : la confrontation avec des flics racistes, les interdictions de séjourner dans des lieux réservés aux blancs, la discrimination dans le monde du spectacle…
Si tous ce sujets importent et restent éloquents quant aux traitements honteux subies par la population noire américaine, les situations n’ont en elle-même aucune originalité ou aucune subtilité dans leur traitement. Ce qui plombe donc le film de bout en bout.

Le Racisme vu par un Blanc

Mais la vraie faiblesse de Green Book, c’est qu’il s’agit d’un exemple éloquent du racisme noir vu par un homme blanc. Malgré la gentillesse de l’épopée et l’happy-end, on doute sincèrement de cette morale constante qui occupe l’espace entre les deux personnages.
Que voit-on dans Green Book au-delà de cette gentille amitié qui semble mettre tout le monde d’accord ?
Voici un américain d’origine italienne capable de jeter un verre d’eau dans lequel ont bu des noirs mais qui se met au service d’un pianiste noir sous prétexte du gain monétaire. Soit.
Par la suite, les choses se compliquent puisque le voyage consiste grosso modo à apprendre la vie, la vraie à Don parce que Tony est blanc mais lui aussi est victime du racisme. Pire, il serait même plus noir que Don dans sa tour d’ivoire coupé de ses racines.
Peter Farelly adopte un point de vue moralisateur typiquement blanc et nous ressort le cliché du white savior car, il faut bien l’avouer, c’est surtout Don qui apprend beaucoup dans cette histoire. Le seul véritable enseignement pour Tony, c’est que c’est mal de ne pas aimer les Noirs. C’est un peu léger…
Sous ses aspects de biographie propre et amusante, Green Book n’est en fait qu’une aventure politiquement correcte vu par un réalisateur blanc incapable de comprendre la dynamique de ce duo de personnages et qui, surtout, livre une sorte d’éloge à un personnage médiocre et forcément gentil car pauvre. Ce qui finalement rabaisse le métrage à un ensemble de clichés aussi bien sociaux que raciaux. Dommage car, malgré tout, l’alchimie entre Mortensen et Ali fonctionne parfaitement et que l’aventure sait tenir un rythme des plus respectables. Seule une mise en scène quelconque achève de convaincre que Green Book n’est rien de plus qu’un film mineur à l’arrivée.

Si Green Book soulève autant l’enthousiasme, c’est qu’il s’inscrit dans une longue tradition de buddy-movies et de métrages feel-good qui semblent capables de réconcilier tout le monde. Problème, au-delà de ses deux acteurs impeccables, le film accumule les clichés et offre un regard bien peu subtil (et presque insultant) sur le racisme aux États-Unis.
Une déception.

Note : 4/10

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