Interview Gauthier Guillemin

Celui qui voyageait vers de nouveaux Rivages

Nicolas Winter
Juste un mot
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9 min readNov 13, 2019

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Bonjour Gauthier, pour ceux qui ne te connaissent pas encore, tu es le nouvel auteur français de la maison Albin Michel Imaginaire en cette fin d’année avec Rivages, ton premier roman. Tu es aussi un fervent voyageur comme ton personnage principal.
Comment tes différentes escapades de par le monde ont-elles façonné ton imaginaire personnel ?

Je m’émerveille facilement et je suis très sensible aux paysages, notamment lorsqu’ils sont à couper le souffle : les falaises d’Irlande, les chutes d’Igazu au Brésil, les inselbergs, les déserts, tout cela me fascine, m’interpelle et fait naître des bouts d’histoires. Pourtant, ce que je préfère lorsque je voyage, c’est m’asseoir et regarder les gens qui vont et viennent, cela m’apaise et me permet de m’imprégner de sensations. Tout ceci colore les récits que je m’invente, cela permet de leur donner une texture, une épaisseur. Après, mon imaginaire se nourrit aussi d’une foule de lectures, de la SF, de la fantasy, de la littérature classique, des contemporains.

À peine un pied posé dans le Dômaine qu’on se demande si ton roman est une histoire fantasy ou post-apocalyptique ?
Le genre a-t-il une importance pour toi et comment vois-tu le rôle de la fantasy à une heure moderne de plus en plus grise et métallique ?

Je ne me questionne plus sur le genre depuis la fin de mes études littéraires. Je me contente de lire ou d’écrire. Je peux utiliser le concept pour aider un autre lecteur à comprendre de quoi il s’agit, parce que parfois c’est opérationnel : tu lui dis « c’est une dystopie », et ça peut faciliter le choix. Mais cela enferme aussi bien le lecteur que l’écrivain.

Le rôle trop facilement dévolu à la fantasy est de permettre au lecteur de s’évader vers un univers aux codes ancestraux, en utilisant la magie, les bestiaires, le fer et le feu. On lui oppose souvent la SF qui traiterait seule des questions qui engagent notre avenir : surpopulation, écologie, intelligence artificielle, génétique et mutations. Mais ce sont des questions de notre temps, elles feront place à d’autres (si nous sommes encore là pour nous les poser).

La fantasy charrie des problématiques intemporelles : la place de l’homme dans la création, son rapport à la nature, la question de la force et de la loi, la place de l’individu dans une société, l’ubris des héros. Franck Ferric et son tueur de dieux, si ce n’est pas une question importante ! Tolkien qui achève Le Seigneur des Anneaux en affirmant la fin des merveilles et le début du règne des hommes, c’est une sacrée prise de position ; on peut voir cela comme un regard très désabusé, ou mélancolique que j’aime beaucoup, mais qui pose question.

Dans Rivages, la Nature a repris ses droits et les hommes sont retournés à la Terre pour vivre au sein de villages en se mêlant à d’autres peuples. Ton récit pourrait-il être une forme d’utopie saupoudrée du mythe du bon sauvage de Rousseau ?
Quelles sont les limites de ce futur verdoyant pour l’humanité ?

Non, pas d’utopie chez moi, juste une quête. Je n’adhère pas au fantasme de l’homme qui naîtrait naturellement bon, et ce que j’apprécie chez Rousseau, ce sont ses Rêveries, plus que sa philosophie. Il est vrai que je montre dans ce récit une forme de vie simple, un appel — naïf peut-être — à une forme de décroissance, mais tout ceci est construit car je ne crois pas que naïveté et bonté fassent bon ménage. Il faut les connaissances, la culture, des bases solides pour savoir ce que l’on veut et quel avenir bâtir.

Les limites de ce futur verdoyant ? Si j’écoute certains scientifiques et si je fais un peu de SF (aïe ! certains vont encore crier au mélange des genres…), je verrai bien un scénario encore plus probable que ce que je propose dans Rivages : notre espèce disparaîtra et le vivant poursuivra son chemin.

Outre ses aspirations écologistes, ton roman nous parle d’amour comme aurait pu le faire Tolkien avec Beren et Lúthien ou Arwen et Aragorn. L’amour au cœur d’un récit fantasy, n’as-tu pas peur du grand méchant cliché ?
Comment expliquerais-tu le lien entre cette romance et le reste de ton histoire au lecteur ?

Je n’ai pas peur du cliché, ils sont utilisés partout en littérature. L’important, c’est ce que tu vas en faire. Il n’y a pas de romance dans Rivages, il y a une rencontre, un lien et des questions. Le héros cherche sa place ; il est partagé entre de nombreuses aspirations, comme la soif de voyager, le besoin d’être utile, la nécessité de trouver un équilibre, l’envie d’être deux. Comment pourrait-il trancher ? Est-il maître de son destin ou bien les contingences forceront-elles son choix ?

Écologiste ? Je ne le voyais pas ainsi, mais je laisse les lecteurs en décider. Une fois le récit publié, il ne t’appartient plus vraiment.

Les Rivages du roman renvoient aux origines du peuple Ondin. Peut-on être un peuple entier sans connaître le lieu de ses propres origines ? Pourquoi le commencement a autant d’importance pour l’être humain à ton sens ?

C’est bien là une question de voyageur : d’où vient-on et a-t-on besoin d’un ancrage ?
Joachim du Bellay a donné sa réponse :

« Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,
Ou comme cestuy-là qui conquit la toison,
Et puis est retourné, plein d’usage et raison,
Vivre entre ses parents le reste de son âge !
»

Je ne suis pas certain que l’ancrage soit obligatoirement la famille génétique ou le terroir, peut-être davantage ceux que l’on a choisi et l’endroit où on se sent le mieux.
Les Ondins connaissent le lieu de leurs origines, mais ils n’y ont plus accès. Toute la question en effet est de savoir s’il est réellement primordial de retrouver ses racines. Les mythes sont-ils tellement importants ?

Guyane

Objectivement, je n’en sais rien. Toujours est-il qu’ils nous baladent beaucoup : nous serions à l’image de Dieu, façonnés avec de la boue ou de l’argile, androgynes coupés en deux, poussière insufflée du divin, etc. Est-ce simplement une question d’orgueil ? à savoir que les humains refuseraient de n’être que des animaux parmi d’autres : ils auraient besoin d’être plus que de la chair, et voudraient une âme et un refuge pour cette dernière après leur mort. Je pense qu’il y a autre chose que de l’amour-propre ; à ce stade, nous touchons à la question du divin, pour laquelle je n’ai pas de réponse.

Dans Rivages, nous nous trouvons face à des peuples usés, fatigués. Tous habitent une forêt incarnée : le héros et sa cité post-apocalyptique à bout de souffle, les ondins et leur sédentarité confortable mais étouffante, enfin les fomoires et leurs rêves de revanches en rangs serrés, mais affaiblis par l’errance des voyageurs. Tous cherchent une échappatoire dans un mythe originel ; est-ce pertinent ? Au lecteur de tirer ses propres conclusions.

Si une chose hante ton récit, c’est bien la poésie. Comment expliques-tu l’importance de Baudelaire et des autres poètes dans ton histoire ?

Il y a une réelle beauté dans les mots, un rythme dans la phrase, et le texte devient une mélopée qui m’accompagne dans ma lecture, c’est très agréable. Dans le cas de prose poétique, je trouve qu’au bout de quelques pages, cela peut devenir une musique de fond.

Je crois aussi en la puissance du langage et à celle, encore plus évocatoire, de la poésie. Pour moi, la poésie transcende la littérature, et même la connaissance. Elle est création pure et imagination. Si j’opère une analogie avec notre système de pensée, je crois fermement que l’imagination seule peut sauver notre espèce. Trop souvent, les réponses aux problématiques que nous rencontrons au quotidien, sont que le monde est ainsi fait et que les solutions sont limitées. C’est vrai, dans un système clos et limitant. Il faut peut-être chercher à penser autrement pour briser le cercle vicieux. La plasticité du langage permet d’envisager notre réalité autrement. Une écriture poétique de l’imaginaire devient un outil pour construire un autre réel.

On murmure déjà que ton roman ne serait plus un one-shot et qu’un second, La Fin des étiages, se profile à l’horizon ?
Peux-tu nous en dire plus ? Le one-shot ne te suffisait pas ?

C’est exactement ça !
Rivages était écrit lorsque Gilles l’a accepté. Nous avions là un one-shot. Mais en échangeant avec les tout premiers lecteurs, alors que nous faisions des corrections, je me suis dit qu’il y avait quelques questions en suspens. Tout ça me taraudait et j’ai fini par laisser en plan d’autres projets et je me suis lancé dans La Fin des étiages. Nous venons d’achever les dernières relectures, le projet de couverture avance. Honnêtement, je suis content de ce second volume, très différent du premier ; cela fera un pendant assez intéressant je crois. Je parlais de musique précédemment ; je pourrais dire que Rivages est une mélodie d’Agnès Obel et que La Fin des étiages est un final du style Black wind, fire and steel de Manowar.

Tu as assisté à ton premier festival des Utopiales en tant qu’auteur. Qu’en as-tu pensé ?

Des journées intenses. Je me suis retrouvé quatre jours de rang à rencontrer des libraires, des éditeurs, des organisateurs de festivals, des blogueurs, tous extrêmement accueillants et sympathiques, mais cela me demande beaucoup d’énergie de parler aux gens, je suis plutôt taiseux, alors le dimanche, j’étais vidé. J’ai aussi fait mes premières dédicaces, un moment émouvant tout de même. J’ai profité de plusieurs conférences : le programme est très riche aux Utopiales, c’est fabuleux.

Festival des Utopiales 2019 à Nantes

Quelles ont été tes derniers coups de cœur (livres, séries ou films) et pourquoi ?

J’ai un rapport ambigu à la lecture. À un moment donné de ma vie, elle a représenté pour moi une forme clivante de culture : j’ai eu l’impression que ceux qui maîtrisent le langage et lisent, regardent de haut ceux qui ne lisent pas. J’ai arrêté de lire pendant plus de deux ans — je suis parfois extrême dans mes choix. Et c’est revenu tranquillement, avec des rencontres, des lectures, un besoin d’évasion que seul un livre peut m’apporter.

Côté lectures, je suis resté sur Le Grand marin de Catherine Poulain, un récit hallucinant de pêcheries en Alaska, d’amour et de quête de soi. J’ai adoré La Cité de l’Orque, un solide roman à la trame narrative complexe, mêlant intrigues politiques, ethno-technologie, et science-fiction prophétique féroce. J’en profite pour faire un clin d’œil à mon amie Silène Edgar qui a publié Les Affamés, une anticipation qui prend le contre-pied d’un discours ambiant très moralisateur. C’est très compliqué de parler des séries, j’en aime beaucoup trop pour tenir une liste ; peut-être This is us, Héros, ou encore Into the Badlands.

Un dernier mot pour tous ceux qui vont découvrir ton roman ?

Comme le Voyageur, abandonnez toute attente, laissez les fumées des cités, et prenez le temps d’une intense respiration. Préparez-vous à une immersion dans une forêt d’arbres et de mots, un univers qui ne laisse pas indifférent, entre sylve et rivages, entre mythes et réalité.

Critique du roman Rivages de Gauthier Guillemin

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