La maison haute : Et l’eau lavera le monde…

Une apocalypse sans fureur

Nicolas Winter
Juste un mot
Published in
5 min readDec 18, 2023

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« Tout le monde meurt, mais la terre que nous quittons demeure, on l’espère. » peut-on entendre dire l’un des personnages de La maison haute de Jessie Greengrass alors qu’une nouvelle catastrophe climatique s’abat sur l’humanité. C’est ainsi que pourrait se définir ce roman de science-fiction sous couverture blanche publié chez Gallimard et signée par une Britannique que l’on découvre pour la première fois en langue française.
Parfaitement en phase avec l’éco-anxiété qui gagne du terrain dans nos sociétés modernes, Jessie Greengrass regarde le futur comme un tout inéluctable, comme une fatalité.
L’humanité va mourir, et c’est peut-être mieux ainsi.

« Lorsqu’on dit que quelqu’un a besoin de nous, cela signifie souvent que c’est nous qui avons besoin de lui, ou de son besoin de nous.
Ça nous donne notre position, ça marque nos contours. »

À quoi s’attendre pour la fin du monde ?
Au déluge promis par la Bible ou aux effets pyrotechniques d’un blockbuster hollywoodien un peu kitsch ?
La maison haute choisit une voie médiane, quelque part au milieu de rien, en bord d’un fleuve anonyme, à côté d’un ancien village portuaire qui n’en finit pas de mourir, là-bas dans un futur proche, trop proche.
Nous suivons d’abord Caro, une jeune fille qui vit avec son père et sa belle-mère, Francesca, une universitaire et activiste écologique anglaise.
La vie de cette famille recomposée se voit bouleversée par l’arrivée d’un nouvel enfant, Paul, affectueusement surnommé Pauly par sa demi-sœur.
Mais alors que Francesca découvre que son fils noue davantage de liens avec sa belle-fille qu’avec sa propre mère, elle s’inquiète surtout du destin qui les attend tous.
À la télévision et sur le net, la planète sombre. Incendies, inondations, tempêtes… il n’est plus temps de se réunir et de se fixer des objectifs pour réduire le réchauffement climatique. Il est trop tard. Beaucoup trop tard.
Francesca, pourtant, ne peut pas rester les bras croisés et décide de partir une dernière fois en croisade pour secouer le monde autour d’elle.
Jusqu’à y perdre la vie avec l’homme qu’elle aime.
Pauly et Caro, eux, savent qu’il ne leur reste qu’un endroit où aller, dans cette maison reculée où les spectres de l’enfance rôdent, cette maison haute qu’on ne voit pas depuis la route.
Ils n’ont alors aucune idée de la présence de Grandy et de sa petite-fille Sally, tous deux chargés par Francesca de l’entretien de la maison haute, cet ultime refuge, alors que les eaux montent encore et encore.
Roman lucide, La maison haute n’est plus là pour batailler avec le lecteur comme pouvait le faire encore Kim Stanley Robinson avec son Ministère du Futur. Pour Jessie Greengrass, il est trop tard car nous n’avons rien fait, nous n’avons rien voulu voir et… voilà.
Traversé tout du long par un sentiment de gâchis et une mélancolie lancinante qui prend aux tripes, l’histoire de Caro et de son frère regarde lentement le monde sombrer.

« Et puis il y avait autre chose : cette sécurité et ce confort dont nous jouissions, le chauffage, l’isolation, les plaques de cuisson au gaz et les lumières électriques, ce qui se passait lorsqu’on appuyait sur un bouton, tout cela avait un coût. Pendant des dizaines d’années on avait différé le paiement ou passé la facture aux suivants, mais il faudrait bientôt régler la note, et qui restait-il pour solder les comptes ? »

Mais cette vision des choses n’a rien de globale, elle n’est pas le ressenti de l’humanité entière ou l’exposition sans fin de catastrophes terribles.
La maison haute fait le pari de l’intime, du récit pudique qui sait profiter de la tristesse de ses personnages pour reconstruire le chagrin du monde.
C’est avant tout l’histoire d’une famille qui se décompose et qui se recompose, de l’amour entre Pauly et Caro ébranlé par la perte et le deuil.
Jessie Greengrass explore la relation d’amour-haine qui unit Caro à Francesca, cette mère qui n’en est pas une. Sur celle-ci plane nombre d’interrogations, sur qui elle voulait sauver et pourquoi.
Caro doute, se torture l’esprit, mais elle retrouve une braise encore rougeoyante de courage en Pauly, ce gamin qui aime les oiseaux et les pierres. En face, Grandy et Sally forment un tout plus conventionnel, un grand-père et sa petite-fille venue là presque par hasard.
Le vieil homme incarne la mémoire des lieues. Lui aussi a connu des inondations, lui aussi a connu des catastrophes.
Il sait, mieux que personne, que lorsque l’eau déborde, les hommes disparaissent.
Lentement, minutieusement, Jessie Greengrass tisse des liens invisibles entre ses survivants, elle raconte comment ceux-ci s’accrochent à la vie alors que tout le monde disparaît autour, comment la colère et la peur se disputent le cœur de Sally.
Surtout, elle constate à la fin que personne ne survivra, que nous ne sommes rien sans l’électricité qui nous éclaire et nous réchauffe.
La maison haute n’est en aucune façon un roman d’action, il n’est pas là pour vous entraîner dans des péripéties extraordinaires mais pour vous faire ressentir au plus près les sentiments les plus intimes de ses personnages, pour vivre l’apocalypse telle qu’elle sera certainement pour la plupart d’entre nous : lente, implacable et quasiment silencieuse.
Privé de tout, l’humain devra alors compter sur ce qui lui restera en dernier : l’amour et la chaleur de ceux qu’il considère comme les siens, sa famille pour le crépuscule.

Magnifique roman de fin du monde, préférant l’intime et la pudeur aux combats grandiloquents perdus d’avance, La maison haute est un peu le genre de livre qu’on lit au coin du feu à la campagne en se demandant quand viendra la fin… et pourquoi diable nous n’avons rien fait pour l’empêcher ?

Note : 9/10

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