La Survie de Molly Southbourne

(Re)devenir soi

Nicolas Winter
Juste un mot
Published in
4 min readMay 4, 2020

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Éditions du Bélial’, Collection Une Heure-Lumière, 128 pages
Traduit par
Jean-Daniel Brèque

Sanglante surprise de l’année 2019, Les Meurtres de Molly Southbourne avait mit tout le monde d’accord quant au talent de l’écrivain britannique Tade Thompson. Depuis lauréat du Prix Julia Verlanger, l’histoire de Molly se poursuit avec une seconde novella dans la même collection Une Heure-Lumière et toujours traduit par l’excellent Jean-Daniel Brèque.
La Survie de Molly Southborne prolonge-t-elle l’expérience de façon satisfaisante ?

« La solitude est un lourd fardeau qui essaie constamment de me plonger dans le désespoir. »

molly ou Molly ?

Dans Les Meurtres de Molly Southbourne, Tade Thompson nous présentait Molly, une jeune femme avec une particularité bien embarrassante : elle crée des doppelgängers (comprendre des doubles) hyper-agressifs à chaque fois qu’elle saigne. Dès lors, la vie de Molly devient un combat de tous les instants, éduqués par ses « parents » pour faire face à l’apparition répétée de ces mollys.
En transformant littéralement le sang en malédiction et en réfléchissant sur le passage à l’âge adulte par le prisme de la détestation de soi, Tade Thompson avait réussi un tour de force littéraire aussi palpitant qu’intelligent. À la fois exploration de fantasmes morbides et d’interdits anthropologiques, le premier volume ne laissait pas forcément entrevoir une suite…et pourtant !
La Survie de Molly Southbourne reprend la où c’était arrêté le précédent ouvrage et lâche Molly Prime (l’originelle) pour l’un de ses doubles : molly.
Changement de point de vue cette fois puisque molly n’a plus la faculté de faire apparaître des autres exemplaires d’elle-même en saignant.
Une libération ? Pas vraiment car molly reste hantée par les souvenirs de Molly Prime et qu’elle se retrouve face à une nouvelle curiosité : Tamara.
Tamara possède le même don mais…ses doubles ne tentent pas perpétuellement de la détruire. Ce qui change radicalement la donne et les rapports entre Tamara et les tamaras.
C’est aussi l’occasion pour molly d’en apprendre plus sur son passé et de décider ce qu’elle fera de son avenir…

« Je ne suis qu’une copie imparfaite, une contrefaçon. Comme le roitelet que j’ai vu l’autre jour. La légende fait de lui « le roi des oiseaux », mais on dit qu’il s’est planqué dans les plumes de l’aigle royal, lequel lui a servi de tremplin lorsqu’il s’est élevé plus haut pour gagner sa couronne. Je suis planquée dans les plumes de Molly, mais pas de couronne pour moi, car je ne deviendrai ni reine ni cavalier. »

Approche psychiatrique en mode fantastique

Si La Survie de Molly Southbourne semble nettement moins forte que son prédécesseur, c’est avant tout parce qu’il n’expose plus les idées géniales du premier volume mais les prolonge.
Pour autant, ne vous y trompez pas, Tade Thompson ne perd rien de son talent. Chose primordiale : Thompson est psychiatre avant d’être écrivain…et son approche fantastique en devient d’autant plus savoureuse.
Explications.
Loin d’être un roman horrifique ou fantastique ordinaire, La Survie de Molly Southbourne offre une occasion formidable à Tade Thompson d’explorer la maladie mentale (notamment le trouble dissociatif mais cela peut s’appliquer à bien d’autres pathologies psychiatriques comme le syndrome de stress post-traumatique dont fait l’expérience molly au fur et à mesure de l’histoire).
Là où Les Meurtres de Molly Southbourne métaphorisait la maladie mentale sur le plan somatique en montrant une jeune femme en lutte avec elle-même (comme un patient psychiatrique au risque auto-agressif très élevé, ce qui représente la grande majorité des cas de pathologies psychiatriques contrairement aux idées reçues), La Survie de Molly Southbourne devient une sorte de thérapie pour la partie survivante de la personnalité de Molly.
Cette image devient de plus en plus brillante avec la rencontre de Tamara, autre patiente qui vit sa pathologie d’une façon entièrement différente.
Au contraire de la combattre et de la refuser, elle l’accepte et reconstruit son monde pour être en harmonie. Dès lors, molly comprend (et elle avait déjà commencer à le faire dans le volume précédent) qu’il y a une autre voie pour traiter sa « maladie », celle du changement, de l’éducation et de l’entraide.
La Survie de Molly Southbourne ne focalise plus son action sur une réponse brutale à un phénomène brutal mais apprend à réfléchir sur les solutions possibles à une pathologie auto-destructive.
Une sorte de retour aux fondamentaux ouvrant la voie à une seconde renaissance.
Alors que la première histoire insistait sur l’aspect violent et profondément organique de la malédiction de Molly, cette seconde aventure choisit un chemin de traverse pour détricoter tout ce que l’on pensait savoir.
Continuant son approche psychiatrique et grâce à l’apport de Tamara, Tade Thompson montre que l’inné ne fait pas tout. Ce qui diffère grandement entre les deux personnages, c’est aussi l’environnement et l’éducation. L’intrication du tout mène ici à deux destins différents et, en un sens, complémentaire.
Cette suite apporte donc une plus-value fondamentale et transforme clairement l’inventivité de son auteur en une métaphore psychiatrique particulièrement brillante (et pas le moins du monde rébarbative !).

Certes le sentiment de nouveauté n’est plus là mais La Survie de Molly Southbourne prolonge de façon extrêmement intelligente une histoire brillante et passionnante où l’empathie et la compréhension de la maladie sont au centre des préoccupations de Tade Thompson. Vivement la suite !

Note : 9/10

→ Critique des Meurtres de Molly Southbourne de Tade Thompson

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