La Trilogie du Rempart Sud, Volume 2: Autorité
Lapins blancs et souris morte
→ Critique du premier tome, Annihilation
→ Critique du troisième tome, Acceptation
Un phare.
Trente ans plus tôt, un gardien et une petite fille posent pour une photo-souvenir.
Trente ans ont passé et la côté oubliée n’est plus la même. Un événement s’est produit, quelque chose d’extraordinaire et de terrifiant.
La côte oubliée est désormais connue sous le nom de Zone X. Un endroit surnaturel habité par une nature immaculée d’où personne ne revient…ou presque.
Pour surveiller ce lieu, un complexe secret a été construit et une organisation tout aussi secrète l’occupe : Le Rempart Sud.
La douzième expédition envoyée au cœur de la Zone X est revenue…changée.
Promu au poste de directeur du Rempart Sud avec la disparition de sa directrice — la psychologue qui comptait parmi les membres de la douzième expédition — Control pénètre dans un monde étrange. Au Rempart Sud, les choses se déroulent différemment, le secrets s’accumulent et les dossiers s’entassent.
Sa mission est simple : faire la lumière sur la Zone X pourtant restée impénétrable depuis trente ans. Pour cela, il va devoir interroger le personnel du Rempart Sud mais également les survivants de la douzième expédition. En particulier la biologiste qui intrigue Control. Celle-ci est différente des autres. Elle sait des choses mais ne s’en souvient pas.
Commence alors une enquête qui va le plonger au cœur de la folie entre lapins blancs et souris mortes.
Voici un an qu’Au Diable Vauvert a eu l’excellente idée de traduire en français le premier volume de La Trilogie du Rempart Sud de l’américain Jeff Vandermeer. Si ce nom ne vous dit encore rien, ce ne sera bientôt plus le cas. D’abord, parce qu’il va vraiment falloir qu’un jour les lecteurs français s’intéressent à ce génie littéraire capable de pondre un chef d’oeuvre comme Veniss Underground, ensuite parce que le premier tome de la trilogie sus-nommée va sortir début 2018 sur les écrans sous le titre d’Annihilation grâce à Alex Garland (réalisateur d’Ex Machina). Avant cette adaptation cinématographique, Au Diable Vauvert propose le second volet intitulé Autorité grâce aux bons soins de Gilles Goullet. L’occasion de se rendre compte à quel point Jeff Vandermeer est un auteur hors-norme et à quel point la Zone X n’a pas finit de nous terrifier.
Autorité aurait pu être une suite directe et facile des aventures de la biologiste, principale protagoniste d’Annihilation. Il aurait pu être un roman très semblable à son prédécesseur en somme.
Mais ce serait bien mal connaître le cerveau bouillonnant de Jeff Vandermeer.
Au lieu de repartir dans la Zone X, l’américain explore l’un des échelons au-dessus : Le Rempart Sud. Le nom désigne à la fois une organisation secrète quasiment tombée dans l’oubli et le lieu qui borde la frontière, la porte d’entrée de la Zone X. Cette fois, le lecteur ne suit pas une expédition mais une sorte d’enquête matinée d’espionnage à travers les yeux d’un homme plein de secrets surnommé Control (comme la biologiste qui n’a pas de véritable nom).
Si la menace de la Zone X est omniprésente, elle se fait moins directe, on ne baigne plus littéralement dedans. Jeff Vandermeer nous emmène dans un endroit pourtant tout aussi inquiétant.
Inquiétant. Voilà.
L’adjectif exact qui permet de décrire l’horreur que développe patiemment Vandermeer dans son roman.
Les choses qui se déroulent dans le Rempart Sud sont inquiétantes. D’abord de façon tout à fait discrète puis, petit à petit, elles prennent de l’importance. Elles envahissent le champ de vision. A un certain point, on ne pense plus qu’à ça.
L’horreur d’Autorité se construit sur un mode lent, patient, prédateur. La Zone X, protagoniste de fond et non plus de premier plan, devient un objet de terreur sourde. Control découvre peu à peu des faits étranges, des éléments perturbants…sans que l’on sache véritablement mettre le doigt sur ce qui fait naître cette inquiétude. L’incongru arrive dans le récit par petites touches : une souris morte dans un tiroir à côté d’une plante qui refuse de mourir. Des tas de dossiers qui s’accumulent comme autant de strates sédimentaires. Des mots incompréhensibles mais menaçant derrière une porte oubliée. Des échanges avec les scientifiques, la directrice-adjoint ou le naturaliste qui sèment le doute. Vandermeer prend son temps et vous offre une peur qui vous imprègne au lieu de vous exploser directement à la figure.
Le lecteur est un marécage qui prend l’eau au fur et à mesure de l’histoire.
L’ambiance cotonneuse fait finalement place à la terreur quand les choses s’accélèrent. Lorsque Control consulte des vidéos cryptiques qui en disent juste assez pour glacer le sang du lecteur. Pas grand chose. Des hommes face à une caméra qui ne peuvent faire autre chose que de regarder avec terreur l’objectif…car le reste est impossible à regarder. La capacité de Vandermeer à évoquer l’horreur au lieu de l’invoquer fait mouche de façon encore plus efficace que dans le précédent volet. Pour envahir l’esprit du lecteur, l’américain fait appel à des mots-clés obsédant, des leitmotivs qui n’arrêtent pas de se répéter. Il arrive à effrayer avec des choses pourtant tout à fait banales. C’est leur répétition, leur omniprésence à l’orée de l’enquête qui en font des choses terrifiantes. Comme l’odeur d’un détergent ou une vieille photo contre un mur. Plus intelligent encore, ce procédé renvoie au fameux conditionnement que subissent certains personnages. Vandermeer nous conditionne par la lecture de certaines phrases et mots-clés. Il arrive à faire correspondre son intrigue à la forme de sa terreur.
Derrière cette malice, il dresse le portrait de personnages tout aussi étranges. Un naturaliste obsédé par le terroir, une directrice-adjointe qui révère l’ancienne directrice, un scientifique qui a peur du silence… Cette galerie porte pourtant cette fois des noms, contrairement à l’équipe d’Annihilation. Même Control finira par en porter un. Parce qu’on est en dehors de la Zone X et qu’il reste un peu d’humanité… mais pourra-t-elle tenir longtemps ?Autorité parle de l’emprise, parle d’autorité (d’où son titre). Control est sous l’influence de Central, de sa mère, de la directrice-adjointe, de toutes ces choses qu’il découvre. Qui commande au Rempart Sud ? Central ? La Voix ? La directrice ? Ne serait-ce pas simplement la Zone X, monstre tentaculaire qui attend la gueule pendante dans l’ombre ? Rien n’est forcément clair dans ce marécage trouble qu’est Autorité. Rien. Et pourtant tout est si évident. Une souris morte. Une plante. Un mur de mots. Un phare.
Jeff Vandermeer, on le sait depuis La Cité des Saints et de Fous, aiment faire naître l’horreur du naturel, du terroir. Pas de champignons tueurs ici ou de Suricates modifiés génétiquement, mais l’impression que la Zone X est une menace écologique. Un retour forcé à une Nature incompréhensible et donc hostile. Une Nature que l’on a trop violé ou trop contaminé avec des espèces invasives (la scène avec les lapins blancs). Une horreur venue de la terre elle-même. Impossible à arrêter. Une horreur écologique rampante. Envahissante.
Au milieu de cette enquête, le lecteur devient aussi paranoïaque que Control. Tout, absolument tout, devient suspect. Personne n’est fiable ou tout le monde l’est. La peur et la paranoïa s’accouplent. La folie, leur enfant. On le sent, on le redoute… comme dans Annihilation, Control perd les pédales. La Zone X, plus qu’une simple menace physique, est avant tout une menace psychologique pesante, écrasante. Control perd le contrôle. Autorité perd son emprise. Et le navire chavire. Il faudrait un phare au lecteur, ce sera Control lui-même, qui lutte, persuadé que la clé repose dans les souvenirs de la biologiste qui n’est pas la biologiste. Tout se dirige vers une fin répondant autant aux questions du récit qu’en posant de nouvelles. Un épilogue au bord du gouffre où le lecteur saute sans s’en rendre compte.
Annihilation était une promenade virant au cauchemar.
Autorité est une enquête inquiétante qui finit dans l’horreur.
Autorité, c’est un peu cette petite écorchure sur le palais qui n’a rien de très grave mais que l’on arrête pas de triturer de la langue. Qu’on fouille sans y penser et qui devient obsédante. Qui devient terrifiante.
Le roman de Jeff Vandermeer vous attend là, derrière la porte, sous les mots contre le mur, à côté d’une plante vivace et d’une souris morte.
Note : 9.5/10
→ Critique du premier tome, Annihilation
→ Critique du troisième tome, Acceptation
→ Critique de Veniss Underground