Le Syndrome Magneto : Et si les méchants avaient raison ?

La fin justifie (peut-être) les moyens…

Nicolas Winter
Published in
4 min readApr 12, 2023

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De tous temps, et encore davantage avec la pop culture moderne, le méchant a toujours eu un rôle déterminant dans le récit.
Au cinéma, en littérature, en série, point d’enjeu palpitant sans grand méchant derrière. Tant et si bien qu’on en viendrait presque à se souvenir davantage du vilain que du héros. Un comble !
Tout le monde aime Batman…mais quand même le Joker…
Les Stark, c’est bien sympathique mais Cersei Lannister c’est autre chose !
Les X-Men sont vraiment cool mais Magneto, il est ultra-classe, non ?
Oui, le super vilain vole très souvent la vedette au gentil de l’histoire, et ce n’est pas pour rien !
Benjamin Patinaud, alias Bolchegeek sur YouTube, s’est donc plongé dans cet étrange phénomène dans Le Syndrome Magnéto, un essai de 400 pages publié Au Diable Vauvert et qui se pose la question qui dérange : Et si les méchants avaient raison ?

« Par quelle tragique ironie, alors qu’on est animé par un idéal juste, devient-on le méchant ? »

De Magneto à Malcolm X

Le pari de Benjamin Patinaud est aussi simple que casse-gueule : partir d’un des méchants les plus emblématiques de la pop-culture, à savoir Magnéto, pour en tirer un syndrome qu’il va passer au crible afin de vous expliquer pourquoi nous sommes tant fascinés par ceux que l’on devrait, en toute logique, détester. Au fil de son exploration des grandes figures de super-vilains, de Thanos à Ozymandias en passant par Koba, l’auteur dresse un portrait type du méchant, il analyse les points communs et les différences qui existent entre eux, tente d’en tirer des enseignements.
Pour cela, il parcourt notamment le monde du comic book américain et fait de Magneto, l’un des méchants les plus emblématiques qui soit, le saint patron de ceux que l’on doit stopper à tout prix.
Ceux qui pensent que la fin justifie les moyens.
En mettant en rapport l’Histoire (avec un grand H) et les différentes œuvres où ces méchants surgissent, Benjamin Patinaud analyse les rapports entre le réel et la fiction, où comment, d’une certaine façon, tout devient politique dès lors que l’on se penche sur ce que raconte les faits et gestes des personnages de fiction. D’autant plus quand les auteurs derrière sont connus pour adorer mélanger politique et fiction. N’est-ce pas Grant Morrison ?
Le Syndrome Magnéto immerge son lecteur dans ce que l’on pourrait aisément qualifier de l’oeuvre du Mal au cinéma ou en littérature.
Là où les choses deviennent plus intéressantes, et au-delà des échos du réel dans la fiction, c’est lorsque l’auteur tente d’opérer un changement de paradigme en se demandant si, au fond, notre vision du méchant n’est pas biaisée par notre idéologie, notre société et la façon dont on nous présente les choses. Et si nous avions fait fausse route sur les méchants depuis le début ?

« Modifier la distribution des rôles constitue une transgression d’un récit établi. Ce qui n’est pas encore la norme fait figure d’originalité et séduit le public, mais pour briser les codes, il faut d’abord que ceux-ci aient été mis en place. »

Produits idéologiques

Dès lors, Le Syndrome Magnéto se dévore. D’abord parce que Benjamin Patinaud déploie son érudition coutumière pour traverser les époques et les mythes, et ensuite parce qu’il est tout à fait capable de se rendre compte que nous sommes tous, consciemment ou non, façonnés par une idéologie.
Y compris l’auteur du présent ouvrage qui finira, forcément, par aller très à gauche dans sa représentation politique. Mais pour quelqu’un qui s’appelle Bolchegeek, vous vous attendiez vraiment à autre chose ?
Ce qui est remarquable cependant, c’est que cette vision très à gauche du méchant, même si elle entre en contradiction avec votre propre idéologie, est suffisamment étayée et exploitée pour que l’on y trouve matière à réflexion. Une sorte d’ouverture du débat sur le rôle du méchant et ce qui fait que nous, lecteurs et spectateurs, le percevons comme tel.
En abordant des sujets d’une actualité brûlante tels que l’écoterrorisme ou la place du queer dans notre culture, Benjamin Patinaud passionne et force à s’interroger sur des éléments qui, peut-être, nous aurons échappé jusque là. C’est certainement ce qui rend son essai aussi passionnant d’ailleurs, cette capacité à surprendre et à creuser toujours plus loin tout en gardant le fil rouge Magneto pour raccrocher l’ensemble des wagons/chapitres.
En fin d’ouvrage, et pour parfaire le tout, vous trouvez également une galerie de méchants célèbres avec des réflexions autour de leurs actions. L’occasion de se rappeler aussi que certains méchants n’ont, finalement, pas grand chose de méchant quand on y regarde de plus près.
Un basculement qui donne envie de se replonger dans toutes les grandes œuvres de fiction mentionnées dans le bouquin…et une preuve supplémentaire que Benjamin Patinaud a bel et bien atteint son but.

Essai transformé pour Benjamin Patinaud avec ce passionnant (et dense) essai sur le rôle sociétal du héros passé au prisme de la pop culture et au gré de nos conceptions idéologiques.
Le Syndrome Magneto risque bien de rebattre les cartes du Bien et du Mal que vous pensiez pourtant solidement ancrées dans votre esprit, soyez prévenus.

Note : 8.5/10

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