L’Enfant chamane et autres bestioles à plumes, à poils, et à peaux : Fragments d’histoires tendrement bizarres !

Et sans parler du Chat !

Nicolas Winter
Published in
5 min readFeb 22, 2024

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Auteur d’un sacré pavé en 2019, Souviens-toi des monstres, et d’un plus léger Tamanoir l’année suivante, Jean-Luc A. d’Asciano nous revient cette fois dans une forme courte avec L’Enfant chamane et autres bestioles à plumes, à poils, et à peaux. Derrière ce titre à rallonge pour le moins intriguant se cache un court recueil de nouvelles qui cherche à tromper son monde, feignant de croire que l’imagination du français évolue dans des univers séparés alors qu’on peut voir les trait d’unions entre les récits, comme autant de coutures volontairement laissées à l’air libre par son auteur. Que cache donc ce brodeur d’histoires sous cette étrange couverture rose et violette signée Elena Vieillard ?

« Nous rions à la vie, à la joie et au voyage.
Et à la sauvagerie.
La sauvagerie de celui qui jamais n’est domestiqué.
Nous rions d’être vivants. »

Parmi les dix nouvelles de ce recueil, des êtres fabuleux sortis tout droit de l’ordinaire. Un gamin qui vit dans une famille compliquée, des parents déboussolés par la maladie de leur enfant, un Chat certainement trop bavard pour être honnête, des Siamois dont le chant a quelque chose d’extraordinaire ou encore une adolescente qui n’en peut plus de la cigogne ramenée par son père. De ces gens à la fois ordinaires et improbables, d’Asciano va tirer des récits fantasques où son style clair et ruisselant, qui poétise tout ce qu’il touche sans même y prendre gare, permet au quotidien de revêtir les oripeaux de la fable.
Mais chaque nouvelle n’est pas autonome, pas vraiment.
On retrouve de-ci de-là des rappels, des correspondances, des clins d’œil. Un docteur Loizeau ou un Chat, un SDF et ses chiens ou encore une cigogne presque fantomatique. L’univers tissé au gré de ces dix nouvelles acquiert alors une cohérence nouvelle, offrant au lecteur un rêve étrange qui le tient à demi-éveillé devant ces faits rapportés, ces étrangetés qui surgissent alors qu’il ne s’y attend pas.
Quatre nouvelles forment la « Tétralogie chamane » et se raconte par l’entremise d’un jeune garçon qui semble pouvoir communiquer avec les animaux. Et pas seulement ce satané Chat ou l’Ourse du cirque qui a élu momentanément domicile à côté de chez lui. Sa famille, comme on l’a dit plus haut, n’est pas des plus simples puisque son frère semble sujet à des accès de violence et qu’il entend même des voix dans sa tête. Le pauvre.
Ne parlons d’ailleurs pas de Régis. Jamais
Au cours de ces quatre histoires, d’Asciano capture le quotidien de ce jeune garçon et de sa façon unique de voir le monde, une manière décalée et tendre qui effleure souvent des éléments monstrueux du bout du doigt. Parce que le sombre règne dans les recoins et que d’Asciano aime les fouiller régulièrement.
Ce qu’il aime également, c’est tirer le portrait à des personnages marginaux, un peu fous (voire même beaucoup) qui vont souvent épuiser leurs proches. Demandez à Monsieur et Madame Toutou, ils vous en diront de belles sur leur fils qui refuse obstinément de ranger son appartement.
Adressez-vous aussi à cette jeune fille dont le père ne cesse de ramener tous les animaux qu’il croise. Même les plus inattendus, comme cette cigogne qu’il pourrait bien confondre avec une épouse aux plumes tranchées. Ou à ce SDF qui entre dans une forteresse de ronces avec ses deux chiens. Tout cela paraît bien absurde en vérité.

« Moi qui n’ai fait que tuer, j’aimerais être ému par ce qui ne m’a jamais ému : des rires d’enfants, un corps lové contre le mien, la chaleur de la peau, des cheveux à l’odeur de d’une, le goût du sel sur la rondeur d’une épaule, une main et une main minuscule, une berceuse, une langue qui se fraie un chemin entre les lèvres, une femme donnant le sein, des rires d’enfants et d’épouse mêlés. »

Pourtant, c’est par ce sens de l’absurde, du bizarre, du grotesque, de l’étrange que L’Enfant chamane et autres bestioles prend tout son sens.
Voici un ensemble d’histoires qui retrouve l’humanité de ses personnages en fouillant dans les folies — grandes et petites — de chacun d’entre eux.
La beauté surgit chez d’Asciano lorsqu’on y pense le moins et l’on comprend, petit à petit, que c’est l’incongruité des situations et des pensées de ses personnages qui amène le lecteur à les regarder sous un jour nouveau, faisant de ces marginaux de magnifiques exemples de notre humanité perdue. C’est aussi une façon en apparence légère d’aborder des sujets très graves. Qu’il s’agisse du destin tragique d’un enfant difforme, de la maladie psychiatrique qui condamne à l’isolement ou au suicide, ou de ces hommes qui enferment et tuent les animaux qu’ils croisent sans comprendre la beauté qu’ils détruisent.
À plus d’un titre, la dernière nouvelle, la seule clairement science-fictive du lot et que n’aurait pas renié un certain Paolo Bacigalupi, synthétise parfaitement l’équilibre opérée par d’Asciano, cette volonté d’absurde pour illustrer la faillite de l’homme mais aussi l’espoir.
L’espoir d’un survivant tellement modifié et tellement ravagé par la guerre qu’il ne lui reste plus que les pilules pour oublier et les fantômes pour compagnie. La beauté du tragique rencontre l’extraordinaire et l’impossible, transformant l’homme-monstre en un témoin de sa propre humanité.

Surprenant, à la fois tendre et grave, absurde et cruellement réaliste, L’Enfant chamane et autres bestioles à plumes, à poils, et à peaux tisse des liens entre ses histoires pour offrir un magnifique moment de littérature surréaliste. Du fantastique à la science-fiction, Jean-Luc d’Asciano vous invite à l’ailleurs, autrement.

Note : 8/10

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