Les Proies

Guerre et Tentation

Nicolas Winter
Juste un mot
Published in
4 min readSep 5, 2017

--

Prix de la mise en scène, Festival Cannes 2017

C’est dans un pensionnat pour jeunes filles que la réalisatrice américaine Sofia Coppola a choisit de poser sa caméra quasiment quatre ans après son dernier long-métrage, The Bling Ring. Nouvelle adaptation du roman éponyme de Thomas P. Cullinan après le film de 1971 de Don Siegel, Les Proies s’intéresse à la vie en temps de guerre, en l’occurrence la Guerre de Sécession, de six jeunes filles placées sous l’autorité de Martha Farnsworth. Alors que l’une d’entre elles cueille des champignons dans la campagne, elle découvre par hasard un soldat yankee blessé : John McBurney. En le ramenant au pensionnat, elle déclenche une série événements incontrôlables. Taillé sur mesure pour Sofia Coppola, le sujet des Proies constitue une formidable opportunité pour parler de la figure féminine. Une occasion que la réalisatrice de Virgin Suicides et Marie-Antoinette ne pouvait pas décemment laisser passer.

Dans une atmosphère feutrée, quasiment fantomatique, les jeunes filles du pensionnat vivent dans un système en vase-clos. Tâches ménagères, couture, chants, musiques et autres leçons de français, les jeunes demoiselles s’ennuient. L’arrivée d’un personnage masculin va légitimement tout changer. D’autant plus qu’il ne s’agit pas simplement d’un homme lambda, mais d’un soldat, quintessence de la virilité dans l’esprit des jeunes filles. Cet élément perturbateur va non seulement rompre l’équilibre qui règne dans le pensionnant mais libérer passions et pulsions inavouées. Coppola, grâce à une mise en scène épurée et froide, nous plonge dans un huit-clos aseptisé. Le cadre, extrêmement important ici, fait entrer le métrage dans un simili-film de fantômes où les funestes coups de canons rappellent périodiquement que la réalité de la guerre n’est jamais loin. Remarquable de bout en bout, la mise en scène a pourtant une conséquence inattendue et dommageable : elle amoindrit les possibilités en termes de tension dramatique.

Le principal problème des Proies réside dans son incapacité à devenir un récit tendu et, avouons-le, pervers. Pourtant, les choses commencent bien avec l’introduction du personnage de Colin Farrel, impeccable de bout en bout, dans ce pensionnat hors du temps. Coppola nous montre alors la lente altération des esprits, produit des désirs refoulés des jeunes adolescentes et de leurs fantasmes inavoués. Outre les enfants candides, ce sont les trois vraies femmes de la maison qui vont avoir une influence sur le déroulement du récit. Chacune figurant une facette de séduction/amour différente. Kirsten Dunst incarne l’amour romantique à travers le personnage délicat d’Edwina Morrow tandis qu’Alicia, jouée par une Elle Fanning décidément parfaite pour ce genre de rôle, montre une facette plus vénéneuse et manipulatrice. Au milieu se trouve Nicole Kidman qui représente l’amour sage, celui qui réfléchit et prend son temps. En opérant un choix entre elles, le soldat déclenche une nouvelle guerre qui finira par causer sa perte. Ce n’est pas un hasard si le titre original de Les Proies est The Beguiled (le séduisant) puisque toute l’intrigue se base sur le rapport de séduction entre cet espèce d’idéal masculin et les diverses femmes présentes dans le pensionnant.

Pourtant, Sofia Coppola n’arrive pas à prendre le virage qui transformerait Les Proies en un récit tendu et anxiogène. A l’instar de sa mise en scène volontairement glacée, ses personnages restent prisonniers d’un tableau cinématographique qu’ils ne peuvent dépasser. On se retrouve donc à moitié concerné par l’arrivée (inévitable) du drame. Une chose d’autant plus dommage que Les Proies permet à Coppola de dépeindre des figures féminines fortes qui prennent le dessus sur l’homme. En un sens, le long-métrage fait écho à Virgin Suicides avec ces femmes qui s’ennuient enfermées dans un manoir déprimant. Cependant, le propos de Coppola évolue. La femme n’est plus une victime, elle se révolte. Les vierges prennent le pouvoir ou l’arrachent, mais elles ne subissent plus. Evidemment, on retrouve d’autres éléments intéressants dans ce récit comme la réflexion sur la guerre incarnée par ce soldat qui vient rompre la paix fragile qui règne dans le pensionnant. Dès lors, ce dernier devient un champ de bataille d’un ordre nouveau. Celui des passions et des jalousies mesquines. L’américaine rate cependant le corollaire de cet aspect : la violence. Bien qu’il n’en soit pas dépourvu, le film n’arrive pas à monter en tension et à achever sa métaphore guerrière car il ne parvient simplement pas à exprimer la violence qu’il devrait, logiquement, exprimer. De ce fait, il reste un objet formel remarquable mais qui n’implique pas son spectateur.

Malgré une mise en scène tout à fait formidable, Les Proies ne parvient pas à agripper la tension inhérente à son sujet ni à totalement rendre la perversité de ses querelles amoureuses. Sofia Coppola n’en livre pas moins un film intelligent au casting impeccable dont il serait difficile de faire l’impasse à l’arrivée.

Note : 7.5/10

Meilleure scène : Le plan final

--

--