L’Odyssée des étoiles : Un roman de science-fiction coréenne qui voyage dans le temps

Voyage Temporel au bout de l’univers

Nicolas Winter
Published in
6 min readOct 6, 2023

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Curieusement absente dans l’Hexagone, la science-fiction coréenne est pourtant en plein essor ces dernières années.
Grâce aux éditions Rivages, et plus particulièrement à la toute jeune collection Rivages Imaginaire dirigée par Valentin Baillehache, les lecteurs en quête d’ailleurs pourront enfin se plonger dans les textes de Kim Bo-Young, l’une des autrices coréennes les plus populaires du moment.
Déjà traduite en langue anglaise et même sélectionnée pour le prestigieux National Book Award en 2021, Kim Bo-Young arrive dans la langue de Molière avec L’Odyssée des étoiles, collage de trois textes autour du voyage dans le temps et l’espace. Découvrons ensemble cette nouvelle dimension.

« Je criais toujours quand les choses disparaissaient. Les choses qui se brisent, se désagrègent, vieillissent, se décomposent, deviennent obsolètes, ces choses qui s’effondrent et qui meurent. J’ai toujours pleuré les choses perdues qui ne reviendraient plus. »

Les amants du temps

Divisé en trois parties distinctes, L’Odyssée des étoiles s’appuie en premier lieu sur deux récits épistolaires qui semblent se répondre avec « Je t’attends » et « Je viens vers toi ».
Deux amants décident de se marier.
Problème : ils n’habitent pas du tout dans le même coin de l’univers.
Si vous avez bien suivi vos cours de physique, vous savez que le voyage relativiste pourrait permettre en théorie de franchir d’immenses distances en s’approchant de la vitesse de la lumière. Le temps ainsi écoulé sur le vaisseau pendant ce voyage serait bien moindre que le temps écoulé dans un référentiel terrestre.
C’est pourquoi nos amoureux vont tenter de synchroniser leurs voyages respectifs afin de n’attendre que quelques mois au lieu de plusieurs années avant de se marier. Une excellente idée sur le papier qu’avait déjà utilisé un certain Ken Liu pour sa nouvelle Mémoires de Ma Mère.
Mais voilà, rien ne va se passer comme prévu. Ni pour l’un. Ni pour l’autre.
Dans « Je t’attends », le fiancé tente de tuer le temps en prenant un vol spécialement prévu à cet effet et qui va tourner autour du Soleil. Malheureusement, il reçoit dans l’intervalle une lettre de sa bien-aimé qui lui explique que son propre voyage a été retardé du fait d’un vaisseau à secourir en cours de route. Bien décidé à rester en phase, notre jeune héros va donc changer de bâtiment pour rattraper ce malheureux contretemps temporel. C’est là que les ennuis vont vraiment commencer et que cette expédition assez simple en apparence va peu à peu se transformer en une errance à travers le temps.
À l’origine, cette première histoire fut imaginée par Kim Bo-Young à la demande d’un fan qui désirait l’utiliser pour demander en mariage sa petite amie. Il n’est donc pas étonnant de voir que ce récit de voyage temporel soit avant tout une tentative désespérée pour atteindre un amour qui ne cesse de se dérober. Le second texte, « Je viens vers toi », imagine le miroir du premier, en reprenant cette fois les lettres écrites par la fiancée afin de combler les trous laissés par le précédent tout en abordant les choses sous un angle légèrement différent et éminemment plus social.
Très réussi, les deux textes vont jouer sur des choses différentes.
Le premier adopte une approche presque survivaliste dans laquelle le héros doit composer avec un moyen de transport et des conditions de vie de plus en plus extrêmes, le second fait peu ou prou la même chose mais dans un environnement collectif au sein d’un vaisseau où l’humanité va peu à peu se réorganiser en société autoritaire où la loi du plus fort prévaut. On sent ici l’influence d’un certain Transperceneige sur le récit, d’autant plus évidente que Kim Bo-Young a travaillé comme conseillère en scénario sur le film de Bong Joon-Ho.
En outre, ces premiers écrits s’intéressent à l’Éternel Retour de la civilisation humaine qui semble constamment répéter les mêmes errements, le tout dans un cadre mélancolique et apocalyptique où ce qu’il reste de l’humanité après la fin cherche à rejoindre sa terre natale, quand bien même celle-ci n’existe plus. Pour contrebalancer la noirceur apparente de l’histoire croisée des deux fiancés, Kim Bo-Young va évidemment imaginer une histoire d’amour qui résiste à tout, y compris à l’espace et au temps.
C’est la force des sentiments qui unissent nos deux héros qui va faire toute la beauté finale de leur aventure. Un entêtement à retrouver l’autre qui confine presque à la folie, mais n’est-ce pas le propre de l’amour véritable ?

« J’ai enfin compris que mon chez-moi ne se situe pas dans l’espace. Qu’il est une personne et que cette personne, c’est toi. Tu es mon chez moi, le chez-moi où je veux être. »

Vers l’infini et au-delà

Virage à 180° pour la troisième et dernière partie.
Cette fois, on accompagne un voyageur du temps du nom de Seongha, fils présumé du couple suscité, qui cherche à aller au bout de l’univers.
Rien que ça.
Il n’est plus question ici de récit survivaliste ou de romance mais bien de science-fiction pure matinée de sense-of-wonder et de réflexion métaphysique un peu à la manière de La Nuit du Faune de Romain Lucazeau. Le changement est relativement abrupt et pourrait chagriner plus d’un lecteur.
Scindé en quatre sous-parties, « Ceux qui vont vers le futur » se présente comme une succession de rencontres entre Seongha et d’autres personnages plus ou moins intrigants : une cartographe solitaire en orbite terrestre qui lit Faust, un autre voyageur temporel qui se prend pour Dieu sur une planète reculée, deux survivants humains pas tout à fait sains d’esprit dans un immense vaisseau et une forme de vie dépourvue de corps mais bien fournie en âmes. Chaque rencontre donne l’occasion à Kim Bo-Young de développer davantage ses théories de voyages temporels en tentant de vulgariser la physique qui sous-tend la chose mais elle permet surtout de diversifier ses thématiques : solitude face au néant, interventionnisme dans des cultures en complet décalage technologique ou encore extrapolations sur l’existence d’une nouvelle dimension.
Ce qui rapproche cette dernière partie des précédentes, c’est le même ton mélancolique qu’emprunte le récit de Seongha face aux derniers survivants de l’humanité qui veulent eux aussi retourner chez eux, soit par un voyage impossible soit en reconstruisant ailleurs un ersatz de ce qu’ils ont connu par le passé. Le tout sur fond d’un éternel recommencement, celui de l’univers tout entier. Un univers qui, pourtant, aura lui aussi une fin.
S’il est quand même radicalement différent sur la forme, « Ceux qui vont vers le futur » offre une certaine cohérence sur le plan métaphysique et émotionnel faisant de Seongha un vagabond en quête d’ailleurs et d’une finitude qui ne cesse de ronger l’être humain. De façon surprenante, l’ensemble dégage à l’arrivée une poésie douce et sensible qui parvient à émerveiller son lecteur à la fois par la puissance des sentiments de ses personnages…mais aussi par la grandiosité de l’univers lui-même.

« La naissance et la fin de l’univers sont un seul et unique moment. La lumière vit dans l’éternité, mais elle meurt au moment de sa naissance.
Elle ignore même avoir existé. »

Étrangement cohérent, ce collage de textes science-fictif parvient à émouvoir et à susciter le vertige dans un même élan. Kim Bo-Young écrit l’amour à travers le temps et la grandeur de l’univers à travers des yeux humains. Un premier essai science-fictif coréen réussi.

Note : 8/10

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