Moi, Tonya

La glace et le patin

Nicolas Winter
Juste un mot
Published in
5 min readFeb 27, 2018

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BATFA 2018 :
- Meilleure actrice dans un second rôle pour Allison Janney

Screen Actors Guild (SAG) Awards 2018 :
- Meilleure actrice dans un second rôle pour Allison Janney

Dans la course aux oscars 2018, la véritable surprise ne vient pas de la nomination de Get Out (dont personne ne sait pourquoi il se retrouve là de toute façon) mais de la présence de Moi, Tonya dans la short-list de plusieurs catégories reines. Relativement discret, le long-métrage s’inspire de la vie de la patineuse artistique Tonya Harding, fameuse pour avoir réalisée le premier triple axel en compétition dans l’histoire du patinage…mais aussi pour avoir fomenté l’agression de sa rivale Nancy Kerrigan avant les Jeux Olympiques de 1994 à Lillehammer.
Pour réaliser ce biopic, c’est l’australien Craig Gillepsie (The Finest Hours, Fright Night…) qui mène le jeu et va devoir tisser le portrait le plus réaliste possible de la tonitruante Tonya Harding.
Pour incarner celle-ci, Gillepsie porte son dévolu sur la bombe Margot Robbie (Le Loup de Wall Street, The Big Short, Suicide Squad…) et qui pourtant ne semblait pas forcément être le choix le plus évident pour le rôle. A ses côtés Sebastian Stan (Captain America : The Winter Soldier, Logan Lucky), Allison Janey (Juno, La Couleur des sentiments) et Paul Walter Hauser. Autant dire que l’en est curieux du résultat, d’autant plus quand on sait que Margot Robbie et Allison Janey figurent dans quasiment toutes les short-lists de la saison.

Dire que Moi, Tonya se révèle une bonne surprise serait un doux euphémisme. Le film de Craig Gillepsie est une immense surprise. D’entrée de jeu, l’australien donne le ton avec une mise en scène nerveuse, inventive et une caméra qui ne tient pas en place. Pour accompagner le personnage tumultueux et controversé de Tonya, le réalisateur fourmille d’excellentes idées de mise en scène (notamment durant les sessions de patinage avec ce plan en contre-plongée impressionnant d’intensité) et insuffle une énergie formidable dans sa narration. On se rend compte que Moi, Tonya s’inspire avec joie d’un autre long-métrage qui racontait également les déboires d’une équipe de losers : le génial Pain and Gain de Michael Bay. Sauf qu’ici, c’est une histoire de femmes avant d’être une histoire de compétition ou de crime. Biopic sous amphets, irrévérencieux à souhait et brisant le quatrième mur avec une joie non dissimulée, Moi, Tonya détonne dès les premières minutes. Sa bande-son cartonne et s’inscrit dans le même mouvement que sa mise en scène…et puis…

Et puis…Margot Robbie.
Oui, Margot Robbie. Grimée en Tonya Harding, à peine reconnaissable la plupart du temps, Margot Robbie se révèle E-X-T-R-A-O-R-D-I-N-A-I-R-E. Tout simplement. Non seulement l’écriture de son rôle s’avère plus que parfait (on n’y reviendra) mais l’actrice donne tout ce qu’elle a dans un jeu de larmes et de rires entre deux coups de poings rageurs. Son énergie, sa colère, sa capacité à passer d’un registre à l’autre…Margot Robbie se révèle épatante. Elle l’est d’autant plus que le casting qui l’entoure n’a aucunement à rougir de la comparaison. A commencer par Allison Janey, brillantissime dans le rôle de la mère ordurière et ambiguë. La relation entre les deux personnages/actrices fait mouche en quelques secondes et leurs rencontres à l’écran en devient instantanément jouissive. Même chose pour Sebastien Stan, parfait en loser magnifique. Moi, Tonya est une véritable claque sur le plan du casting. Certaines séquences (notamment celle de Tonya qui se retient de pleurer avant d’entrer en piste) sont mémorables, vraiment.

Seulement voilà, un film ne peut se limiter à un casting, aussi bon soit-il. C’est pourquoi Craig Gillepsie utilise au mieux les possibilité politiques et sociales offertes par un personnage aussi fort que Tonya Harding. Issue d’un milieu défavorisé, victime de violences maternelles et conjugales, Tonya n’est pas forcément une bonne personne…mais elle se retrouve par la même d’autant plus humaine à l’écran. Magnifiée par le jeu sans faille de Margot Robbie, la figure d’Harding a quelque chose d’intensément touchant qui prend aux tripes. Privée des chances dont bénéficient ses concurrentes, elle doit se battre pour s’imposer à la seule force de son talent. Mais voilà, l’Amérique réclame davantage. L’Amérique réclame des petites princesses au sourire d’ange avec une belle famille bien comme il faut. C’est ici que Gillepsie fait des merveilles. Il confronte le fantasme d’une Amérique où tout est possible à une réalité bouffée par les stéréotypes, les conventions et les bonnes manières. Tonya Harding renvoie exactement à ce que l’Amérique refuse de voir, et ça fait du bien.

Dans un second temps, Gillepsie se plonge dans la côté intimiste du drame familial que représente la vie de Tonya. Sa relation terriblement douloureuse avec sa mère et le rôle de l’adversité dans la carrière d’une championne. Vient ensuite “l’incident” raconté avec un humour corrosif qui rend hommage de façon évidente à de nombreuses scènes de Pain and Gain, et qui permet au métrage de comprendre que Tonya n’avait aucune chance de finir autrement entourée comme elle l’était. Au milieu de cette équipe de losers, on trouve pourtant une vraie belle histoire. Celle d’une gamine devenue femme qui n’est jamais plus belle que lorsqu’elle est sur la glace. Et qui ne méritait pas ça. De façon encore plus surprenante, Moi, Tonya devient intensément émouvant (la séquence du tribunal…) pour conclure avec un final à la hauteur de son message : battez-vous, faites explosez votre propre vérité !

Biopic mordant au sous-texte politique et social d’une rare justesse, Moi, Tonya permet à Margot Robbie de briller comme jamais. Émouvant, intense, inventif, drôle, impertinent, passionnant, le long-métrage de Craig Gillepsie s’impose comme LA vraie surprise de ce début d’année à ne rater sous aucun prétexte.

Note : 9/10

Meilleure scène : Margot Robbie se maquillant face à son miroir

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