Nocturnal Animals

Animalité

Nicolas Winter
Juste un mot
Published in
4 min readDec 10, 2017

--

Lion d’argent Mostra de Venise 2016
Grand Prix du Jury Mostra de Venise 2016
Golden Globes Meilleur acteur dans un second rôle pour Aaron Taylor-Johnson

Il faut 7 ans à Tom Ford pour revenir à la case cinéma. Après son premier long-métrage en 2009, A Single Man, le styliste et réalisateur américain convoque un casting 4 étoiles pour une histoire tortueuse qui laisse des traces. Récompensé à Venise et, très récemment, aux Golden Globes, Nocturnal Animals n’a rien d’un film aisé. Tom Ford adapte le roman d’Austin Wright, Tony and Susan, dans une Amérique où la sauvagerie et la cruauté prennent des atours diamétralement opposés. Il nous présente Susan Morrow, femme respectable travaillant dans le milieu artistique et dont le mari, Huton Morrow s’éloigne peu à peu. Un jour, elle reçoit un manuscrit de son ex-mari, Edward Sheffield, intitulé Nocturnal Animals et qui lui est dédié. En s’enfonçant dans ce roman pervers et sauvage, Susan fait resurgir d’anciennes émotions et jette un œil nouveau sur sa vie. Nocturnal Animals agit comme un révélateur pour Susan…et pour le spectateur.

Le film s’ouvre sur un générique aussi grandiose qu’incroyablement osé — on vous laisse volontairement la surprise. Le ton est donné, Tom Ford va aller au-delà de l’amusement et de l’art pour mettre à nu l’être humain dans toute sa laideur. Nous sommes des êtres médiocres. Nocturnal Animals s’attaque de front à plusieurs sujets et entrelace deux fils conducteurs : la vie de Susan et l’histoire contenue dans le roman. Jouant rapidement avec l’horreur psychologique, le film de Ford prend à la gorge quand on s’y attend le moins. Son script, bourré d’ingéniosité, explore la création littéraire dans toute sa complexité. Chaque roman renferme une partie de son auteur, chaque histoire parle en réalité de celui qui l’a écrit. Nocturnal Animals, le livre, n’échappe pas à cette règle. Ainsi, tout du long, Ford s’échine à mettre en parallèle l’histoire de Susan et Edward avec celle de Tony.

Le métrage renferme dès les premiers instants une animalité qui va prendre deux formes bien distinctes. D’abord, la plus évidente, celle des agresseurs de la famille de Tony ainsi que, progressivement celle de tous les personnages de cette lugubre vengeance. L’horreur de la situation s’infiltre partout, la bête reprend le dessus petit à petit, l’homme n’arrive jamais à la cacher…Malgré les plus beaux oripeaux. C’est là que le film de Ford se fait terriblement roublard en inspectant avec perversité le monde aseptisé mais carnassier où évolue Susan. Une existence triste et lugubre où tout n’est qu’artifice, où le mari trompe sa femme, où l’on discute avec froideur du sort d’un employé, où l’on expose la viande humaine. Où l’on regarde son enfant par un écran de téléphone glacé et austère. La vie de Susan s’avère rapidement aussi triste que celle de Tony, l’alter-ego d’Edward.

Ce qui étonne constamment dans Nocturnal Animals, c’est la diffuse sensation de malaise qui émane de chaque scène, comme si l’horreur sourde se terrait autour de l’écran, juste à l’orée de notre champ de vision. Tom Ford, en bon styliste qu’il est, capture cela avec une maestria visuelle saisissante composant parfois des tableaux proches d’un Nicolas Winding Refn (on pense notamment aux corps enlacés dans un divan rouge ou les lieux que fréquentent Susan). L’esthétisme brute d’une maîtrise sans faille de Ford fait des merveilles, que cela soit pour exposer la rudesse du Texas ou la froideur d’un Los Angeles où l’art devient vénéneux. Il reste alors cette histoire d’amour au milieu, celle de Susan et Edward, vécue par métaphore pour le spectateur à travers la lecture du roman d’Edward, et aussi plus directement par les flash-backs qui parsèment le film. Il faut rendre honneur à Jake Gylenhall à cet égard qui joue deux hommes différents avec un talent toujours aussi incroyable. Cependant le reste du casting n’a pas à rougir, que ce soit Adams en femme rongée par le regret, Aaron Taylor-Johnson en ordure inquiétante ou le génial Michael Shannon en flic désabusé. La direction d’acteurs de Ford impressionne. Autant que sa peinture froide et sans concession de l’amour. Un amour qui crève de la cruauté féminine. Puis masculine. Un amour éphémère et artificielle qui n’existe que pour cacher notre véritable nature bestial. En réalité, Noctunal Animals ne laisse aucun espoir comme semble le confirmer sa séquence de fin en forme de revanche glaçante.

Nocturnal Animals s’affirme comme le premier grand film de cette année 2017. Son atmosphère quasiment crépusculaire, sa violence psychologique et sa réflexion sur la création littéraire (voir la création tout court) subjugue, surtout lorsqu’elles se conjuguent avec la mise en scène effroyablement efficace de Tom Ford et avec son casting détonnant. Une histoire qui ronge, petit à petit, et dont on ne ressort pas indemne.

Note : 9,5/10

Meilleure scène : La confrontation entre Tony et Ray dans le bungalow

--

--