Petit blanc

Chemin de Croix à Sainte-Madeleine

Nicolas Winter
Juste un mot
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4 min readNov 26, 2017

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Éditions Mu, 176 pages

On le sait depuis Moi, Peter Pan de Michael Roch, Mü éditions existe et de bien belle façon. A l’occasion de la rentrée littéraire, cet éditeur discret mais déterminé nous offre un nouveau roman avec Petit blanc du français Nicolas Cartelet. Cet historien n’est pourtant pas vraiment une nouvelle plume puisqu’il a déjà publié par le passé chez le même éditeur la trilogie science-fictive Néagè. Pas de vaisseau-monde cette fois mais une histoire bien plus terre à terre qui se penche sur le voyage d’Albert Villeneuve vers la colonie française de Sainte-Madeleine (une colonie fantasmée par l’auteur) et son véritable chemin de croix pour trouver la paix.

Même si l’on pourrait facilement rangé Petit Blanc dans le rayon littérature blanche, il faut concéder à Nicolas Cartelet sa constante envie de dissoudre du fantastique dans cette entreprise morale et sociale. En réalité, le roman place l’humain au cœur de l’histoire et n’emploie le fantastique que comme un élément secondaire en faisant intervenir un perroquet-homme ou une cérémonie du Supplice qui s’enfonce finalement dans le fantastique le plus total. Il ne faut surtout pas oublier que l’île de Sainte-Madeleine n’existe pas, elle constitue pour Nicolas une métaphore capable de synthétiser le colonialisme français de l’époque en un seul et même lieu tout en discourant sur la dichotomie rêve/cauchemar qu’incarne ce genre d’endroit.

Nous suivons la lente descente aux enfers d’Albert Villeneuve, le Petit blanc du récit, un homme de rien qui pense tout gagner en allant vers une colonie qui lui apparaît comme un nouvel Eldorado. Problème : le rêve se transforme rapidement en cauchemar. D’abord, parce qu’il perd en cours de route sa femme et sa petite fille, ensuite parce qu’il se trouve réduit à écoper les tavernes les plus sordides du coin pour oublier un passé qui lui colle à la peau. Cruel, Petit blanc l’est certainement. Nicolas Cartelet dissèque le destin d’un homme dont les rêves d’abondance et de bonheur se heurtent à la froide réalité de l’esclavage et de la colonie perdue au bout du bout du monde. L’image de terre idéale qui permettrait à l’homme de rien d’arriver à faire fortune n’est en réalité qu’un mirage et tout semble se liguer contre notre héros pour précipiter sa perte.

Bien vite, Nicolas Cartelet donne un Némésis à Albert en la personne du redoutable Sergent Arpagon qui incarne à lui seul tout l’arbitraire du pouvoir colonial de l’époque. En face, les Noirs qui accueillent le fuyard nous font pénétrer dans un univers bien différent où la magie affleure sous la surface et où la méchanceté s’importe avec l’homme blanc. Albert semble trouver un oasis de paix avant d’être rattraper par la cruauté de la civilisation. Il constate avec horreur que cette même cruauté s’est également insinuée dans le cœur même de certains indigènes. Le colonialisme devient une maladie contagieuse qui avilit ceux qu’il touche.

La plus belle surprise que livre Petit blanc reste pourtant sa propension à l’absurde à travers le personnage-comptable d’Alcide, petit fonctionnaire perdu au milieu de la jungle. Représentation grotesque du commerce et de l’empire colonial, Alcide apparaît aussi tragique que bouffon. Nicolas Cartelet nous chuchote que dans cet univers où l’esclavage, l’argent et l’alcool font bon ménage, plus rien n’a de sens si ce n’est l’illusion d’un être cher qui nous attend ailleurs par-delà les mers, par-delà l’existence. Il prolonge d’ailleurs cet aspect bouffon avec un tribunal improvisé hilarant qui fait grincer des dents au lecteur à plusieurs reprises. La seule véritable déception de Petit blanc, c’est sa fin, trop facile et précipitée, qui tente de recoller les morceaux pour expliquer cette aventure farfelue devenue au fil des pages une sorte de conte philosophique plutôt qu’une fiction réaliste. Heureusement, la plume savoureuse de l’auteur empêche définitivement de regretter ce (court) voyage au-delà des océans.

Entre surréalisme et fantastique-light, Petit blanc entraîne le lecteur dans une colonie de fantasmes qui tourne au cauchemar et sur la piste d’un homme rongé par le deuil et la culpabilité. Un exercice de style réussi de la part de Nicolas Cartelet qui réussit son virage à 180 degrés vers un univers à la fois plus réel et plus cruel.

Note : 7.5/10

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