Planetfall

Le poids de la culpabilité

Nicolas Winter
Juste un mot
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4 min readOct 22, 2017

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Editions J’ai Lu, Collection Nouveaux Millénaire, 288 pages

Le nom d’Emma Newman ne vous dit peut-être rien mais cette auteure anglaise est déjà solidement installée dans le paysage science-fictionesque et fantasy britannique. Elle est non seulement à l’origine de la saga fantasy The Split Worlds (dont le cinquième tome est paru cette année) mais elle anime également un célèbre podcast intitulé Tea and Jeopardy. Entre deux audio books, Emma Newman trouve encore le temps d’écrire un roman de science-fiction : Planetfall. C’est ce dernier qui nous intéresse aujourd’hui grâce à la collection Nouveaux Millénaires des éditions J’ai lu qui ont choisi de le traduire en février dernier en faisant appel à Racquel Jemint. Encensé par la presse anglophone, il était temps de se pencher sur ce one-shot de presque trois cent pages qui nous emmène sur une planète lointaine où une expédition humaine semble avoir trouvé Dieu.

Dans ce roman écrit à la première personne, on découvre une colonie humaine établie au pied d’une étrange structure extra-terrestre que les colons appellent La Cité de Dieu. A travers Renata Ghali, la narratrice, le lecteur assemble patiemment un puzzle savamment agencé par Emma Newman. Parmi les pièces : une colonie auto-suffisante employant des habitats écologiques et des imprimantes ultra-perfectionnées, un contact extra-terrestre entre quête mystique et philosophique et un mystérieux secret qui pourrait remettre en cause l’existence même de la colonie. De façon très intelligente, Emma Newman dissémine des indices pour recoller les morceaux au fur et à mesure de l’avancée de son récit. L’anglaise entretient ainsi le mystère sur l’expédition et le destin de Lee Suh-Mi de façon tout à fait remarquable. Mais c’est loin d’être le seul point fort du roman.

Planetfall, comme on l’a dit, est un roman de science-fiction. A ce titre, il nous projette sur une planète lointaine et parle, en filigrane, de la survie d’une colonie humaine. Emma Newman reprend la fabuleuse innovation de l’imprimante 3D pour la pousser à son paroxysme et l’associe à une vision écologiste de la gestion des ressources tout à fait étonnante. Dans la colonie, les maisons sont constituées de mousses et de terre et les imprimantes publiques sont capables de produire n’importe quel objet ou aliments selon un système de mise en commun des ressources reposant sur un recyclage de l’ensemble des déchets. En arrière-plan, Emma Newman décrit une planète Terre rongée par la cupidité des hommes et qui semble être devenu un endroit bien peu recommandable. Écologiste donc mais aussi philosophique puisque l’anglaise se penche sur la quête de Dieu. Si cette dernière n’est pas l’idée la plus présente dans le récit, elle reste tout de même l’un de ces moteurs et montre aussi la nécessité pour l’homme de croire en quelque chose, n’importe quoi du moment que cela lui donne un but, un sens. C’est pourquoi La Cérémonie est devenue si importante pour les colons au fil du temps. L’homme a besoin de croire. Même parmi les étoiles.

Là où Emma Newman s’impose, ce n’est pourtant pas dans le pur cadre de la science-fiction mais bien dans celui, plus ardu encore, de la dimension humaine. Son personnage principal, Renata Ghali, se révèle aussi complexe que touchante. L’anglaise arrive à dresser le portrait d’une femme rongée par la culpabilité et qui, en réaction, a développé une pathologie mentale raccord à la fois avec son “crime” mais aussi avec sa fonction. Peu exploité dans le roman de science-fiction (un autre exemple figure dans le recueil d’Anna Starobinets, Je suis la Reine chez Mirobole), le syndrome de Diogène s’avère brillamment exploité et incarné. Cette affection rare et étrange trouve ici un écho tout particulier en la personne de Renata qui est elle-même une “réparatrice” et qui accumule les couches de mensonges dans l’intérêt de la colonie…ou du moins le pense-t-elle. Emma Newman produit un travail remarquable pour placer le lecteur à la place d’une personne incapable de se rendre compte à quel point elle est “malade”. Cela deviendra même, en un certain sens, le cœur du roman. Surprenant et passionnant.

Reste alors la capacité d’Emma Newman a parler de l’ouverture aux autres. Que ce soit par l’intermédiaire de la pathologie de Renata qui provient et conduit logiquement à un isolement social, par le système de communication qui relie les colons, par le sale petit secret de Mack incapable d’avouer aux autres la vérité sur la Cité de Dieu et le destin de Lee Suh-Mi mais également, et surtout, par la confrontation de l’homme à l’inconnu, en l’occurrence cette étrange structure extra-terrestre avec laquelle les membres de l’expédition ont peur de communier. Ce sont bien des problématiques éminemment humaines (rapport à Dieu, communication, culpabilité, écologie…) qui hantent Planetfall au final, le récit prenant ainsi une direction inattendue mais bienvenue.

Aventure humaine passionnante, Planetfall est également un brillant récit de science-fiction à la fois dense et touchant. Grâce à une héroïne complexe et une intrigue à la construction sans faille, le roman d’Emma Newman se dévore sans peine… en attendant After Atlas à paraître en février prochain.

Note : 8.5/10

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