Sauve qui peut, Demain la Santé

Médecine de demain

Nicolas Winter
Juste un mot
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20 min readSep 16, 2020

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Éditions La Volte, 663 pages

Après Nos Futurs, excellente anthologie de textes et d’articles mêlant science et fiction, voici que les éditions La Volte nous offrent une anthologie SF autour de la santé. Une initiative plus qu’alléchante qui rassemble aussi bien des auteurs et autrices connu(e)s que des petits nouveaux en pagaille. Confectionnée par Stuart Calvo, 15 textes nous attendent de pied ferme…

FeelGood

Premier texte et, simple coïncidence ou alignement heureux des astres, c’est à nouveau Raphaël Granier de Cassagnac qui ouvre le bal comme il l’avait fait pour Nos Futurs. Toujours situé dans son univers de Thinking Eternity, son histoire nous emmène cette fois en Islande où plusieurs personnages se rencontrent pour une raison mystérieuse. Ils n’ont pas grand chose en commun, d’Arthur et ses calculs rénaux à Kingsley et ses cliniques privées en passant par Sheryl et ses augmentations biotechnologiques. À moins que ? Oui, tous utilisent ou sont liés à une sociétat du nom de FeelGood, une tentaculaire entreprise de gestion de la santé qui a finit par prendre le pas sur les multinationales pharmaceutiques et qui a remplacé pour beaucoup le système de santé traditionnel. En réalité, c’est pour rencontrer Madame Ming, l’énigmatique fondatrice de FeelGood que tout ce beau monde se retrouve perdu au milieu de nul part. Mais que veut Madame Ming ?
Décevant. Voilà. Une entrée en matière timide et chorale qui ne fait qu’effleurer l’idée géniale du réseau social santé qui bouffe tout le reste et qui peut donc, de facto, faire ce qu’il veut (et surtout faire croire ce qu’il veut). Raphaël semble bien timide et loupe certainement le plus gros atout de son histoire : Médée. Cet assistant personnel parfois bien intrusif aurait certainement pu offrir une occasion en or de discuter des applications et autres gadgets Google/Apple approved que l’on peut déjà trouver sur les réseaux. Ici, rien ne semble exploité, et le côté Sense8 du récit semble prendre le pas sur les implications réelles et profondes de FeelGood et de Médée sur la société future. C’est clairement décevant.

Inotropisme

Deuxième essai avec Inotropisme, texte d’une illustre inconnue, Mélanie Fievet. Dans cette histoire brute de décoffrage, on devine plus que l’on ne comprend réellement ce qu’il se passe. Dans un futur indéterminé, les pauvres sont écrasés par la violence des FightCorps qui les répriment et les mutilent avant de les emmener dans des hôpitaux gérés par des I.As et qui vous enchaînent à des contrats ultra-onéreux pour vous soigner. Mais comme vous êtes pauvres, l’aventure tourne souvent court et finit dans des mouroirs et autres joyeusetés. Dans un style heurté qui rappelle furieusement un Damasio-light (avec, heureusement, moins de néologismes et de mots en anglais), Mélanie Fievet livre en réalité une charge frontale contre les riches et leurs hostos proprets qui exploitent et gazent les pauvres qui se soulèvent contre cette dictature violente et asphyxiante. Franchement, on ne sait pas ce que fait ce texte là-dedans. Il n’y a aucune prospective sur le champ médical, juste un essai stylistique à moitié raté et à moitié punk où le message révolutionnaire bouffe tout le reste. Une sorte de pamphlet militant où surnage l’idée que l’on a privatisé complètement la santé et que les pauvres doivent voler le matériel des hôpitaux pour riches afin de reconstruire des soins dignes de 2020… C’est totalement artificiel et ça n’a aucun intérêt sur le plan de la santé. Aucun. Reste quelques hectolitres de fulgurances littéraires qui plairont aux amateurs d’Alain Damasio mais qui semblent tourner en boucle au bout de quelques pages.

Les derniers possibles

On continue avec le texte de Chloé Chevalier, autrice de l’excellente saga du Demi-Loup et qui était, elle aussi, au sommaire de Nos Futurs.
De nouveau, on commence sur une situation de guerre civile avec manifestations, gaz lacrymogènes, lutte contre les CRS…bref, amis d’extrême-gauche, prenez un cocktail et installez-vous. Contrairement au texte précédent, Chloé se souvient tout de même qu’il s’agit d’une anthologie sur la santé de demain et nous fait donc suivre le parcours de Katia, une jeune militante qui se découvre après une nuit d’amour enfiévrée une tuméfaction maligne au sein. Dès lors, le lecteur suit son parcours désespéré pour se faire soigner dans un monde où il faut désormais payer pour des soins et où l’hôpital public agonise. Chloé imagine que pour pallier à ce naufrage, certains soignants forment des collèges pour apprendre et vulgariser leur savoir, rendant de facto les gens autonomes et installant le savoir comme ultime monnaie d’échange. Une excellente idée même si elle semble bien optimiste (apprendre une suture au quidam, pourquoi pas, apprendre une mastectomie, bonne chance…) et qui ouvre la voie à une alternative où le savoir n’est plus concentré dans les mains de quelques-uns. Un concept de démocratisation pas si bête mais qui semble très utopiste. La trajectoire de vie de Katia ainsi que son altruisme donnent une certaine humanité au récit qui, s’il ne détonne pas particulièrement, respecte bien l’idée centrale de l’anthologie : une santé autre et un système médical différent. Intéressant.

Barreuse de faille

On retourne aux illustres inconnus avec le premier texte d’Elio Possoz.
Toujours dans la même optique politique black-bloc/extrême gauche radical, le texte imagine un monde d’après où les Triples A (Amazon, Alphabet et Alibaba) ont pris le pouvoir dans le domaine de la santé pour contrôler jusqu’aux globules rouges des gens. Certains ont refusé et se sont regroupés dans des Coordo, tentant de barrer la route aux Chinois qui veulent racheter le littoral français ou pour enrayer les épidémies de Lyme et de Rage importées par les réfugiés états-uniens. C’est dans ce contexte que sont apparus des gens avec un don, descendants génétiquement modifiés (ou pas) des barreurs de feu et autres guérisseurs mais capables cette fois de soigner la dégénérescence et bien d’autres choses encore : les barreurs-de-faille.
Entre exercice de style pur et dur dans la même lignée langagière que le texte de Mélanie Fievet avec des dialogues jetés un peu au hasard des pages pour faire branché, Barreuse de faille alterne un charabia new-age punk avec de l’écriture inclusive et des néologismes. Soit.
Côté santé, c’est encore une fois les médicaments et les laboratoires que l’on vise, axe du mal par excellence car allié(s) des riches, et qui laissent ici le champ libre aux barreurs en tous genres, célébration de la médecine dites parallèle (mais qui n’a, justement, rien de médical ou scientifique). Sur le plan prospectif, à nouveau, rien à sauver donc.

À l’intérieur d’Orchid Naakey, Sylvain Palard

Même combat au départ pour la nouvelle de Sylvain Palard.
Le texte commence comme un acte militant des membres de Symbiolife qui combattent les puissants en place et l’emprise de l’UniVac sur la population.
Après un raid sur une ferme OGMs et l’abattage/empoisonnement d’un cheptel de vaches, Cel Kessel et ses compagnons embarque Orchid Naakey, une véto qui semble avoir un pouvoir extraordinaire de guérison qu’elle appelle son inné. Dans l’espoir de renverser la séparation entre non-vacc et inoculés, Orchid et ses nouveaux partenaires décident de retrouver la fille de la vétérinaire retenue dans Paris intra-muros parmi les inoculés à l’UniVac.
Si Sylvain Palard écrit bien et sait alterner les styles en fonction des personnages (pour ne pas rester bloqué dans une bouillie djeunz-punk à l’instar de la nouvelle précédente), c’est surtout pour un autre aspect que son histoire se fait remarquable : elle est un condensé de propos anti-vax !
Nous voilà dans un Paris divisé entre inoculés intra-muros ayant reçus l’UniVac (un vaccin d’organismes hybrides qui permettrait d’être épargné par le reste des maladies existantes) et extra-muros qui sont non-vacc (comprendre non-vaccinés). Le vaccin ici, c’est clairement le mal, fruit de laboratoire tout-puissant qui bouleverse le vivant (le bien, la naturel) et qui engendre une flambée des épidémies par ricochet. C’est un vaccin conçu pour être addictif et rendre dépendant (classique parmi les classiques de la propagande anti-vax) avec des particules et autres substances nuisibles à l’intérieur (autre classique). À l’opposé, il y a Orchid et son inné (donc le naturel, le bien, le sain, le corps sans vaccin ou alors un petit vaccin mais gentil et ciblé) qui peut vaincre la maladie (notamment la grippe au cours de l’histoire) et guérir des gens par l’apposition des mains faisant d’elle et de quelques autres, des chamanes (apologie encore une fois de la médecine alternative ou charlatanisme pur et simple). La rhétorique est simple, parfaitement imbriquée dans l’histoire, parfaitement maîtrisée et amenée. C’est la confluence des idées d’extrême gauche radicale (riches = méchants et comme labos = riches = vaccins/médicaments) qui tombent dans la théorie anti-vax par commodité.
Un texte de propagande et de désinformation, une honte.

À crocs perdus

Premier texte également chez Lauriane Dufant qui a l’excellente idée de s’éloigner de l’influence politique écrasante des précédents textes pour se recadrer sur des choses plus médicales/éthiques. Cette fois, nous sommes dans un monde où les anti-spécistes l’ont emporté et où les expérimentations sur les animaux sont devenues des crimes. Plus drôle et moins grave, on tente même de faire élire un chat à la tête de l’état. Pourquoi pas.
Dans ces circonstances, la pension-institut La Broussaille accueille des patients atypiques souffrant de maladies et autres difformités qui les rangent dans une case bien à part du reste de la population. Deshin et Skuld sont de ceux-là et leur infirmière, Ma-Kura, tente de veiller sur eux du mieux possible. C’est lors d’une opération un peu particulière que les choses changent du tout au tout et que le destin des deux jeunes gens se trouve bouleversé.
Réflexion sur l’identité corporelle et la place de la pathologie par rapport à la norme, notamment lorsque cette pathologie ne fait qu’affecter la forme et n’engage pas le pronostic vital ou fonctionnel, À crocs perdus tente une nouvelle approche de ce que la médecine voit, à la façon d’un Elephant Man. C’est très émouvant au fond et ouvre le champ des possibles sur notre perception des êtres catalogués comme difformes et donc, de facto, malades. Si l’allusion à la question transgenre et à celle de l’identité semble évidente, Lauriane Dufant traite le tout avec assez d’humanité pour offrir une véritable alternative sur la prise en charge de ceux qui divergent de la norme. Un beau texte, enfin !

De nos corps inveillés viendra la vie éternelle

L’auteur des Tours de Samarante, Norbert Merjagnan est aussi l’un des membres du collectif Zanzibar, il semble donc logique de le voir à nouveau endosser un discours d’extrême-gauche similaire aux nouvelles précédentes.
Pourtant, cette fois les choses se passent beaucoup mieux car même si l’on reconnaît un univers dans la lignée des Furtifs de Damasio et des obsessions similaires, Norbert a la bonne idée d’en faire quelque chose de constructif et intéressant sur le plan purement prospectif de la santé de demain. Il imagine l’existence morne du Docteur Rougiès, médecin généraliste de la vieille école, rendu inutile par la prise de pouvoirs d’applications ultra-perfectionnées de santé qui régissent la vie des gens. La première partie de son histoire montre de façon assez intéressante l’hyper-spécialisation de la médecine moderne qui découpe la science médicale en tranches et sur-spécialise les différents domaines du vivant. Et si l’auteur ne développe malheureusement pas assez cette optique, il rebondit avec l’enquête menée par l’inspectrice Marcella Dovat sur les applications/interfaces de santé qui dictent la vie des gens dans le futur. L’inveillance incarne un contrôle ultime mais échoue, parfois, à prévoir la catastrophe. D’une certaine façon, la nouvelle de Norbert Merjagnan comble la sensation de trop-peu laissée par celle de Raphaël Granier de Cassagnac autour des applications santé. On évite évidemment pas le message à l’encontre des puissants et une certaine caricature du système toujours vu de façon très manichéenne, mais l’auteur arrive à mettre la politique au service de la thématique médicale et à réfléchir sur l’implication de certaines avancées technologiques pour le citoyen lambda et pour le médecin de famille traditionnel (et clinicien).

CRISPR casse DESNEUF

Toujours immergé dans l’idéologie d’extrême-gauche qui semble servir de fil rouge à cette anthologie, la nouvelle du petit nouveau Benno Maté illustre parfaitement le fait qu’on peut infiltrer des idées politiques dans une histoire ordinaire tout en délivrant un texte jouissif et pertinent. C’est aussi l’occasion de se rendre compte que l’anthologie se préoccupe avant tout de politique de santé plutôt que de santé tout court (et c’est bien dommage). Benno Maté nous raconte la double-histoire de deux personnages : Marius Paty et Régis Desneuf, respectivement généticien et directeur d’ARS (Agence Régional de la Santé). Dans un monde où les partenariats entre multinationales et autres autorités ont de quoi surprendre (mais de beaux partenariats, quand on y pense), Benno Maté nous parle de la fermeture programmée (et voulue) des structures de proximité comme les petits hôpitaux de province et autres maternités. Pour répondre à cette crise une réponse surprenante et hilarante à base de clone, de Marx et d’Edouard Balladur. Rien que ça. Dénué des expérimentations stylistiques farfelues des textes précédentes et dans un style aussi clair que gentiment ironique, le texte de Benno Maté condamne la politique de centralisation médicale à outrance qui laisse tomber les campagnes et les espaces ruraux en rangeant les morts sous le tapis. Cela n’apporte clairement rien sur la science médicale en elle-même mais voilà une histoire qui convoque autodérision et mordant politique sans assommer le lecteur avec ses considérations militantes. Une réussite qui démontre qu’extrême-gauche et littérature, c’est aussi un bien beau partenariat.

Dans la forêt

Pour Jean-Charles Vidal, autre inconnu au programme de cette anthologie riches en surprises, c’est la maladie en elle-même et sa guérison qui importent. Après un court prologue en expliquant l’abord social (sociétal même) de la maladie et de qui paye quoi dans la processus curatif, l’auteur nous fait suivre un porteur sain de guérisons ou PG. Le concept est aussi simple que fantasque : certaines personnes ont des dons et sont capables de guérir par leur seul présence les malades. Sorte de guérisseurs 2.0, le PG devient une alternative à la médecine moderne désormais obsolète mais tout cela a un coût pour les malheureux PG, ce dont va vite s’apercevoir le héros de notre histoire en s’enfonçant au cœur de la forêt.
Dans la Forêt partage les mêmes convictions politiques et les mêmes travers que ses prédécesseurs. C’est à nouveau du système de santé que l’on parle et non d’avancées médicales ou de discipline scientifique dont on cause ici. Ou du moins avec une optique, encore une fois, vouée à la médecine naturelle/innée/surnaturelle/fantastique. C’est encore cette idée de fond que la médecine technologique fait n’importe quoi et que les voies de la nature sont les meilleures…même si elles ont un coût également. Sans être désagréable, le texte de Jean-Charles Vidal n’apporte rien sur le plan prospectif et passe surtout à côté d’un sujet pourtant intéressant : la responsabilité sociale du contaminateur à l’heure où l’on connait parfaitement les mesures d’hygiène. Dommage.

Aszgôn

Tristan Bultiauw oublie le futur proche et nous embarque dans un lointain univers où la Terre n’existe plus telle que nous la connaissons et où les derniers survivants se sont entre-tués une dernière fois pour en finir avec la bêtise humaine qui a détruit l’écosystème terrestre. Triomphant, les combattants de l’À-venir sont sortis de l’ère du Vide avec plusieurs Dons…et notamment celui d’une Totale Santé assurée par des nanites qui préviennent toutes les douleurs et maladies d’antan. Mais voilà qu’un jour, Aszgôn se sent mal et éprouve, ô surprise, de la douleur. Bien décidée à découvrir l’origine de son affection dans une époque où la maladie n’est plus censée exister, la post-humaine visite Vénus et la Terre (ou ce qu’il en reste) pour combler le Vide en elle.
Non seulement Aszgôn est très bien écrit (si l’on excepte quelques typographies farfelues heureusement rares et parfaitement inutiles) mais elle arrive également à mettre en sourdine son idéologie et ses remarques dépréciatives sur la médecine actuelle au profit d’un très beau personnage et d’un univers franchement passionnant. Abordant le thème de la santé par l’angle philosophique, Tristan Bultiauw réussit son coup en parlant de la nature la plus profonde de l’être humain et de son besoin de sens…et donc de fin.
Voilà, enfin, une excellente nouvelle de science-fiction qui sait jongler entre ses différents horizons tout en n’oubliant pas son univers. Seul bémol, encore, on ne parle toujours pas stricto sensu de médecine mais davantage de philo, vous l’aurez compris.

Protocole d’urgence

Dans Protocole d’urgence, Li-Cam (Cyberland) imagine un univers où la médecine passe également par des nanites mais contrôlés cette fois par une prothèse cérébrale permettant, en liaison avec des lentilles (ou lens), d’ajouter différentes couches au réel. Pendant longtemps, le lecteur est précipité dans une histoire qu’il ne comprend que superficiellement…à l’instar de sa propre héroïne Hero Jezequel bloquée dans un établissement au but pour le moins obscur. Li-Cam s’amuse ici à jouer avec les attentes du lecteur et entretient le suspense jusqu’au nœud de son intrigue où il est également question de l’accessibilité à des soins révolutionnaires de façon gratuite et open source.
Si l’on retrouve cette notion d’accessibilité au soin et donc, incidemment, de structuration sociale autour de la discipline médicale, Protocole d’urgence s’amuse davantage avec le Real, produit virtuel de la prothèse portée par Hero, pour nous emmener à la fois dans le corps humain mais aussi dans des univers complètement irréels. Davantage techno-thriller qu’une véritable réflexion sur le soin, la nouvelle reste agréable à parcourir mais relativement anecdotique.

Lozapéridole 50mg comprimée pelliculée

Alors, pour le douzième texte de cette anthologie sur la santé, c’est Ketty Steward qui nous emmène dans un monde où la pénurie de médicaments menace plus que jamais le patient. Ou la patiente en l’occurrence qui se retrouve dans une situation dramatique et insoluble : plus de Lozapéridole et donc décompensation schizophrénique (avec le retour des voix qui vont avec).
Ici, Ketty traite d’un sujet grave et souvent ignoré qui porte sur la pénurie pour une raison X ou Y d’un traitement pour une pathologie chronique. À côté, le texte envisage également le médicament comme un objet de dépendance et de façon nuancée, comme quelque chose de possiblement nocif. Encore une fois, on retombe sur cette idée que le médicament n’est pas forcément une bonne chose, l’autrice voulant illustrer ce fait par la nature suspensive de ce traitement et non curatif (c’est à dire qu’il s’agit d’un traitement qui soigne les symptômes et non la cause puisque la cause de la schizophrénie est encore non élucidée à ce jour). Encore une fois, la médecine ici est abordée sous un angle plutôt négatif qui laisse perplexe mais peut, à la limite, se concevoir d’un point de vue extérieur. La mise en parallèle avec la notice du médicament apparaît assez facile (surtout en listant les effets indésirables…) et semble là juste pour conforter les gens qui ont justement peur d’en prendre. Reste alors la décompensation schizophrénique, plutôt bien rendue même si un peu facile (on se limite à entendre des voix et voir des gens qui n’existent pas, nous sommes loin de La Fille qui se noie de Caitlin R. Kiernan).
Outre ce propos de fond intéressant, la nouvelle se saborde toute seule en voulant adopter un langage entièrement féminin où tout, sujet, conjugaison et orthographe, est féminin. Pourquoi ? Quel rapport avec la problématique médicale ? Aucun, si ce n’est de rendre la lecture laborieuse. Du militantisme pour le militantisme dans un texte où cela n’apporte rien (la preuve, on peut parler du sujet de fond sans l’évoquer du tout pour expliquer l’intrigue). Raté donc.

Fall

Treizième nouvelle, malédiction ou bénédiction ?
Dans un lointain futur et sur une lointaine planète dans la ville de Jù-Dà, Herbst Alcott a gagné un privilège dont peu d’humains (et surtout de médecins humains) peuvent se prévaloir : elle peut soigner toute races intelligentes dans son cabinet. C’est ainsi qu’elle prend en charge Polichronis, une humaine au genre neutre, et Segment 92, un être issu de la séparation d’une ruche intelligente collective et en cours d’individualisation. On suit dès lors les pensées de la psychiatre durant son exercice qui est à la fois confrontée à ses limites de conceptions humaines mais aussi aux pathologies exotiques de ses patient-e-s. Contrairement au précédent texte, le militantisme LGBT+ et la réflexion sur le genre s’incluent à la perfection dans l’histoire rapportée par Théodore Koshka. L’auteur utilise l’écriture inclusive et les pronoms indéfinis (parfois improbables, certes) lorsque l’on parle de Polichronis et utilise initialement le nous puis le je pour Segment 92 tiraillé entre pensée collective et individuelle. Au centre, Fall s’intéresse à la relation de dépendance et, plus précisément à la co-dépendance. Où s’arrête l’intérêt mutuel et où commence la relation de domination et l’esclavage ? À travers une foultitude de races toutes plus fascinantes les unes que les autres, Théodore développe une histoire militante mais qui sait privilégier ses personnages et son intrigue et mettre ses convictions politiques au service d’une narration impeccable. La réflexion sur l’altérité et la conscience de soi jouent un rôle essentiel et Fall passionne de bout en bout. Si l’on peut lui reprocher de traiter avant tout d’un sujet science-fictif et pas véritablement médical (même si la psychiatrie sert de fil conducteur au récit), il reste que Théodore signe un texte dense, intelligent et malin. Bravo !

Éthique de la gravité

Alors là… Pour l’avant-dernier texte… on ne sait pas trop ce qu’il se passe sauf qu’une personne intègre un service original où il s’agit de cultiver la maladie et d’apprendre à l’aimer. Avec une écriture qui se veut poétique, Lise N. s’offre un texte expérimental et cryptique où surnagent des idées totalement absurdes à base d’affection du malade envers sa maladie (Ah, ce cher bon vieux lymphome !) et de destruction de la relation entre patient et praticien de façon pour le moins farfelue (le médecin qui entre nu dans la chambre recouvert d’argile, oui, bien sûr, pourquoi pas…). C’est donc totalement surréaliste, totalement négatif sur la médecine actuelle, et totalement « étrange ».
De façon surprenante, la chute a quelque chose de beau et fulgurant en elle-même, mais c’est bien la seule chose à sauver de ce texte complètement farfelu.

Considère le nénufar

Pour fermer la marche, c’est à une star de La Volte à laquelle nous voici confronté : Sabrina Calvo. Et elle ne déçoit pas !
Dans un hôpital fantasque où fleurissent les nénufars, une infirmière raconte la lente glissade vers le néant d’un système de santé à bout de souffle qui finit par s’effondrer tout en décrivant avec une poésie totale la renaissance (florale) de son héroïne et de ses patients. Aussi fous que la plupart des écrits de l’autrice, Considère le nénufar est un pur texte d’abstraction poétique à la Boris Vian sur fond de sentiment(s) de révolte face à la destruction du soin hospitalier. C’est beau, envoûtant mais totalement vain. Mais le vain n’est-il pas en lui-même un accomplissement lorsqu’il s’agit d’art ?

Synthèse littéraire :

Que conclure du point de vue littéraire de cette anthologie ?
D’abord, qu’il s’agit avant tout d’un recueil de révolte et d’indignation où les idées politiques de gauche (et notamment d’extrême-gauche) essaiment à tout-va. En soi, la chose n’a rien de négatif mais son emploi forcené dans la plupart des textes, au moins 10 des 15 présents, vient souvent occulter le sujet censément principal : la santé (mais nous en reparlerons après). Présentement, ce qui pose problème, c’est que les textes de l’anthologie sont soit des textes militants purs et durs soit des expérimentations littéraires dans le prolongement du style d’Alain Damasio. Et ces deux angles d’attaques annihilent le reste du texte à chaque fois ou presque (avec l’exception notable des nouvelles de Theodore Koshka, Tristan Bultiauw et Benno Maté).
Et c’est bien dommage, car, si l’on en reste strictement au plan littéraire, les textes remarquables se comptent sur les doigts d’une main, le plus abouti semblant sans surprise être celui de Sabrina Calvo.
Le problème ici, c’est que cette anthologie s’attaque à la problématique de la santé et qu’il s’agit là d’un axe capital pour ne pas dites essentiel pour le lecteur qui s’intéresse au sujet de la fiction (voire de la science-fiction) et du médical. C’est ici que les choses se compliquent énormément…

Synthèse médicale :

Je quitte ici l’emploi de la troisième personne pour apporter mon point de vue médical puisque je suis également médecin généraliste exerçant en tant qu’urgentiste pédiatrique.
L’annonce de cette anthologie sur la santé de demain était pour moi une énorme attente, ravi de voir un éditeur sérieux s’emparer d’un sujet aussi pléthorique et divers. La déception est donc à l’avenant.
Sauve qui peut n’est pas une anthologie sur la santé. Elle est en réalité (et revendiquée dans la post-face comme telle) une anthologie sur la politique de santé et sur un certain militantisme, notamment LGBT+. Ce qui, encore une fois, n’a rien de négatif à priori mais voilà qui va grandement décevoir ceux qui, comme moi, s’attendaient à voir la santé traitée sous un angle prospectif ou, tout du moins, scientifique.
Ici, la science n’est jamais citée, du moins pas comme on l’attend. Ce qui saute aux yeux quand je lis les textes rassemblés dans cet ouvrage, c’est que sur 15 auteurs, aucun n’est une personne qui travaille dans le milieu médical.
C’est comme si on écrivait un livre sur la mécanique sans aucun mécanicien dedans. Jusque dans la post-face, Demain la Santé se réfère à la philosophie plus qu’à la science médicale. Le lecteur se doit donc d’être prévenu, l’anthologie ne se penche que sur le système de santé (et cela de façon uni-dimensionnelle et orientée à gauche toute) et non sur le soin en lui-même.
De façon plus pragmatique, en tant que soignant, ce recueil a de quoi faire déprimer. Sur 15 textes, onze abordent la médecine actuelle comme néfaste pour le patient, 5 mettent en avant la médecine alternative et représente la médecine actuelle comme un danger, notamment les médicaments. Une constatation terrible pour moi en tant que praticien qui résulte de deux choses certainement : aucun ici n’est soignant et tous tissent donc des histoires à partir du « vécu patient » et donc l’interrogation, qu’est-ce qui coince tant pour que la médecine soit autant haïe ?
Préférant privilégier des réflexions sur le genre et l’inclusivité, l’anthologie zappe tout le reste. Tout. Et il y avait matière à faire dans le domaine médical !
Des exemples en vrac ? La montée en flèche du taux de BMR (Bactéries Multi-résistance) et l’abus des antibiotiques, la balance bénéfice-risque des traitements, la propagande anti-vax et le recours à une médecine de charlatans, l’IVG, le contenu et l’interprétation des études, l’euthanasie, les effets secondaires des médicaments, l’incertitude médicale dans la maladie, la relation médecin-malade, l’impact de la vieillesse de la population sur l’émergence des maladies dégénératives, le manque de moyens pour les maladies orphelines, la propagation des épidémies, les thérapies géniques, la neuromodulation et l’apport de technologies mécaniques au corps humain… et la liste serait encore très longue. Aucun de ces thèmes n’est abordé sérieusement ici, aucun. Tout reste superficiel et orienté pour correspondre davantage à un tract politique qu’à une réflexion sur la santé face à l’humain. On se consolera avec quelques éléments philosophiques chez Tristan Bultiauw ou Lauriane Dufant, mais c’est bien mince à l’arrivée. Le tout en précisant que je suis absolument d’accord avec la vision du recueil quand au démantèlement de notre système de santé pour le profit pur et dur. Mais la vision simpliste de ce qu’il faut faire pour redresser la situation démontre simplement que les personnes qui en parlent ne se rendent pas compte que, oui, la médecine de qualité a un coût. La vraie question reste comment faire pour que cette médecine de qualité reste gratuite et strictement gratuite pour tous ?
Dernier point et non des moindres, j’ai été révolté de lire au sein de ces quinze nouvelles un texte ouvertement anti-vax. Ce qui n’est pas véritablement une surprise tant l’idéologie ici se veut anti-médicament et donc anti-science. Bien évidemment, les médicaments n’ont pas que des avantages, les laboratoires ne sont pas des saints du tout (il faudrait être bien naïf), mais tout se passe dans l’anthologie comme si la réponse de demain serait un retour au naturel.
Un naturel qui donnait une espérance de vie de 30 ans par le passé. Merci bien, on vous le laisse.
La présence de ce seul texte suffit à déconseiller l’acquisition de cette anthologie de mon point de vue strictement médical. Il est absolument catastrophique de voir une partie militante de l’imaginaire glisser vers une philosophie anti-scientifique juste parce que cette partie militante assimile le riche à la technologie et à la science et, par ricochet, aux médicaments et aux vaccins.

Vous l’aurez compris, Sauve qui peut ne présente qu’un intérêt congru pour le lecteur de science-fiction. Il s’adresse avant tout à un milieu déjà acquis aux principes énumérés au fil des pages, et devrait donc plaire à tous ceux qui attendent quelque chose où la révolte et les idées politiques prennent le pas sur le reste. Si vous cherchez des textes sur la médecine, vous serez amèrement déçus. Pour ceux qui recherchent une anthologie d’anticipation mêlant rigueur et littérature, jetez-vous sur Nos Futurs. Vous voilà prévenus.

Note : 4.5/10

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