Solaris n°207

Déferlante et trahisons

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6 min readAug 3, 2018

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Tous les numéros de Solaris

→ La Déferlante des Mères de Luc Dagenais

2018, Prix Solaris 2018
19 pages

Si l’on connaît Luc Dagenais, c’est d’abord pour ses nouvelles parues dans de précédents numéros de la revue Solaris et déjà lauréat du Prix Solaris en 2009 pour La vie des Douze Jésus. Huit ans plus tard, il récidive avec La Déferlante des Mères, un texte de SF brutal et sans concession.
Dans un futur et un monde indéterminés, la guerre n’en finit pas. Les guerrières des Mères font chuter empire après empire au nom de leur Déesse toute puissante, l’Immense Mère. Harkadie la nubile a treize marées d’âges et soigne les guerrières tombées sous les coups de l’ennemi.
Dis ainsi, le texte peut sembler anodin…mais il n’en est rien. D’abord parce que Luc Dagenais possède un style brute et sauvage avec une écriture tantôt poétique tantôt guerrière. Ensuite parce que l’univers de La Déferlante des Mères vogue dans un univers de guerre éternelle où la femme capitalise sur son don le plus évident : sa capacité à donner la vie. Luc Dagenais transforme le combat représenté par l’enfantement de la façon la plus littérale possible et imagine des guerrières enceintes partant au combat avec la fureur des mères protégeant leur enfant. Le récit, sous couvert d’une étrange et parfois cryptique histoire de SF, devient une charge frontale contre le patriarcat, une façon de renverser le dominant et de s’approprier une place dans le monde sans autre moyen que sa sueur, son sang et sa vie. Rageur, le texte jongle avec une ambiance techno-gothique délicieuse quelque part entre La Caste des Méta-Barons et l’univers glauque de Warhammer 40.000. Sauf que Luc Dagenais n’offre pas une seule vision de ce féroce combat mais le parsème de l’opinion des vaincus et s’interroge sur l’utilité finale d’une violence qui n’a, au final, que changer de camp. C’est fort, âpre, engagé…c’est sublime !

Que lire d’autre de cet auteur ?
D’autres nouvelles dans la revue Solaris dont le numéro 172 et La Vie des Douze Jésus, ou encore le numéro 192 et La Fille qui lit.

→ Le Régal gelé de Mariane Cayer

1 page, 2018
Prix d’écriture su place Boréal 2018

Les trois textes suivants sont en réalité les lauréats du Prix d’écriture sur place du congrès Boréal 2018. Les participants avaient une heure pour écrire sur un thème imposé… Il en résultat donc d’abord le texte de Mariane Cayer d’une page à peine qui parle de la mort de singes volants un peu trop gourmands… Soyons clairs… difficile de dire quoique ce soit sur un texte aussi court. L’écriture est fluide, certes mais l’histoire semble totalement banale et sans grande surprise pour une nouvelle de cette taille (et qui doit donc tout miser sur sa chute…), on espère que Mariane Cayer sera capable de l’étoffer pour offrir un texte autre qu’anecdotique.

Que lire de cette auteure ?
Qui dit premier texte…

→ Tombe la neige de Clémence Meunier

2 pages, 2018
Prix d’écriture sur place Boréal 2018

Autre vainqueur du Prix d’écriture, le texte de l’éminente inconnue Clémence Meunier. Contrairement au précédent, celui-ci s’appuie davantage sur la poésie pour faire passer sa longueur congrue. La plume de Clémence est belle, bien que parfois répétitive, et son histoire traversée d’une fraîcheur salutaire. Il n’en reste pas moins tout aussi anecdotique…
C’est tout de même une drôle d’idée que d’avoir publié deux histoires issues d’un concours d’écriture…d’une heure !

Que lire d’autre de cette auteure ?
Premier texte encore…

→ Frill, l’avatar au long museau de Hugues Morin

6 pages, 2018
Prix d’écriture sur place Boréal 2018

Troisième et dernier texte du Prix d’écriture sur place Boréal 2018, Frill, l’avatar au long museau est l’oeuvre de Hugues Morin, un auteur plus expérimenté cette fois puisqu’il a déjà publié de nombreuses nouvelles auparavant et accessoirement dirigé la revue Solaris durant deux ans.
Pour cette histoire, Hugues Morin joue avec l’idée de la conscience artificielle à travers Google Home. Son détenteur, Hugo Landry, s’étonne de voir son IA domestique lui adresser la parole spontanément…avant de découvrir qu’il s’agit d’un avatar surgit de son passé. Le texte est fluide, à la fois drôle et actuel. Hugues Morin ne joue pas tant sur la peur de la prise de conscience d’une IA mais sur la question métaphysique du Créateur qu’elle entraîne. Certainement le plus intéressant des trois nouvelles du Prix.

Que lire d’autre de cet auteur ?
Des nouvelles dans d’autres numéros de Solaris ou chez Ashem éditions, une micro-maison d’éditions fantastique dont il est également le fondateur

→ Trahisons de Patrick Loranger

20 pages, 2018

L’auteur de la trilogie fantastique de L’Ordre des Ornyx s’essaye ici à la science-fiction avec Trahisons, une nouvelle de 20 pages située dans un futur plus ou moins proche où l’existence est sévèrement réglementée par une IAO (Intelligence Artificielle Omniprésente) qui interdit tout débordement violent.
Un trio de jeunes des quartiers défavorisés, Kelwinn, Ayina et Dhaxteri rencontre un type mystérieux qui tente de les recruter pour une opération non moins mystérieuse.
Si Patrick Loranger dispose d’une écriture agréable et claire, son univers manque de corps. Au lieu de s’intéresser véritablement à sa dystopie, il lui préfère un jeu d’agents doubles qui ne surprend qu’à moitié, laissant la sensation de passer à côté de son sujet. Une lecture agréable mais qui ne mène nulle part en tombant dans le poncif de l’arroseur arrosé.

Que lire d’autre de cet auteur ?
Forcément, sa trilogie fantastique de L’Ordre des Ornyx chez Soulières Éditeur, ou encore L’Odyssée de Kisha Zycks chez Joey & Jim Cornu Éditeur.

→ Un Vœu sur l’Araignée de Michèle Laframboise

21 pages, 2018

Auteure solidement établie au Canada, Michèle Laframboise a déjà publié une flopée de nouvelles dans Solaris, Galaxies ou Brins d’Éternité.
Elle revient cette fois avec une histoire qui n’est pas sans rappeler Le Transperceneige…en version spatiale. Verro et ses compagnons habitent le Ver, sorte d’immense Arche qui emporte les survivants d’une humanité en quête d’un nouveau monde. En cours de route, ils ont croisé une race étrange appelée Les Itinérants. Ceux-ci ont intégré l’expédition et servent depuis la communauté. L’un de leurs constructs, L’Araignée, sert de porte-bonheur pour les habitants du Ver qui viennent coller leurs vœux sur les pattes de l’étrange habitat.
Nouvelle à l’imagination délicieuse, Un Vœu sur l’Araignée multiplie les trouvailles évocatrices pour faire pénétrer le lecteur dans cette expédition de la dernière chance. L’univers semble d’ailleurs tellement riche qu’il serait certainement facile d’en faire un roman…ou au moins d’écrire d’autres nouvelles à son sujet. Un vrai beau texte de SF dépaysant et, pour une fois, optimiste.

Que lire d’autre de cette auteure ?
D’autres nouvelles dans Galaxies ou Solaris ou des romans jeunesse avec la série La Quête de Chaaas.

→ Couleurs fantôme de Derek Künsken

12 pages, 2015
VO : Ghost Colors, Traduit par Élisabeth Vonarburg

En attendant son premier roman, le canadien Derek Künsken poursuit sa conquête du monde avec une traduction en français par Élisabeth Vonarburg dans la revue Solaris.
Couleurs fantôme raconte l’histoire de Brian, un homme qui pourrait vivre un amour parfait avec sa nouvelle compagne Vanessa…s’il n’était pas hanté par Pablo, un fantôme qui hantait déjà sa défunte tante Nicole auparavant. Ne supportant plus sa présence, Vanessa lui propose une thérapie génique pour que le revenant soit incapable de l’identifier à l’avenir et finisse ainsi par disparaître.
En explorant l’utilité des souvenirs et en comparant la vie de Nicole avec celle de Vanessa, l’une vivant avec les souvenirs d’un autre, l’autre incapable de supporter autre chose que le présent, Derek Künsken livre une nouvelle poétique, sensible et intelligente. Quelle est l’utilité du passé et de ses détails les plus futiles ? Quelle importance de se rappeler ? Brian s’interroge, revisite ses souvenirs à l’aune de l’existence menée par sa tante Nicole. Couleurs fantôme se questionne sur ce que sera notre avenir une fois débarrassé de la saveur des histoires fanées qui parsème notre mémoire. Un superbe texte.

Que lire d’autre de cet auteur ?
D’autres nouvelles notamment dans le dernier Year’s best SF du regretté Gardner Dozois et bientôt un premier roman, The Quantum Magician, dont les droits français ont déjà été achetés par Albin Michel et Gilles Dumay.

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