Sous-Sol

Dans les griffes du monstre

Nicolas Winter
Published in
4 min readApr 13, 2022

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Déjà bien connu dans le milieu de la littérature jeunesse et adolescente en France, Martine Pouchain remet le couvert dans la collection Exprim’ des éditions Sarbacane avec un court roman aux accents post-apocalyptique et survivaliste : Sous-Sol. Autant dire qu’avec l’ambiance actuelle, cette histoire résonne tout particulièrement dans l’esprit des jeunes lecteurs…

« Ma vie était tellement triste sans personne à aimer. »

Le monde d’après

Pour Leslie, le monde se divise en deux.
Le monde d’En-Haut d’abord, où l’humanité a été rayée de la carte par une guerre nucléaire et virologique impitoyable entre les anciennes nations.
Dans ce monde, les espèces animales ont muté et le ciel lui-même est une bouillie ardente. En somme, un enfer pour l’homme.
Reste alors le monde d’En-Bas, celui où sa sœur Amy et ses parents survivent dans une sorte de bunker souterrain sécurisé et où le temps semble tourner en rond. À mesure qu’elle grandit, Leslie commence à voir d’un autre œil ce qui l’entoure et son conte préféré, Rapunzel, devient l’écho sinistre d’une existence monotone.
Persuadé que ces filles et lui sont les Élus du monde de demain, le père de Leslie les éduque dans le droit chemin de Dieu et de son Verbe, n’hésitant jamais à rappeler par moults photos horribles le destin de l’Ancien Monde. Mais malgré tout ses efforts, malgré ses courageuses expéditions à la surface pour ramener ce qui peut être sauvé, le père d’Amy ne peut empêcher un terrible démon de s’emparer du cœur de ses filles : la curiosité !
Martine Pouchain nous place directement dans la tête de la plus jeune des sœurs, Leslie, et tente d’adopter son point de vue naïf sur la situation d’isolement total dont elle est la victime inconsciente.
Sous-Sol n’est pas là pour vous surprendre. En effet, Martine Pouchain nous raconte une histoire prévisible et déjà vue quelque part entre Room de Lenny Abrahamson et 10 Cloverfield Lane de Dan Trachtenberg.
On sait déjà la chute de ce récit à l’avance, on sait très bien ce qui se trame à l’intérieur de cette cellule souterraine et dans dans l’esprit du père.
Mais ce n’est pas forcément le plus important…

« J’aurais voulu être un oiseau, n’importe lequel.
Même un loup dégénéré, j’aurais aimé.
N’importe quel animal plutôt qu’être coincée dans un sous sol où je m’éteignais doucement. »

Loup, y es-tu ?

Le plus important ici n’est pas le but mais bien le cheminement qui mène à la prise de conscience d’Amy et de sa sœur Leslie. Martine Pouchain explore à la fois les moyens de l’emprise psychologique du père sur ses filles et les éléments qui vont permettre l’émancipation malgré l’endoctrinement.
D’un côté, il y a donc ce père, figure brutale et violente qui se drape dans les oripeaux de la religion et de la peur, deux pièces qui s’emboîtent à merveille. Il tient sa famille sous sa coupe en utilisant la terreur du dessus et les histoires affreuses qu’il en tire à base de bêtes dégénérées et de morts infâmantes.
Pour asseoir son autorité, un repère fondamental, un écrit incontestable : la Bible. Et enfin, bien sûr, des preuves inattaquables avec ce mur de photos jaunies comme autant de fake news sur une timeline de réseau social.
De l’autre côté, deux jeunes filles qui aiment les histoires et donc le pouvoir des mots. Deux jeunes filles à la curiosité dévorante et ce sentiment de lassitude qui les pousse au bord de la folie. N’oublions pas non plus la figure maternelle, martyrisée, rabaissée mais pourtant capitale pour les deux jeunes filles, dernier rempart contre la barbarie masculine.
Si Sous-Sol n’apporte rigoureusement rien au genre post-apocalyptique lui-même, sa narration force le respect. C’est précis, juste et parfois monstrueux. Martine Pouchain parvient avant tout à disséquer les mécanismes de la peur et à en montrer ses limites. L’histoire d’Amy et Leslie devient donc en quelque sorte un cri d’alarme sur notre siècle pris dans les mâchoires du repli sur soi et de la peur du monde extérieur. Une histoire qu’il faut raconter encore et encore, surtout aux plus jeunes.

Récit archi-classique et pourtant diablement efficace, Sous-Sol tire son épingle du jeu en fixant son attention sur ce qu’il se passe dans l’esprit des victimes. Martine Pouchain raconte les rouages de l’oppression et l’irrépressible besoin de liberté et de vérité qui anime la jeunesse pour mieux rendre son histoire intemporelle.

Note : 7.5/10

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