The Big Short

Leçon d’anti-capitalisme

Nicolas Winter
Juste un mot
Published in
6 min readJul 5, 2018

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Sorti pendant les fêtes de fin d’année, The Big Short n’a peut-être pas connu le succès et la mise en avant qu’il méritait. De toute façon, et d’une manière assez étrange, le long-métrage a été mal vendu sous nos latitudes. Du fait de son sous-titre racoleur, Le Casse du siècle, et d’une ribambelle de stars à l’affiche, le film a été vendu comme un nouvel Ocean’s Eleven. Problème : il n’a rien à voir avec le film de Soderbergh sus-nommé. Du reste, il s’agit d’une histoire signée par le réalisateur américain Adam McKay, un homme depuis longtemps embourbé dans des comédies bas de gamme avec le lourdingue Will Ferrell. Il faut avouer que présenté sous cet angle et malgré la présence d’excellents acteurs — Steve Carell, Christian Bale, Ryan Gosling ou encore Brad PittThe Big Short ne fait pas très envie. Sauf que… le scénario se base sur un excellent livre du non moins excellent auteur américain Michael Lewis, déjà à l’origine de Moneyball et The Blind Side. Rajoutons à cela que le film se concentre entièrement sur la (très) fameuse crise des subprimes qui a secoué l’économie mondiale en 2008, et l’on se dit que l’on tient peut-être quelque chose de croustillant. La vérité, c’est que The Big Short est le frère sous méthamphétamines et arrosé d’humour du formidable Margin Call de J.C. Chandor (Un chef d’oeuvre !). A la surprise générale, le bébé d’Adam McKay a beaucoup de choses à dire !

Pas de braquage de casino dans The Big Short mais une toute autre échelle d’escroquerie. Adam McKay et Michael Lewis nous racontent l’histoire de quatre farfelus assez fous et assez géniaux pour avoir senti venir la crise de l’immobilier, aussi appelée crise des subprimes, bien avant l’année 2008. Le premier fut le Dr Michael Burry, ancien neurologue reconverti dans le management de fonds financiers, le second Mark Baum, un magnat de la finance qui pense qu’il faut une morale à ce milieu pour le moins pourri, et enfin les deux derniers sont deux jeunes premiers ambitieux, Danny Moses et Charlie Geller, qui ont reçu l’aide plus que bienvenue de Ben Rickert. Tous ont compris d’une façon ou d’une autre que la bulle entourant l’immobilier en Amérique, entretenue par les banques et les traders véreux, allait imploser. En misant sur des assurances contre les divers investissements des grands établissements les indemnisant en cas d’effondrement du marché, ceux-ci sont d’abord pris pour des illuminés et essuient les pires moqueries dans un milieu où l’immobilier est perçu comme le plus sûr des marchés. Seulement voilà, l’année 2008 et l’éclatement au grand jour de l’immense arnaque des subprimes a non seulement donné raison à ces hommes mais a, aussi, failli détruire toute l’économie mondiale. McKay, en adaptant le bouquin de Michael Lewis, ne se contente pas d’une simple présentation gentillette mais bien d’une charge virulente contre le système.

A l’instar de Margin Call, The Big Short plonge le spectateur dans l’univers de la finance. Totalement incompréhensible pour le non initié, le monde de Wall Street fascine pourtant toujours. L’hermétisme criant de ce milieu n’avait cependant pas empêché Margin Call de développer un propos hautement subversif et, il faut l’avouer, douloureux. Adam McKay prend un pari pas si éloigné mais en tentant cette fois d’expliquer un tant soit peu les choses. Même si la tentative était vouée à l’échec (vous ne serez pas des experts de la finance après avoir vu The Big Short), elle remplit tout à fait son office, à savoir rendre compte de l’énormité de ce qui nous est raconté à l’écran. D’emblée, on saluera l’audace narrative et improbable de McKay en intercalant des moments explicatifs faisant intervenir les personnalités les plus inattendues telles que Selena Gomez ou Margot Robbie qui dissertent sur le terme shorter ou les supers CDOs. Comme si Paris Hilton expliquait de l’astrophysique. Ce genre de décalage humoristique à base de comparaisons et de métaphores donnent à The Big Short un ton cynique et absurde délicieux… mais qui se retourne également un tantinet contre lui puisqu’il épure(un peu) le côté dramatique du récit.

Au-delà de ce versant volontairement barré, The Big Short vulgarise la finance et l’immobilier pour mieux dépeindre le drame humain et surtout moral derrière. En prenant pour personnages principaux quatre outsiders géniaux, Adam McKay donne aussi du caractère à son récit. Si Christian Bale assure en autiste de la finance, c’est surtout le génial Steve Carell qui brille. Dans le rôle de Mark Baum, il s’avère aussi convaincant qu’il le fut en début d’année avec le noir et destructeur Foxcatcher. C’est véritablement lui qui porte le film sur ses épaules et non un Brad Pitt finalement peu présent ou un Ryan Gosling drôle et caustique mais peu charismatique à l’arrivée. C’est d’ailleurs niveau casting qu’on pointera l’un des défauts de The Big Short, à savoir les deux plus jeunes acteurs de la bande, Rafe Spall et John Magaro, plus faibles dans leurs interprétations que les autres géants qu’ils côtoient; et qui bénéficient franchement d’une storyline bien moins prenante que celles de Carell et Bale. En entrelaçant plusieurs fils narratifs, Adam McKay s’exposait à ce genre de déconvenues mais il limite plutôt bien la casse. Pourquoi ? Parce le scénario dont il profite, le ton acide de son film et son côté ultra-dynamique permettent de compenser ses faiblesses.

The Big Short n’est pas un film sage. Il n’est même pas un film fun à l’arrivée, mais bien une charge politique sur le monde capitaliste et, plus particulièrement, l’impunité des banques ainsi que les accointances avec l’Etat. Plus que cela même, Adam McKay et Michael Lewis dénoncent avec brio toute la stupidité profonde des hommes et femmes qui travaillent dans ce milieu, tous plus corrompus et méchamment bêtes les uns que les autres… et la bêtise du citoyen ordinaire, incapable de voir qu’il se fait avoir, trop occupé à ingurgiter les médiocrités qu’on lui assène à longueur de journée. Le clinquant de la mise en scène et son côté clipesque (les images quasi-subliminales s’invitent régulièrement dans le récit) renvoient à la superficialité de notre époque et au véritable abrutissement des masses qui mine la société occidentale moderne. Il faut noter d’ailleurs que le film n’est jamais aussi efficace que lorsqu’il laisse le temps au versant dramatique de s’installer. La fin du récit et les différentes interventions de Mark Baum en sont une preuve éclatante. Du coup, ce qui avait longtemps été une histoire menée tambour battant devient un constat amer de l’état déplorable de notre système et des ordures qui le dirigent. The Big Short s’achève sur une note cendreuse qui laisse un goût des plus désagréables dans la bouche du spectateur.

Si The Big Short semble un peu déjà vu dans le sujet de fond qu’il aborde après le trop méconnu Margin Call, et si les plus jeunes acteurs du casting ne sont pas à la hauteur de l’enjeu, il faut se rendre à l’évidence : Adam McKay livre son chef d’oeuvre. Montagnes russes sauce finance aromatisées au cynisme et à l’indignation mordante, The Big Short se consomme sans modération pour dévoiler la bête immonde qui ronge notre société. Un grand film à l’arrivée.

Note : 9/10

Meilleure scène : Mark Baum face aux responsables des CDO.

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