The Man in the High Castle, Saison 4

Des nazis et des hommes

Nicolas Winter
Juste un mot
Published in
6 min readMar 27, 2020

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En novembre 2015, alors qu’Amazon Prime se cherche des séries poids lourds pour s’imposer face à Netflix, Frank Spotnitz propose une adaptation du Maître du Haut-Château de Philip K. Dick.
Trois saisons plus tard, The Man in The High Castle reste l’une des œuvres emblématiques de la plate-forme à défaut d’en incarner le meilleur.
Malgré d’excellentes idées et un univers passionnant, la série souffle le chaud et le froid, ennuie parfois avant de redevenir formidable. Bref, comme nous l’avions déjà dit au sujet des saisons 2 et 3, il manquait quelque chose à The Man in The High Castle pour faire partie des grandes.
Avec l’annonce d’une quatrième et dernière saison, difficile de savoir de quelle façon l’histoire de Juliana Crain et John Smith allait bien pouvoir se terminer…

Épurer le contenu

Après une saison 3 en demi-teinte qui valait surtout pour un John Smith impeccable et des évolutions géopolitiques passionnantes, nous voici donc au début de cette dernière saison dans une configuration inédite.
Pourquoi inédite ? Parce que les scénaristes se sont (volontairement ou involontairement ?) débarrassés de toutes les sous-intrigues les plus lourdes et inconsistantes de la série.
Frank Frink — dont plus personne ne savait visiblement quoi faire — est mort des mains de l’inspecteur Kido, Joe Blake a connu une fin semblable grâce à Juliana Crain qui a ainsi pu devenir beaucoup plus intéressante, et Ed a décidé de rester dans la zone neutre pour disparaître de la circulation…
Surprise encore, dès le premier épisode de cette nouvelle saison, on apprend que Tagomi, le ministre du commerce japonais, est mort dans un attentat. La série expurge donc son côté zen tranquille qui commençait à peser et à tourner sérieusement en rond.
En somme, The Man in The High Castle se recentre sur deux personnages principaux : Juliana Crain qui voyage désormais dans des univers parallèles, et John Smith, de plus en plus puissant et de plus en plus torturé.
Un excellent choix qui va, de surcroît, bénéficier d’autres sous-intrigues tout aussi passionnantes.

Révolution Noire

Bien décidé à montrer que le monde américain ne s’est pas résolu à la dictature, The Man in The High Castle rassemble deux groupes révolutionnaires : les blancs de Wyatt Price et les noirs du BCR (pour Black Communist Revolution). Ces derniers s’avèrent l’une des plus brillantes idées de la saison puisqu’ils incarnent ici une idée de rébellion similaire à ce qu’il s’est passé dans notre univers lors de la révolte contre la ségrégation noire aux États-Unis dans les années 60 et que cela permet, en plus, de réfléchir sur la différence entre l’oppresseur japonais et la maître blanc de jadis. Pourquoi collaborer avec les blancs américains quand ceux-ci n’ont, de toute façon, jamais eu plus d’égards que les japonais ou les nazis pour la population noire ? De même, en établissant un parallèle avec la guerre du Vietnam (dans l’univers parallèle visité par Smith et Crain), le principe de la guerre asymétrique prend tout son sens et le BCR devient un élément central de la série.
Autre sous-intrigue fort bien menée, celle de Robert Childan, éternel lâche et profiteur qui trouve l’amour avec une japonaise et devient, peu à peu, un personnage aussi poignant que sympathique, ce qui n’était franchement pas une mince affaire…
Pourtant, ces deux éléments ne représentent pas encore la meilleure idée de cette dernière saison en forme d’apothéose.

De l’empathie pour le Mal

Ce qui fait toute la différence cette fois, c’est que la série capitalise à fond sur ses anti-héros.
Pour remplacer Tagomi du côté japonais, les scénaristes font un choix radical et ultra-audacieux : l’inspecteur-chef Kido, l’une des pires ordures de la série.
En nous faisant adopter son point de vue et en lui offrant une famille et une histoire, Kido devient peu à peu un personnage que l’on comprend, pris en tenaille entre l’honneur de son peuple et les horreurs qu’il a commis. Sans l’excuser, la série explique le pourquoi du comment et Kido s’impose en une seule saison comme beaucoup plus nuancé et complexe que ne l’a été Tagomi jadis.
Mais, bien évidemment, le grand vainqueur de cette saison et le véritable tour de force, c’est encore et toujours le personnage de John Smith.
Plus encore que pour les saisons précédentes, Smith incarne le cœur de l’intrigue de The Man in The High Castle. Le véritable exploit de cette saison, c’est de montrer ce que l’on attendait depuis le début : Comment Smith est-il passé de l’armée américaine au plus haut poste du Reich ?
Au cours de l’épisode 5, Mauvaise Foi, le spectateur découvre une chose fondamentale : tout peut basculer pour un homme face au désespoir.
Que faire en cas de guerre lorsque l’on est dans le camp du vaincu ?
Quel serait notre choix entre la mort et l’obéissance ?
Ici, la série explique que l’existence est une succession de choix qui nous transforme nous, mais aussi l’univers autour de nous.
Le résultat ? John Smith, père de famille aimant dans toutes les réalités mais qui connaît un côté obscur, un côté qui le mène à devenir ReichsFührer et à commettre un génocide…

Des échos dans le multivers

Enfin, cette dernière saison utilise le multivers d’une façon beaucoup plus convaincante que précédemment. La série s’amuse à transformer la série La Quatrième Dimension en un show antisémite et propagandiste tandis que Juliana Crain découvre que l’univers repose parfois sur le chemin d’un seul homme.
Le plus important en l’état, c’est que le multivers montre que d’autres voies existent. Du fait, la scène finale et le destin de John Smith boucle la boucle d’une façon tout à fait prodigieuse : Imaginez que vous soyez la pire de toutes les versions existantes de vous-mêmes ? Comment le prendriez-vous ?
Avec intelligence et subtilité, The Man in the High Castle offre des échos de vies perdues aux personnages qui le parcourent et le message initial de la série, qui véhiculait la connaissance comme dernier rempart face au désespoir, ne passe plus par des films de propagande, mais par des vies avérées et des existences qui auraient pu être meilleures.
En s’affranchissant du postulat de base du roman, la série trouve (enfin) sa voie et devient tout simplement géniale. Si l’on excepte une fin ouverte volontairement cryptique et qui semble représenter l’ouverture sur les autres plutôt que la haine constante choisie depuis le début par les uns et les autres, cette quatrième saison a tout bon, et l’on en reste secoué durablement, profondément.

Si l’on devait résumer The Man in the High Castle, ce serait par un seul nom : Rufus Sewell. Magistral de bout en bout, c’est son histoire et sa capacité à nous émouvoir malgré son rôle de nazi qui donne à cette ultime saison toute la beauté et la grandeur qui l’habite. Petit miracle en soi, cette dernière fournée d’épisodes passionne, réjouit et émeut profondément.
Comme le dit l’adage populaire : Mieux vaut tard que jamais !

Note : 9.5/10

→ Critique de la saison 1
→ Critique de la saison 2
→ Critique de la saison 3

→ Critique du roman Le Maître du Haut-Château de Philip K. Dick

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