The Thing, version 1982

Huit-clos paranoïaque

Nicolas Winter
Juste un mot
Published in
5 min readOct 18, 2020

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Après une première adaptation médiocre (mais très intéressante sur d’autres points, comme nous l’avons déjà expliqué précédemment), la nouvelle La Bête d’un autre monde de John W. Campbell atterrit entre les mains de deux personnes d’une importance capitale : le scénariste Bill Lancaster et le réalisateur John Carpenter.
Relancé par le succès d’Alien de Ridley Scott (projet lui-même influencé par La Chose de Campbell), le remake de La Chose d’un autre monde devient une réalité après moult péripéties.
Tout juste sorti de l’épuisant tournage de New-York 1997, John Carpenter se laisse finalement convaincre par le script d’un Bill Lancaster bien plus proche dans son déroulement que le piteux récit de Christian Niby et Howard Hawks.
Pourtant, à sa sortie au cinéma en 1982, The Thing est un cuisant échec critique et public…

Au milieu de l’Antarctique

Cette fois, le long-métrage adapte de façon beaucoup plus respectueuse la nouvelle originale. Si l’équipe se réduit (passant de 37 à 12 personnages) et si la base américaine ne découvre pas directement la bestiole (ce qui est le fait d’une équipe norvégienne toute proche), John Carpenter et Bill Lancaster parviennent à capter de façon tout à fait extraordinaire la paranoïa qui gangrène l’histoire.
Principal personnage, MacReady change aussi de carrure avec la réécriture de Lancaster pour l’adapter sur mesure à l’un des acteurs fétiches de Carpenter : Kurt Russel.
Tout débute par l’étrange poursuite d’un chien par un hélicoptère et deux norvégiens bien décidés à le tuer. Après l’arrêt (par la force) de cette étrange manège, toute l’équipe de scientifiques américains est sous le choc. Tandis que MacReady et le Dr Cooper se rendent au camp norvégien (ou ce qu’il en reste), Clark rassure le chien recueilli avant de le conduire au chenil.
Et c’est le début du cauchemar puisque l’animal n’est en rien ce qu’il semble être et qu’une terrifiante créature s’échappe dans la base… une créature capable de singer parfaitement ses proies !
Si le reste de l’histoire est archi-connue, contentons-nous de rappeler deux choses.
D’abord, The Thing bénéficie du talent hors du commun de Rob Bottin qui, encore aujourd’hui, impressionne par la prouesse technique et l’ingéniosité des moyens déployés pour l’occasion.
Ensuite, et c’est un cas quasi-unique chez Carpenter, c’est l’italien Ennio Morricone qui se charge d’une B.O minimaliste mais glaçante en parfait accord avec l’ambiance pesante du métrage.
The Thing rassemble une sacrée brochette de talents en somme et tout semble indiquer le chef d’œuvre. Alors pourquoi ce désamour initial ?

Nihilisme et politique

Certainement parce que John Carpenter, comme souvent, s’avère beaucoup trop en avance sur son temps. Alors que Ripley se débarrasse de l’Alien et sauve l’humanité et que E.T. rentre gentiment à sa maison, la Chose s’infiltre, tue et…gagne. Du moins c’est ce que l’on peut en déduire de la fin ambiguë du long-métrage où MacReady et Childs constatent qu’ils sont seuls au milieu de nul part, prêt à geler une fois les incendies étouffés. Et surtout, qui dit que la Chose est morte ?
Cette fin ouverte, pessimiste, a quelque chose de terrifiante en elle-même, prenant à rebrousse-poil un spectateur qui n’était certainement pas prêt à un tel nihilisme, surtout après plus d’une heure de scènes d’horreur viscérale et de transformations corporelles dérangeantes.
Entre les lignes, et comme pour le film d’Howard Hawks, The Thing tisse un sous-texte politique dans une époque encore bouffée par la peur du communisme et où l’autre peut cacher des idées séditieuses et/ou belliqueuses avec l’apparence de votre voisin le plus ordinaire.
Si Carpenter ne véhicule pas frontalement ce genre d’idées, il n’en reste pas moins que The Thing, comme tous les grands films d’horreur, va bien plus loin que la simple élimination progressive des héros de son intrigue.

Paranoïa glaciale

Mais l’immense, l’incroyable réussite de The Thing, c’est de retranscrire à merveille la paranoïa de la nouvelle originale dans des décors d’une efficacité redoutable. Piégé dans une base de l’Antarctique, avec peu de moyens de défense et une peur panique de laisser s’échapper un super-prédateur sur le reste de l’humanité, le film de John Carpenter prend le contre-pied de son Assaut où l’on devait empêcher les agresseurs d’entrer.
De même, The Thing préfigure le très Lovecraftien L’Antre de la Folie et la paranoïa galopante de son héros.
Ce qui rend le film aussi terrifiant, au fond, c’est que l’on sait que la créature est là mais que cette créature nous ressemble comme deux gouttes d’eau.
La terreur vient donc à la fois de l’homme devant nous mais aussi de la Bête qu’il peut cacher en son sein.
Guidé par un Kurt Russel qui semble lui aussi peu digne de confiance, The Thing enchaîne les séquences mémorables jusque dans la fameuse scène du test sanguin où la tension atteint des sommets.
Rajoutons également que, contrairement à la précédente adaptation, le métrage ne fait pas l’erreur d’inclure une intrigue romantique hors sol et se concentre entièrement sur le jeu de massacre principal. Cette unité de lieu, de temps et d’action rend le film de Carpenter terriblement efficace.

Véritable chef d’œuvre du cinéma d’horreur, The Thing retrouvera progressivement la place qu’il mérite au panthéon des meilleurs films du cinéma moderne. Tendu, magistralement flippant et exquisément paranoïaque, le film de John Carpenter deviendra le maître-étalon pour tout une génération de jeunes réalisateurs en devenir.

Note : 9.5/10

N.B : À noter que le film de Carpenter a connu plusieurs suites en comics et…en jeu vidéo ! Dans celui-ci, des soldats américains enquêtent sur les évènements et se retrouvent confrontés à une contamination à plus large échelle. Et c’était franchement pas mal !

→ Critique de The Thing, version 2011

→ Critique de La Chose d’un autre monde

Texte original de John W. Campbell chez Le Bélial’ :

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