The VVitch

Sorcière au fond des bois

Nicolas Winter
Juste un mot
Published in
5 min readJan 17, 2018

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Prix du Jury SyFy Universal Gerardmer 2016
Prix de la mise en scène Sundance 2015
Sutherland Trophy du meilleur premier film 2015

Sorti en catimini en France sur quelques rares écrans de cinéma, et avec un an de retard sur les Etats-Unis, The VVitch était annoncé comme une petite perle de l’horreur et du fantastique. Premier film de l’américain Robert Eggers, le long-métrage fut présenté à Sundance en 2015 où il s’est vu décerné le prix de la mise en scène avant d’impressionner son monde dans à peu près tous les festivals dans lesquels il est passé. Sans aucun acteur connu, avec un sujet peu banal inspiré des contes folkloriques et surtout avec un budget restreint, The VVitch a fait un carton critique et public à sa sortie US, cela malgré le peu d’écrans alloués pour sa diffusion. En France, le métrage a connu un destin encore plus ignominieux et aurait aussi bien pu sortir en Direct-to-DVD comme nombre d’excellents films de genre récents (Bone Tomahawk ou We are what we are pour n’en citer que deux). Allumez une bougie et calez-vous bien dans votre fauteuil, bienvenue dans une Nouvelle-Angleterre sinistre à souhait…

Le générique de fin vient nous rappeler une chose : The VVitch est inspiré par les contes et le folklore du XVII ème siècle. Cependant, ne vous attendez surtout pas à vous retrouver devant un ersatz aseptisé des contes traditionnels que l’on peut voir régulièrement au cinéma ces dernières années. Film crûment réaliste, The VVitch emprunte des éléments récurrents des histoires d’antan — la sorcière, le bois hanté, la maison isolée, la tanière du démon, les animaux maléfiques… — mais les traite avec un sérieux de tous les instants. Robert Eggers, passionné par les sorcières depuis son plus jeune âge, ne laisse pas planer le doute longtemps quant à l’existence de cette dernière. L’américain choisit de montrer et de mettre mal à l’aise son spectateur. En déformant — en torturant même — son conte pour lui donner une atmosphère glauque, il installe d’emblée un lieu d’action unique, isolée de toute communauté. Dès les premières minutes, la famille de puritains que nous allons suivre est mise à la porte de la plantation où elle vivait jusque là. Pour survivre, le patriarche, William, emmène ses deux filles et trois garçons ainsi que sa femme, Katherine, à l’orée d’une forêt sombre et mystérieuse. Le décor est planté instantanément, dans une musique aux éclats tétanisant et qui annonce, en quelque sorte, les terribles et insidieuses horreurs à venir.

Pourtant, qualifier The VVitch de film d’horreur serait aussi restrictif que maladroit. Si l’horreur est bien présente, notamment sur un certain plan psychologique bien davantage que sur le versant physique de la chose, c’est le fantastique qui prend le pas sur le reste. Un conte fantastique mâtiné d’horreur. Voilà ce qu’est le premier long-métrage de Robert Eggers. Grâce à un lieu d’action unique, une petite ferme isolée, et une mise en scène expurgée du moindre élément clinquant, le cinéaste nous enferme dans une nasse pour faire évoluer en milieu clos la cellule familiale. C’est précisément là que la démarche d’Eggers devient intéressante. Au lieu de se jeter sur une histoire de terreur pure et simple, il replace Thomasin, l’aînée, au milieu d’une famille strictement puritaine, celle-ci ne concevant son existence que comme un péché qu’elle doit expier chaque jour. Si l’on a d’emblée droit à la vision de la sorcière des bois et de l’enlèvement du bébé, séquence bien plus violente et glauque qu’on pourrait le penser devant l’économie de moyens employés (Il suffit de se rendre compte de ce que devient l’enfant en réalité…), c’est sur un autre versant que le film se fait extrêmement intéressant.

Outre son retour aux sources revendiqué d’un fantastique sombre et malaisant, The VVitch pense la figurine féminine avec intelligence. Au XVIIème siècle, la femme était forcément un démon, une sorcière. Du coup, ici, le conte fait tomber petit à petit la famille devant un événement majeur de la vie féminine : le passage à l’âge adulte. C’est le statut de Thomasin qui, devenant femme, va renverser le jeu et redistribuer les cartes de la cellule familiale qui va elle-même céder sous ce poids. La fille prend métaphoriquement puis littéralement la place de la mère entre complexe d’œdipe et envies incestueuses refoulées. Le démon attend juste son heure et catalyse les choses. Car il est également question de démons, du diable pour être exact et de ce côté The VVitch ne boxe pas dans la même catégorie que les boursouflures hollywoodiennes usuelles. On assistera ainsi à quelques scènes malsaines comme rarement ces derniers temps. On pense à la pseudo crise de possession de Caleb, à ces sempiternels jumeaux qui procurent un sentiment dérangeant à chacune de leurs apparitions (et cela malgré une banalité effarante des scènes en questions) ou simplement à la séquence du corbeau, sommet de glauque assumé et marquant. L’horreur qui s’insinue dans le long-métrage n’a rien d’évidente, elle s’avère aussi roublarde qu’entêtante. Elle refuse le gore ou le jumpscare pour y préférer le nébuleux et la terreur du banal. La mise en scène brillante et franchement impressionnante de Robert Eggers n’y est pas pour rien, sans même parler des jeux de lumières. Arriver à titiller l’imagination et à susciter l’horreur en filmant un lapin ou un bouc n’est pas donné à tout le monde. C’est pourtant ce qui arrive à la vision de The VVitch. On finira par louer également les acteurs, tous extrêmement justes dans leur jeu et qui ont surtout le bonheur de s’effacer complètement derrière leur personnage respectif.

Ce film inattendu, tourné dans un vieil anglais plus qu’à propos, a bien mérité ses louanges. Malsain à souhait et renouant avec une vision du fantastique qu’on croyait définitivement perdue, The VVitch est presque un coup de maître. Robert Eggers a tous les atouts en main pour devenir un grand cinéaste du genre.

Note : 9/10

Meilleure scène : Le corbeau — La possession de Caleb

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