The Whale

Un poids sur le cœur

Nicolas Winter
Published in
6 min readMar 12, 2023

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Soyez sincères.
Sincère.
Darren Aronofsky quitte l’exubérante mise en scène de son dernier long-métrage, mother!, et retourne à une veine plus réaliste, plus intimiste, comme un écho à l’un de ses long-métrages les plus sous-estimés et pourtant l’un des plus précieux, The Wrestler.
Dans ce dernier comme dans The Whale, l’américain transfigure un acteur et lui offre une résurrection. Oubliez la tronche fracassée d’un Mickey Rourke revenu d’entre les morts et préparez-vous à l’image imposante et répugnante offerte par un Brendan Fraser que l’on pensait momifié depuis des années.
The Whale n’abandonne pourtant ni les obsessions de son auteur ni ses interrogations. Darren Aronofsky s’offre, sincèrement et humblement, bourrasque d’émotions parfois contradictoires et surtout vibrant portrait d’un homme-monstre enseveli sous son propre poids et sous les remords.

Brendan Fraser — Darren Aronofsky

Brendan Fraser, métamorphosé pour l’occasion et magistral de bout en bout, se glisse dans les replis de Charlie, un prof d’université mourant, précipité vers la fin par une obésité morbide et une insuffisance cardiaque qui va crescendo.
Dès le début, le verdict tombe. Notre héros mourra. Une pression artérielle au plafond, une respiration qui suinte l’œdème pulmonaire, une sueur que l’on devine moite et glaciale comme la mort.
Le compte à rebours n’attend pas.
Comme Randy dans The Wrestler, le couperet tombe et l’homme derrière cherche une rédemption.
Avoir fait une bonne chose dans sa vie.
Au moins, une.
Et tout comme pour notre catcheur vieillissant, Charlie a une fille qu’il a blessée, abandonnée, meurtrie. Une fille qu’il veut revoir pour lui dire sa vérité, pour être sincère, pour lui redonner la force que lui-même n’a pas eu. Car dans cette carcasse impossible à bouger sans un déambulateur robuste, c’est un homme abattu qui se suicide à petit feu que l’on retrouve, un homme qui a été jadis heureux mais qui, depuis, n’en finit pas de s’élargir et de mourir.
Ainsi Darren Aronofsky nous enferme à huit clos, comme dans une pièce de théâtre où les acteurs vont se succéder autour de Charlie, point central de cette histoire, baleine dans la pièce à défaut d’éléphant.
Dans cet appartement sombre, mal éclairé et qu’on devine nauséabond, Charlie n’a plus grand chose, sauf son poids et sa mémoire, mis au ban d’un monde qui le déteste, lui le gros, l’obèse, l’homosexuel. Un monde qu’il voit par sa télé avec la montée de Trump et des Républicains. Un monde qu’il ne peut se résoudre à revoir même par webcam interposé.
Et une chambre, fermée à clé, double inversé de sa tanière mal rangée et étroite, une chambre claire et impeccable, comme un souvenir oublié dans l’appartement-monde dans lequel il vit, comme un rappel d’avant.
Avant, c’est l’histoire d’amour, celle incomprise et fautive qui voit Charlie quitter sa femme et sa fille alors âgée de huit ans pour un homme plus jeune dont il est éperdument tombé amoureux. Mordant à pleine dents dans le fruit défendu en oubliant sa petite fille derrière, rendu coupable simplement d’être lui.

Sadie Sink

Sa petite fille, c’est Ellie. Et aujourd’hui, elle n’est plus une petite fille, c’est une adolescente en colère contre le monde entier. Une personne rongée par une tristesse qui s’est muée en haine. The Whale ramène la fille vers le père, pour une ultime chance de rédemption. Entre les deux, son infirmière, Liz, qui le voit dépérir sans rien pouvoir, qui veut elle aussi se donner une deuxième chance de sauver Charlie à défaut d’avoir pu sauver son propre frère Alan. Le même Alan qui s’est suicidé et a entraîné Charlie dans sa chute sans le savoir.
Une surprise enfin, un hasard. Un jeune homme d’une secte apocalyptique qui passait par là, Thomas, et qui voudrait aider, vraiment aider quelqu’un à trouver le salut. Dans ce qu’il connaît du salut, donc par le religieux et la foi. Dès lors, l’ambiguïté de Darren Aronofsky face à la foi se réinstalle en catimini, tiraillé entre la croyance et l’athéisme comme dans son Noé ou dans The Fountain. Pour pourfendre la mort tel un conquistador ou survivre au déluge en nouveau Prophète. Mais c’est aussi la création, le fait de créer, douloureux, destructeur et pourtant également salvateur qui revient entre les mains de Charlie, cet homme qui aime les mots et les poèmes mais qui cherche quelque chose que notre époque refuse de plus en plus : la sincérité. Un dernier bienfait précieux pour lui, qui se sait monstrueux d’apparence, caché aux yeux des autres alors que le monde est devenu trop poli pour avouer sa répugnance vis-à-vis de ce qu’il est.

Hong Chau

Dans l’œuvre de Darren Aronofsky, on trouve aussi, et surtout, la notion de sacrifice, de lutte jusqu’au dernier souffle, une figure de martyre qui fait le lien entre le rôle du créateur et celui de la créature.
Qu’il s’agisse d’une danseuse dans Black Swan, d’un catcheur dans The Wrestler ou d’une muse dans mother!
Peu à peu, The Whale raconte l’histoire de Charlie, et démasque la sincérité de chacun. D’un père qui veut ertrouver l’amour de sa fille, d’un gamin qui veut revoir sa famille, d’une ex-femme qui garde le souvenir d’une plage, d’une sœur qui veut guérir l’impossible. C’est la sincérité qui vient submerger le spectateur, et qui passe aussi par le jeu des acteurs, tous plus fantastiques les uns que les autres et notamment la jeune Sadie Sink, bouleversante et émouvante en diable. Brendan Fraser, lui, apporte une touche toujours plus sincère au film, acteur sex-symbol déchu et ici englouti sous des kilos de prothèses qui achèvent de le transformer en anti-icône Hollywoodienne. The Whale capture cette sincérité là, celle de l’esprit avant la chair, une chair qui meurt toujours à la fin. Au-delà de la noirceur du propos, Darren Aronofsky entretient des lueurs d’espoir.
Cette chambre prise dans l’ambre où l’on retrouve la foi, cette fenêtre qui montre un oiseau-compagnon, comme un messager. Et puis bien sûr, une simple rédaction, authentique, brillante, complètement non académique et qui en dit long, qui déchire jusqu’à la fin, devant cette porte ouverte d’où la lumière jaillie et où Charlie finira par se présenter, pardonné, enfin.
Et sincère !

The Whale poursuit avec brio l’œuvre de Darren Aronofsky.
C’est un portrait brillant et sincère qui va au-delà des apparences, qui fouille pour trouver l’authenticité, porté par des acteurs et actrices remarquables. Un exercice théâtral de foi, de rédemption et de création. Une histoire de monstre mythique que l’on pardonne, que l’on aime à nouveau, et qui s’élève au-dessus d’un monde qui le rejette pourtant dans l’ombre.

Note : 9.5/10

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