Tout ce qui manque : Un roman d’amour après la fin

Et notre regard…

Nicolas Winter
Published in
4 min readSep 24, 2023

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C’est l’histoire d’un auteur qui quitte Paris pour revenir dans la maison de ses parents quelque part en Dordogne.
Cet auteur, il n’est pas très connu. Après plusieurs romans, même son éditeur ne sait pas s’il a misé sur le bon cheval.
Son prochain bouquin sera-t-il le bon ?
Sera-t-il enfin celui qui lui ouvrira la route du succès ?
Ce fameux succès que tous convoitent avant de finir misérables dans l’une des nombreuses foires du livre d’un trou perdu à la campagne ?
Peu lui importe en vrai car autre chose vient de se produire, quelque chose de bien plus terrible qu’une carrière qui s’emballe ou qui se casse la gueule.
Ana est partie.
Et le monde s’est écroulé.

« Nous avons tous un voyage à faire, je crois, et certains coûtent plus que d’autres. »

Pour son cinquième roman, Florent Oiseau choisit un personnage qui pourrait être lui. Un auteur qui a, en général, la délicatesse de ne pas gagner les prix pour lesquels il est finaliste.
Tout ce qui manque se pose dans le quotidien le plus banal, prêt à embarquer dans un train qui file de la capitale vers Thiviers, petit village où le plus dur à supporter reste le silence et la tranquillité.
Notre narrateur, lui, a sa propre terreur. La femme qu’il a aimé pendant des années a mis fin à leur histoire. Les lendemains ont gagné et même la complicité de leurs regards ne suffit plus.
Pour exorciser sa peine et tenter de récupérer Ana, voici notre auteur sur les traces de son enfance, avec les fantômes de ses parents quelque part à proximité, et un chien qui le suit comme s’il avait besoin de larges oreilles pour l’écouter. Dans le village de Thiviers, une sombre affaire de meurtres de canidés défraie la chronique. On s’émeut, on s’offusque, on traque.
Ce n’est pas souvent qu’un tel remue-ménage arrive.
Le lecteur embarque dans la douceur et dans la douleur, un subtil mélange des deux que maîtrise Florent Oiseau à la perfection, lui qui imagine l’exercice littéraire comme un catharsis.
On y plonge dans la vie de l’écrivain, dans la médiocrité mais aussi la sincérité de ce petit monde qui étonne ou qui déçoit, c’est selon.
Hilarant souvent, émouvant toujours.

« Respirer de mon côté, faire des rêves dans lesquels tu n’apparais pas, ignorer ton existence, regarder des ciels d’été sans t’y voir.
C’est vertigineux, c’est impossible. »

Tout ce qui manque est un roman pour accepter.
Accepter la perte de l’être aimé.
Accepter la beauté de l’insignifiant.
Accepter d’habiter son passé.
C’est par la beauté de l’écriture et du style de Florent Oiseau que le récit prend aux tripes. S’attardant sur le destin de personnages de rien mais qui deviennent tout, ne serait-ce que pour quelques pages.
Le roman, lent et doucereux, envoie des flèches impitoyables qui s’immiscent dans la tête de son lecteur. Touchant des émotions, des souvenirs, des saveurs, des odeurs, des chaleurs.
On s’aperçoit, petit à petit, que tout n’est qu’histoire d’aimer ici ou là.
Un mari pour son ex-femme décédée, une mère pour son gamin un peu bête mais pas bien méchant, un collègue pour son co-équipier qui file un mauvais coton… et bien sûr un auteur qui aimerait renouer.
Mais voilà, le propre du temps est d’accepter, de comprendre que les lendemains ont toujours le dernier mot.
Peut-être faut-il laisser filer les choses.
Peut-être faut-il savoir en faire une histoire neuve pour d’autres lecteurs.
N’est-ce pas ce que Florent Oiseau nous propose au fond ?

« En fait, mes personnages sont des dérivatifs, des pansements, je les utilise pour éviter de regarder mes monstres. »

Tout ce qui manque est un livre d’amour brisé. C’est aussi le roman d’un écrivain à propos de son art, d’un retour au pays natal entre mélancolie et espoir ressuscité, d’un voyage qui dit combien le monde doit tout au verbe aimer.
C’est beau, c’est immensément beau.
Et complètement indispensable.

Note : 9.5/10

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