Tout l’argent du monde

Le prix d’une vie

Nicolas Winter
Juste un mot
Published in
5 min readJan 3, 2018

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Ridley Scott n’a pas vraiment passé une bonne année 2017. Laminé par la critique et boudé par le public pour son Alien : Covenant, le cinéaste américain n’a semble-t-il toujours pas compris qu’il était temps de laisser cette saga en paix.
Heureusement, Scott avait un second projet sous le coude qui délaisse la science-fiction et l’horreur pour revenir à un autre genre qu’il affectionne particulièrement : le thriller. Tout l’argent du monde est pourtant devenu célèbre bien avant sa sortie sur les écrans avec le scandale d’harcèlement sexuel autour de l’un de ses acteurs principaux : Kevin Spacey. Remplacé à la dernière minute par Christopher Plummer (toutes les scènes ont même été retourné), Kevin Spacey semble avoir définitivement perdu le soutien d’Hollywood.
Tout l’argent du monde n’est cependant pas à proprement parler un thriller pur et dur puisqu’il s’inspire d’un fait réel autour de l’enlèvement de John Paul Getty III en 1973 à Rome. Le film en profite donc pour dresser le portrait de son grand-père, le redoutable Jean Paul Getty premier du nom, magnat du pétrole et premier milliardaire américain.
Malgré un casting alléchant réunissant Mark Wahlberg, Michelle Williams, Chritopher Plummer et même Romain Duris (!!), les reshoots tardifs ont-ils permis à Scott de livrer le film qu’il souhaitait et, surtout, peut-il enfin faire mieux que ses suites discutables à la franchise Alien ?

Un portrait de famille

De façon assez surprenante, et même si le métrage commence par l’enlèvement de John Paul Getty III, Tout l’argent du monde pose d’emblée les bases d’une peinture familiale au vitriol. C’est donc Christopher Plummer en milliardaire aigri et détestable qui est mis en avant par Scott dans un premier temps pour expliquer les liens complexes qui l’unissent à sa famille et surtout à sa belle-fille et son petit-fils enlevé. Ridley Scott dresse le portrait fascinant d’une ordure capitaliste, sorte de Scrooge moderne à la sauce américaine. Il explique comment l’argent a insidieusement pris le pas sur les moindres considérations morales de John Paul Getty tout en mettant la chose en parallèle avec la voracité du monde capitaliste moderne qui l’entoure. Miroir parfait pour ce monstre de manoir, les kidnappeurs de son petit-fils renvoient une image bien moins hypocrite que Getty lui-même. Ce qui sépare les deux devient de plus en plus floue au fur et à mesure qu’avance l’enquête. Cependant, si Christopher Plummer s’avère impérial dans le costume sévère du patriarche Getty, Ridley Scott semble ne pas l’exploiter à fond au final et le mettre un tantinet de côté au profit de son intrigue policière.

Une traque passionnante

Un intrigue policière menée tambour battant et qui se focalise sur les multiples tentatives de Michelle Williams et Mark Wahlberg pour faire libérer le jeune Getty. A travers l’Italie principalement, le spectateur suit les négociations et les astuces des deux personnages avec délectation. Ridley Scott reste maître de sa narration et passionne. Si bien que Tout l’argent du monde ne présente aucun temps mort.
Par contre, et de façon assez dommageable, l’histoire devient vite très factuelle et cesse rapidement de s’intéresser au véritable sous-texte intéressant, à savoir la relation complexe existant entre le grand-père et le petit-fils.
Le long-métrage devient ainsi un thriller certes passionnant et superbement mis en scène, mais très terre à terre. Certainement trop en réalité.
L’élément le plus étrange là-dedans reste le personnage incarné par Romain Duris, cliché mais attachant…mais pourquoi Romain Duris en fait ? Ridley Scott est tout de même aller caster un acteur français pour jouer un personnage italien qui parle anglais comme une vache espagnole. Duris n’est certes pas mauvais mais il n’est pas vraiment crédible en gangster italien au grand coeur.
Qu’à cela ne tienne, le film a assez d’astuce pour nous faire oublier ce genre de détails grâce à un rythme savamment calculé jusqu’à son épilogue que l’on ne peut s’empêcher de trouver sous-exploité à nouveau puisqu’il revient forcément vers le personnage le plus fort de cette histoire : John Paul Getty pris au piège dans son manoir, hanté par les fantômes de Noëls passés.

Un monde moderne carnassier

C’est justement par John Paul Getty qu’on réalise que Ridley Scott manque un message extrêmement fort qu’il ne fait souvent que frôler : l’homme confronté à l’emprise de l’argent dans une société capitaliste sur le point de sombrer à la veille d’une crise pétrolière historique. A plusieurs reprises pourtant Tout l’argent du monde lance des pistes en ce sens, que ce soit par la fabuleuse confrontation entre Christopher Plummer et Mark Wahlberg ou par la demande de publier dans un journal un acte atroce contre une rémunération scandaleuse. L’argent contrôle déjà le monde alors que nous ne sommes même pas encore dans la seconde moitié des années 70.
Lorsque l’on y regarde de plus près, le film de Ridley Scott se contente d’être un excellent thriller sans prendre le risque de se lancer dans une autopsie d’une société courant à sa perte synthétisée par un horrible self-made man arrogant et cruel.
Un acte manqué en somme mais pas tout à fait gommé du résultat final et qui donne au moins une plus value incontestable à une enquête policière elle-même déjà excellemment menée.

Sorte de thriller-biopic sur fond de crise pétrolière, Tout l’argent du monde s’avère bien plus représentatif du talent de Ridley Scott que son dernier métrage. Il n’est certes pas totalement à la hauteur des attentes en regard du potentiel de son sujet mais il offre un excellent moment de cinéma doublé d’un sous-texte (trop) light sur le pouvoir de l’argent tout à fait passionnant.

Note : 8.5/10

Meilleure scène : Le tête-à-tête entre Jean Paul Getty et Flechter Chace

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