Un monde

Vivre à hauteur d’enfant

Nicolas Winter
Published in
4 min readJan 30, 2022

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C’est un premier film comme un premier pas.
Un monde de la jeune réalisatrice belge Laura Wandel commence avec l’entrée à l’école de Nora, une séparation déchirante où la petite fille pleure, où elle enlace son grand frère, Abel, puis son père. Encore et encore.
Puis la coupure et l’entrée, brutale, dans le monde de la collectivité et des autres.
Un Monde épouse dès le début une mise en scène radicale, à l’épaule, la caméra fondue avec sa jeune actrice, l’extraordinaire Maya Vanderbeque, véritable révélation de ce film aussi court que marquant.

Un monde joue la carte du film-vérité, réaliste jusqu’au bout des doigts, qui prend le leitmotiv du « show don’t tell » au pied de la lettre.
Laura Wandel immerge le spectateur dans le monde de Nora, restant constamment à hauteur du regard de la petite fille.
Elle regarde et écoute ce qui se passe autour d’elle.
L’école en devient un monde brutal, violent, territorial. Dès son premier passage en cour de récré, Nora semble comme agressée par tout ce qui l’entoure : les cris, les courses, les jeux, les bousculades. Le monde entier fuse autour d’elle et la gamine est transportée violemment dans un monde de bruit qui va la forger petit à petit.
En face, il y a son frère, Abel joué par le jeune Günter Duret, lui aussi formidable. Un frère comme un point de repère et un amour qui ne se définit que par la volonté de Nora de le protéger. Abel, victime d’harcèlement scolaire, constamment rabaissé, frappé, insulté. Mais que faire devant ce genre de choses ? Cafter ? Frapper ? Crier ?
C’est entre le silence et l’action que va devoir choisir Nora et faire, au fond, son premier choix d’adulte, découvrant en même temps qu’aucun choix n’est parfait.

Avec un minimalisme sensationnel et une mise en scène épatante d’authenticité, Laura Wandel capture tout du monde de l’enfance.
L’influence de l’environnement, cruciale, mais aussi des autres, des camardes qui rapportent des idées extérieures, affirmant à nouveau que l’enfant n’est que le reflet du parent. Nora capte des mots qu’elle ne comprend pas totalement. Raciste. Chômeur. Et puis arrivent les légendes urbaines, les rumeurs avec le mal et le bien de ce bouillonnement intellectuel pour un esprit en formation.
Mais ce n’est pas tout. En prenant Nora comme référentiel de l’univers étudié, Laura Wandel arrive à définir les codes de l’enfance, des codes devenus inaccessibles aux adultes qui ne comprennent plus, qui n’arrivent plus à comprendre et ne savent plus trier l’important du trivial, ce qui rend le harcèlement scolaire aussi banal à la fin.

Bouleversant, le long-métrage ménage ses effets et saisit souvent à bras le corps des émotions brutes comme cette relation entre frère et sœur qui brise le cercle du harcèlement et de la haine, comme cette étreinte d’une institutrice qui est seule capable de se mettre à la hauteur de Nora et de lui parler avec les mots de l’enfance. Mais plus fort encore, Laura Wandel comprend entièrement le mécanisme du harcèlement scolaire, les codes quasiment tribaux qui s’y glissent, cette façon de trouver une victime commune pour être assimilé. Elle décrit avec une immense intelligence le passage du stade de victime à celui de bourreau, par l’empreinte laissée par la souffrance et ce qu’il reste quand seule la haine nous est destinée. L’image de fin, d’une puissance incroyable et pourtant d’une simplicité désarmante, offre une solution à la haine et brise le cercle. Un monde construit tout un univers et nous l’explique, n’éludant jamais la question de l’importance de la confrontation au réel et comment celui-ci va nous endurcir comme il endurcit Nora en lui prouvant qu’il ne faut pas se laisser faire, qu’il faut savoir se défendre.
C’est toute la beauté du long-métrage de Laura Wandel, savoir être complexe et nuancé en n’oubliant jamais l’humain à la fin.

Un monde est un chef d’œuvre, un film authentique et sincère qui va jusqu’au bout de son pari d’immersion totale.
C’est aussi une révélation pour la jeune Maya Vanderbeque, épatante de bout en bout. Laura Wandel fait une entrée fracassante et bourrée d’émotions dans la cour des grands, et vous ne devez pas manquer ça !

Note : 9.5/10

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