Vivarium

Suburban Hell

Nicolas Winter
Juste un mot
Published in
4 min readJun 3, 2020

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Diffusé pendant le Festival de Cannes 2019, Vivarium aurait du sortir en salles cette année. Mais confinement oblige, le premier film de l’irlandais Lorcan Finnegan se retrouve directement en VOD depuis le 11 Mars dernier sans passer par la case cinéma. Avec Imogen Poots (Black Christmas, I Kill Giants) et Jesse Eisenberg (The Social Network, American Ultra) au casting, plongeons dans un univers inquiétant et pour le moins étrange…

Bienvenue chez vous

Le long-métrage de Lorcan Finnegan s’ouvre sur une scène étonnante : des oisillons tombés d’un nid agonisent sur le sol. Une façon simple de glisser une référence essentielle pour la suite : celui du coucou.
Sans transition, Vivarium nous emmène dans une étrange agence immobilière où Gemma et Tom, jeune couple en recherche d’un nouveau nid douillet, tente sa chance. Reçu par un représentant au comportement pour le moins étrange, ils visitent une maison témoin dans une banlieue fraîchement construite… et le cauchemar commence. Incapables de trouver la sortie du quartier résidentiel qui semble les avoir littéralement pris au piège, les jeunes tourtereaux s’installent dans une des maisons en attendant le lendemain.
Quelques jours plus tard, un colis avec un nouveau-né est déposé devant leur nouveau « domicile » avec une instruction simple : il leur faudra élever l’enfant pour pouvoir sortir un jour de cette banlieue labyrinthique.
L’esthétique glacé de Vivarium pose tout de suite le cadre de l’action. Ici, rien ne paraît ordinaire ou, plutôt, tout est « trop ordinaire ». Sorte d’épisode longue durée de la Quatrième Dimension, le film glace par son atmosphère entre habitation standardisée et schéma d’existence reproductible.
L’horreur, lente et sournoise, n’apparaît véritablement qu’avec l’arrivée de l’enfant qui n’a, en réalité, pas grand chose d’humain.

Cauchemar de couple

Pour mettre le spectateur mal à l’aise, Lorcan Finnegan détourne les codes classiques du couple moderne pour en extirper l’horreur de la conformité.
Le propos de Vivarium, c’est cette schématisation de l’existence qui fait écho au cadre rigide et au style copier/coller du mode de vie moderne.
L’installation à deux, l’adaptation au nouveau domicile, la découverte de l’autre, l’enfant qui bouleverse tout le reste, l’éducation laborieuse, les difficultés de couple, l’adolescence, la mise à l’écart, tout passe en accéléré. Chaque étape reflète le conformisme moderne du couple et les obligations sociétales attenantes, répétant le même schéma d’existence ad vitam eternam.
Ici, dans un environnement coupé du monde, Gemma et Tom font l’expérience accélérée d’une vie occidentale standard avec son diktat social et ses normes. Le manque de communication avec le monde extérieur exacerbe les réactions et les émotions, le caractère implacable de la situation poussant tous les curseurs de la tolérance parentale à son maximum.
Ici, l’enfant devient l’élément perturbateur et déstabilisateur, sorte de parasite monstrueux qui pompe l’énergie de ses parents.
Cette peinture au vitriol de l’existence s’accompagne d’une critique du travail, forcément répétitif et délétère, et qui mène Tom, le père de famille, directement dans la tombe.

Réglé comme un coucou

Mais surtout, Vivarium profite de son surréalisme assumé pour pousser la métaphore du coucou jusqu’au bout.
À l’image de ce que fait ce volatile-parasite dans le monde réel, le couple Gemma-Tom voit l’arrivée d’un bébé-oisillon qu’on leur impose et pour lequel la mère finit par se prendre d’amour malgré son étrangeté.
Pompant toutes les ressources physiques et psychiques de ses parents par procuration, l’enfant achève un cycle parasitaire où l’homme devient la principale victime… avant que l’oiseau ne quitte le nid pour recommencer, à terme, le même jeu macabre.
Lucide, le métrage constate avec fatalisme l’inévitable cercle infernal de ce processus entretenu à la fois par des paramètres biologiques (affection maternelle et l’empathie humaine) et sociétaux. Gemma comprend qu’elle n’avait qu’une fonction utilitaire et que son « fils » s’est servi d’elle jusqu’à la fin dans un étrange mélange d’amour et de manipulation.
Si l’incompréhension générationnelle (Gemma et Tom ne comprennent rien à ce que regarde l’enfant ni à ses lectures) rencontre l’énigme de l’inconnu (l’enfant est-il un monstre ? Un extra-terrestre ?), la vraie force du film consiste à suggérer les choses les plus dérangeantes à l’orée de la vision du spectateur, telle Alice tombant dans le terrier du lapin blanc en soulevant un trottoir d’apparence pourtant ordinaire.

Expérimentation horrifico-sociale, Vivarium hybride satire de la banlieue américaine ordinaire et critique du couple moderne sur un fond de fantastique inquiétant et asphyxiant.
Efficace, surprenant et impitoyable, un premier film qui laisse espérer le meilleur pour Lorcan Finnegan.

Note : 8/10

→ Disponible en VOD à la location !

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