Afterland

Androcalypse

Nicolas Winter
Juste un mot
Published in
6 min readJan 13, 2022

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Après un Zoo City particulièrement remarqué, Lauren Beukes a vu plusieurs de ses romans traduits sous nos latitudes tels que Moxyland ou Les Lumineuses. C’est avec Afterland, son dernier roman en date, que nous revient l’autrice sud-africaine, cette fois-ci chez Albin Michel Imaginaire et sous une sublime couverture signée Aurélien Police.
De quoi rendre curieux le lecteur d’imaginaire et l’amateur de romans post-apocalyptiques qui sommeillent en vous…

« Parfois, jouer un rôle n’est ni un jeu ni un rôle ; c’est simplement la fenêtre entrouverte par laquelle les sentiments s’échappent lorsque leurs ailes vous cognent et vous blessent de l’intérieur depuis trop longtemps. »

Afterland se situe dans un futur proche où une catastrophe virale s’est abattue sur l’humanité (toute ressemblance avec des évènements réels…).
Ou, du moins, sur une moitié de l’humanité puisque le Virus Culgoa Humain (ou VCH) ne frappe que les individus de sexe masculin causant une vague de cancers de la prostate ultra-agressifs et mortels. En quelques mois, la population mâle de la planète s’effondre et la face du monde en est profondément altérée (notamment avec les accords de Reprohibition qui interdisent d’avoir des enfants pour éviter une nouvelle brusque mutation du virus).
On entre dans Afterland comme sur une scène de crime aux côtés d’une fuyarde, Cole, et de son fils, Miles. À terre, Billie, la sœur de Cole, qui a tenté de s’enfuir avec le jeune homme pour le revendre à son employeuse.
En effet, avec la rareté vient la convoitise et…le traffic. Miles passe donc en un clin d’œil de garçon de treize ans à potentiel reproducteur, sex-toy, fils de substitution et sujet d’expérience. Enfermés dans un bunker tenu par l’Armée, Miles et Cole attendent la bonne occasion pour s’enfuir.
Leur but ? L’Afrique du Sud, le véritable foyer de Cole qui ne rêve que de quitter une Amérique qui la terrifie chaque jour davantage.
En route pour la côte Atlantique, Miles devient Mila et sa mère tente par tous les moyens de dissimuler leur véritable identité, terrorisée par la possibilité d’être capturée par le Département des Mâles et punie pour ses actes.
Elle ne sait pas que de son côté, Billie, sa sœur, a survécu… et qu’elle est méchamment prête à tout pour mettre la main sur Cole et le pactole qui lui tend les bras !
Afterland se divise en deux parties avec, entre deux, un interlude d’une vingtaine de pages. Dans sa première partie, le roman se scinde en trois fils narratifs adoptant alternativement les points de vues de Cole, Miles et Billie, jonglant entre flash-backs et récit principal. Rythmé, efficace, Afterland commence bien et prend même à contrepied les attentes du lecteur.
En effet, le récit n’est pas tant une histoire post-apocalyptique où l’on marche sur les décombres de l’humanité mais celui d’une transition vers un monde qui doit se reconstruire et se repenser sans les hommes. Rien de vraiment original au fond (Y, le dernier homme est déjà passé par là) mais Lauren Beukes, scénariste et productrice TV, connaît parfaitement son affaire pour rythmer son roman en alternant les chapitres courts et efficaces.
Davantage thriller que livre post-apocalyptique, Afterland papillonne et survole pas mal de sujets actuels tels que le racisme en Amérique (Cole est blanche, Miles métisse et son défunt père Devon est noir) ou la place prépondérante des hommes dans la société américaine avec le vide qu’ils laissent derrière eux, dénonçant la mainmise masculine sur des secteurs-clés et/ou à responsabilités. Le problème, c’est que tout cela s’avère vite très superficiel puisque Lauren Beukes s’intéresse davantage à son intrigue typée thriller qu’à sa potentiel politico-social.

« Oui, on habite là-bas […] Loin des nazis du quotidien, des tueries si fréquentes qu’elles faisaient désormais presque partie du calendrier scolaire, au même titre que le bal de fin d’année ou la saison de foot, loin de la lente mise à mort de la démocratie, des flics à la gâchette facile et de la terreur d’élever un fils noir en Amérique. Comment faites-vous pour vivre à Johannesburg ? lui demandait-on en Amérique (et particulièrement Devon, son mari américain). N’est-ce pas trop dangereux ? Elle avait envie de leur répondre : Et vous, comment faites-vous pour vivre ici ? »

Après une première partie menée tambour battant entre road-trip et découverte d’univers, Afterland coupe tout et tente un interlude surprenant à la World War Z avec des témoignages et des articles de presse, histoire de mieux cerner les enjeux de la situation mondiale. Passionnant mais beaucoup trop court, cet interlude laisse la place à une seconde partie qui, malheureusement, s’enlise totalement. En explorant les rouages et les mécanismes d’une secte religieuse entre auto-flagellation et ascétisme, Lauren Beukes patine et laisse son récit se mordre la queue, oubliant les nombreuses rencontres de la première partie et ce que celles-ci pouvaient apporter en termes de diversité et de variété narrative pour se traîner une intrigue où la dissimulation devient fade et redondante, d’autant plus que le culte du Chagrin n’a pas grand chose de passionnant, bien loin de l’étrangeté des Renonçants d’un Leftovers ou de l’horreur des Servantes Écarlates de Margaret Atwood. Pendant ce temps, la traque de Billie tourne elle aussi en rond et n’en finit pas de ne mener nulle part. On s’ennuie ferme surtout que la Sud-africaine esquive les sujets les plus intéressants dont, notamment, les bouleversements que peut provoquer le changement d’identité sexuelle forcée de Miles en Mila, d’autant plus difficile dans une société où il devient un objet plutôt qu’un être humain. Beukes préfère s’attacher à décrire son coming-of-age et la prise de conscience de la naissance de son désir sexuel dans un monde exclusivement féminin. En toile de fond, l’univers semble pourtant extrêmement intéressant, d’autant plus que la disparition de l’homme n’a fait cesser ni les violences, ni les flambées religieuses ni les effets du réchauffement climatique. Mais rien n’est véritablement exploité et tout se résume finalement à la relation entre Miles et sa mère.
Une relation qui, heureusement, s’avère très réussie, montrant à quel point l’amour filial est complexe dans un monde en pleine mutation et avec un adolescent qui cherche encore sa voie (surtout face à un trop plein religieux qu’il reçoit quasiment sans filtre). Reste que lorsque Stephen King nous vend Afterland comme un thriller qui montre jusqu’où une mère peut aller pour protéger son fils… il a du louper pas mal de romans post-apocalyptiques autrement plus osé et cruel que celui-ci. La Route de Cormac MacCarthy pour n’en citer qu’un.
En réalité, Afterland tire à la ligne dans sa seconde partie, ne profite quasiment jamais des innombrables pistes narratives qu’il évoque en passant et mise tout sur une intrigue typée thriller entre fuite et cache-cache sauvée in extremis par la qualité d’écriture de Lauren Beukes. On se retrouve donc avec un roman trop long mais pas foncièrement désagréable à suivre, une sorte de thriller taillé pour un public nourri aux séries policières qui préfère s’ériger en page-turner qu’en livre émouvant et poignant comme pouvait l’être Le Livre de M de Peng Sheperd. Dommage.

Plus réussi dans sa veine thriller que science-fictive, Afterland convainc à moitié, trop frileux pour explorer son véritable potentiel et trop calibré grand public pour offrir quelque chose de véritablement nouveau au lecteur expérimenté. Reste un roman efficace qui se lit vite et bien, un page-turner solide mais superficiel.

Note : 7/10

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