Don’t Look Up : Déni Cosmique

Tout va bien se passer

Nicolas Winter
Juste un mot
Published in
6 min readDec 30, 2021

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Ne croyez pas tout ce que l’on vous en dit : Don’t Look Up, le nouveau film du cinéaste américain Adam McKay, est la chose la plus déprimante que vous verrez cette année à l’écran.
Bon, avec le sourire aux lèvres et avec une bonne dose de cynisme en prime, mais déprimant tout de même.
Pour son arrivée sur Netflix, Adam McKay n’a rien perdu de son mordant. Après sa charge contre le monde de la finance et la crise des subprimes dans The Big Short (qui reste son chef d’œuvre à ce jour), et après son biopic en forme d’uppercut politique avec Vice, l’américain s’attaque cette fois à une autre menace qui pèse sur notre chère planète bleue : l’annihilation !
Mais pas n’importe laquelle puisqu’il s’agit de la découverte par deux scientifiques, le Dr Randall Mindy (Leonardo Di Caprio) et Kate Dibiasky (Jennifer Lawrence), de la collision inévitable d’une immense comète de plusieurs kilomètres d’envergure contre notre bonne vieille planète terre.
Une collision qui ne va pas juste faire s’effondrer la maison de votre ex-femme ou créer un tsunami à l’autre bout du globe.
C’est bel et bien de la fin du monde dont on parle.
Et tout le monde s’en fout.

Don’t Look Up est une satire, mordante, grinçante, méchante…et surtout terriblement lucide sur son époque. Si le long-métrage commence comme n’importe quel autre film catastrophe du même type, avec des scientifiques qui viennent mettre en garde contre la fin du monde prochaine afin que tout le monde s’unisse pour sauver l’humanité…la suite, elle, n’est pas très Hollywoodienne. On retrouve dès le départ tous les tics visuels d’Adam McKay qui lève cependant un peu le pied sur le rythme narratif pour permettre au plus grand nombre de raccrocher les wagons entre eux.
Avec son casting all-stars et son humour au trente-sixième degré, le long-métrage est autant un film catastrophe où les héros cherchent à sauver la planète et l’humanité, qu’un film politico-social où le spectateur va, petit à petit, souhaiter que les héros échouent !
À travers l’arrivée de la comète, Don’t Look Up montre une humanité totalement bête et dont il ne faut plus rien espérer, ensevelie sous l’artificialité de se réseaux sociaux, bouffée par des polémiques/non-évènements débilitants et manipulée par une « élite » à peine moins bête qu’elle.
Adam McKay va patiemment passer en revue tous les travers de notre société en confrontant ses deux héros, les deux seules personnes rationnelles du lot, bientôt rejoints par un troisième larron, le Dr Clayton Oglethorpe (Rob Morgan), qui vont aller de désillusion en désillusion en rencontrant politiques, journalistes, stars et autres PDGs.
Personne, ou presque, ne trouve grâce aux yeux d’Adam McKay qui tire à boulets rouges sur toute cette société qui, de toute façon, ne veut pas voir ce qui pourrait lui déplaire. C’est le siècle du confort, de la bienveillance, de « ne brusquons pas le public ». Un siècle fragile pour des consciences mortes s’inventant des combats absurdes (comme la défense des lamentin) pour exister.
Mais à mesure que le film progresse et que le déni de la menace cosmique grandit, Don’t Look Up se fait de plus en plus clair sur ses intentions.

Le long-métrage d’Adam McKay n’est pas tant un film catastrophe et une moquerie de notre société hyperconnectée gavée de rêves artificiels par les GAFAMs, qu’une relecture à la fois de ce qu’il se passe avec la menace du réchauffement climatique ET de la crise du CoVid.
Don’t Look Up est la chronique grimaçante d’une société qui a été dévorée par l’imbécilité, les médias, les réseaux sociaux et le capitalisme, où la science a déjà perdu sans même le savoir.
C’est un monde retors et sacrément attirant, Randall en sera d’ailleurs la première victime, mais c’est aussi, et surtout un monde d’égo et de petits esprits suffisants qui sont bien davantage confiants en eux que les meilleurs scientifiques en face.
Cette société du paraître va vite nier l’existence de la comète [Remplacez par Réchauffement Climatique ou CoVid-19] en affirmant que c’est une invention du gouvernement ou une affabulation de scientifiques corrompus, puis vont refuser de regarder les choses en face allant jusqu’à créer des camps entre Regardistes et Non-Regardistes [Remplacez par Climato-sceptiques ou ou négationnistes du Covid] pour finir par remettre leur confiance dans ceux qui les manipulent depuis toujours.
Le personnage de Peter Isherwell (Mark Rylance), synthèse parfaite entre Steve Jobs et Elon Musk, a cette aura d’artificialité et d’opportunisme capitaliste qui le rend si antipathique et si efficace. De même, la présidente Janie Orlean (Meryl Streep) fusionne le pire de Donald Trump et d’Hillary Clinton au sein d’un personnage détestable, médiocre et parfaitement représentatif de nos politiques actuels.
Don’t Look Up se marre sur ce qu’il reste de notre intellect collectif, c’est à dire pas grand chose.

Pourtant, au-delà de ses clins d’œil à Armageddon ou Independence Day, Don’t Look Up reste un film d’une misanthropie totale qui va comme un gant à un acteur comme Leonardo Di Caprio dont le personnage craque en plein direct dans un discours qu’aurait certainement pu écrire l’acteur lui-même.
Adam McKay, même s’il vous fera souvent mourir de rire, n’est pas là pour vous réconforter à l’arrivée. Comme pour ses précédents films, l’américain constante la banqueroute de notre mode de vie et semble ébahi par où nous en sommes rendus. Le long-métrage cache derrière sa façade de comédie une longue descente aux enfers devant une société que rien, absolument rien ne rattrape, même la volonté des meilleurs, même le travail des plus performants et réalistes éléments en son sein. Comme si l’on niait la parole du GIEIC sur l’environnement pour tirer le plus gros paquet de thunes ou comme si l’on regardait ailleurs quand les morts du Covid s’entassent dans les morgues.
La conclusion de Don’t Look Up est glaçante avec ces personnages réunis autour d’une table et qui retrouvent le dernier bienfait de l’humanité : la chaleur humaine autour d’un repas, télévision éteinte, téléphones portables rangés.
Eux-mêmes savent, et avouent, qu’il n’y a plus rien à faire, nous sommes déjà condamnés puisque nous sommes incapables de réagir collectivement et que la très grande majorité de la population est bête comme ses pieds.
Mieux encore, la seule chose qui surnage dans cet épilogue, c’est une prière, certes émouvante et tendre, mais révélateur d’une vérité fondamentale sur l’homme : la science ne peut pas gagner sur une créature de croyances.
Dès lors, nous sommes déjà tous condamnés…et quand on voit les seuls qui auront les moyens de s’en sortir, il vaut peut-être mieux que l’humanité finisse dévorée par les flammes ou par un nouveau prédateur.
Reste alors à saluer le cynisme absolu de cette entreprise, destinée tout de même à divertir le grand public, mise en ligne sur l’une des plus grandes plateformes de divertissement du monde et qui nous dit pourtant en substance : « vous êtes pathétiques par votre inaction et votre enfermement dans un système de divertissement qui vous a transformé en données commerciales pour algorithmes ».

Drôle et cynique à souhait, Don’t Look Up est une exercice de style brillant porté par un casting impeccable. Poussant le vice jusqu’au bout du bout, Adam McKay explique tout de notre époque perdue et nous invite pour une dernier gueuleton en famille avant la fin.
L’humanité est vraiment trop bête pour s’en sortir.

Note : 9/10

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