Fleurs au creux des ruines

Il était une fois le Demi-Loup

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4 min readSep 7, 2018

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Éditions Les Moutons Électriques, Collection Hélios, 120 pages

Interview de Chloé Chevalier

Décidément, cette année 2016 est riche pour le Royaume du Demi-Loup. Après le très bon Les Terres de l’Est, second volume du cycle imaginé par la française Chloé Chevalier, voici qu’un petit recueil de quatre nouvelles sort sous le format Hélios, toujours sous la direction des Moutons Électriques évidemment. Petit prix, petit format mais grand plaisir ? Plongeons quelques siècles avant le Demi-Loup que nous connaissons pour avoir la réponse.

Notre première graine ouvre le bal. Nous y faisons la connaissance du souverain de Nul-Nöch,une cité bâtie dans la roche, et de sa fille, la princesse Dora-Illam. Dans son journal intime, il nous parle de la rencontre de son peuple avec l’envahisseur un certain Aldemar. 18 pages pour une mise en bouche qui rappelle furieusement au lecteur que Chloé Chevalier aime les récits intimes, les journaux des puissants qui révèlent des failles bien humaines. Elle aime aussi jouer avec son lecteur, multipliant les échos à l’Aldemar que l’on connaît. Finalement, elle tire en peu de pages un joli récit sur la défaite, sur le chagrin d’un père et la cruauté du destin. Marchant un peu sur le schéma archi-connu du twist de fin, la nouvelle n’en perd pourtant pas sa force narrative première liée avant tout à l’émotion qui s’en dégage.

Il faut alors repartir pour une correspondance (quand on vous dit que Chloé Chevalier aime s’amuser avec les différentes formes de sa narration à la première personne) entre un soldat, Hob, et son aimée, Pana, serve novice. Nos deux narrateurs nous permettent d’apprendre une foule de choses sur le Demi-Loup d’avant, notamment sur le système de caste des serves — sorte de temple d’apprentissage divisé en plusieurs castes — sur les connaissance du Royaume à l’époque (et ainsi de faire un clin d’œil au lecteur sur le fameux Empire de Gloire) ou encore sur l’existence de cités disparues, les fameuses Cités-Sœurs. La principale originalité de cette nouvelle, au-delà de la foultitude de petits détails pour qui connaît déjà un peu le Demi-Loup, c’est le ton adopté entre les deux tourtereaux. Chloé Chevalier prend un malin plaisir à briser le cliché du couple en les faisant s’entre-déchirer au fur et à mesure de la correspondance. A ce petit jeu, Hob semble un indécrottable susceptible. Derrière tout cela, il y a aussi un portrait d’une lutte politique implacable que ce soit au niveau des serves ou des Royaumes eux-mêmes. Un excellent texte entre humour et drame, entre L’Art ou la Viande.

Si vous vous demandez — comme votre serviteur — pourquoi diable le Demi-Loup connait l’existence de l’Empire de Gloire et ses méthodes à cette époque reculée, attendez avant d’y voir une incohérence majeure dans la chronologie. Toujours roublarde, Chloé Chevalier explique la chose dans Lors chantèrent les bêtes où elle change (encore !) de système narratif pour nous procurer un manuscrit à trous d’un certain noble témoin du cataclysme volcanique qui balaie une grande partie du Demi-Loup. Si ce récit passionne, c’est avant tout parce qu’il empeste le souffre et la fin du monde et que son interlocuteur bedonnant au destin tragique a de quoi toucher le lecteur. L’apocalypse a eu lieu et le Demi-Loup n’en sera plus jamais semblable. Chloé Chevalier nous a bien eu (et il est interdit de faire mourir des chats, Chloé !)

Enfin, pour clore ce petit voyage temporel, on trouvera dans La tour sous le Gris une tentative de post-apocalyptique au cœur d’un Demi-Loup semblant être revenu à l’âge de pierre. Revenant à un récit plus conventionnel, Chloé Chevalier croise le destin de Varelle et Jojo que tout semble opposer mais qui se retrouvent dans un monde en ruines, leur histoire d’amour comme une fleur prête à éclore et à faire refleurir le royaume. Même si l’on revient à quelque chose de plus convenu, le talent narratif de la française est toujours là et permet de boucler la boucle. Rajoutons à cela une saveur post-apocalyptique savoureuse et assez décalée dans l’univers et l’on obtient une nouvelle de clôture plaisante.

Il reste alors à définir à qui sera le plus profitable ce petit recueil. Les novices mettront le pied a l’étrier et seront certainement ravis de la qualité homogène de cette lecture…mais risquent de passer à côté d’un tas de clin d’œils que les connaisseurs du cycle eux, apprécieront plus, tout en étant conscient qu’il ne s’agit là que d’un petit digestif sans prétention en attendant le troisième volume du Demi-Loup, Mers brumeuses. Quelque soit votre cas, Fleurs au creux des ruines restera un bon moment de lecture où Chloé Chevalier s’essaye à divers registres pour notre plus grand plaisir. A un si petit prix, il serait bête de s’en priver.

Note : 8/10

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