Interview Eva Martin : « L’Imaginaire, c’est mon carburant depuis toujours ! »

Naissance d’une voix de la fantasy française

Nicolas Winter
Published in
10 min readNov 6, 2023

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Bonjour Eva !
Il semblerait que ton premier roman,
Miska, vient de sortir chez Critic. Avant d'en reparler et puisqu'il s'agit de ta première incursion dans l'imaginaire, peux-tu tout d'abord te présenter aux lecteurs ?

Bonjour Nicolas, en effet, je suis toute nouvelle dans le monde de l’édition !
Graphiste de métier, j’ai le plaisir de pratiquer un travail créatif, et de continuer dans la créativité en me plongeant dans l’écriture durant mon temps libre. J’ai grandi dans le Poitou, avant de migrer peu à peu vers le Nord : d’abord Nantes pour les études, puis les Côtes d’Armor où j’ai élu domicile, dans une longère en pleine campagne… et en éternelle rénovation.
J’apprécie les sorties en plein air : Côte d’émeraude, forêt, canal de la Rance… tout me va !
Je suis également une avide lectrice, en particulier des littératures de l’imaginaire, qui ont le don de me faire voyager vers des mondes nouveaux et passionnants.

Comment es-tu tombée dans la marmite de l'imaginaire et en quoi cette littérature te semble singulière comparée aux autres ?

Ah, l’imaginaire… c’est mon carburant depuis toujours !
J’ai été contaminée par mon père, qui avait le don de m’embarquer dans des aventures incroyables, avant même que je sache lire.
Et dès que j’ai pu parcourir un ouvrage par moi-même, mon sort était scellé !
La littérature SFFF a toujours eu ma préférence.
Loin d’y voir un sous-genre ou des œuvres « jeunesse », j’ai toujours trouvé que ces livres étaient un moyen extraordinaire d’explorer toutes les facettes de notre monde bien réel. Politique, philosophie, relations humaines… tout peut y être abordé, de toutes les manières possibles.
Bien sûr, cela peut être distrayant de côtoyer dragons, mages et autres elfes, mais ce qui me plaît le plus c’est la manière dont un auteur joue d’un univers inventé (et parfois merveilleusement construit) pour nous inviter à réfléchir sur nous-mêmes…

Quel(le)s sont les œuvres/auteurs qui t'ont marqué en découvrant l'imaginaire ? Quels sont ceux/celles qui t’ont fait basculer pour de bon ?

J’ai de grands souvenirs de jeunesse du Grand secret de Barjavel, de Niourk de Stefan Wul, ou encore du Monde perdu de Conan Doyle par exemple.
Et que dire des livres dont vous êtes le héros !
J’en ai effeuillé quelques uns (en gardant un doigt sur le paragraphe précédent, au cas où un mauvais coup de dés m’aurait envoyée ad patres, bien entendu… XD )
Assez rapidement, je me suis mise à dévorer les ouvrages de Stephen King, que j’adore toujours, et j’ai lu très jeune Tolkien. De ces deux auteurs, j’ai été immédiatement en admiration totale pour leur manière de construire. King sait manier les petits détails, les rancunes, les frayeurs comme personne, et Tolkien m’a subjuguée par la puissance de son univers.

Est-ce que c'est en découvrant ce type d'univers foisonnant que tu t'es dit que tu allais créer le tien ?
Comment en es-tu venue à l'écriture ?

Le chemin a été long et s’est fait à petits pas.
J’ai toujours apprécié rédiger, oui, mais je suis également affligée d’un sévère syndrome de l’imposteur… longtemps, mes travaux d’écriture sont restés des bafouilles inachevées, que je retrouve parfois avec le sourire. Jusque là, je me disais qu’en tant que débutante, le plus facile était sans doute d’écrire des récits les plus courts possibles.
Lourde erreur : être concis, ce n’est visiblement pas pour moi.
Le déclic pour moi a été de me défaire de cette contrainte qui ne me convenait pas et de me laisser enfin la bride pour écrire sans limite.
Peu à peu un univers s’est installé, des personnages se sont animés, et je me suis laissée embarquer !

Miska est ton premier roman, comment en es-tu arrivée à créer cet univers en particulier ?
Voulais-tu un monde Fantasy dès l'origine et pourquoi la Fantasy en particulier ?

Oui, la Fantasy était un parti pris dès le début.
Géographiquement et en termes de civilisations, elle me permettait de mettre en place les conflits que je souhaitais.
L’univers s’est créé en deux parties : une réflexion préalable à l’écriture, et d’innombrables réajustements au fil de la rédaction !

C’est un conflit qui occupe d’ailleurs le centre de Miska entre deux peuples très différents.
Est-ce que tu peux nous expliquer un peu cette opposition et pourquoi tu as souhaité avoir des personnages dans chaque camp ?

Cela rejoint ce que je te disais plus tôt : la fantasy est pour moi un bon moyen d’explorer les mécanismes bien réels de notre monde.
En l’occurrence, selon le point de vue, on a toujours une bonne raison de faire la guerre. Expansionnisme sous prétexte de propager une culture, d’apporter la paix, ou patriotisme exacerbé, il y a toujours des arguments qui paraissent évidents aux protagonistes.
Dans ce contexte, il y a les gens du commun, qui vivent les événements en essayant tant bien que mal de ne pas se faire déborder, et c’est à eux que je souhaitais donner la parole. Ils ne sont pas extrémistes, ils n’ont pas de rang particulièrement élevé, mais ils sont pourtant influencés par leurs cultures respectives. Restait à les mettre face à face et à voir ce que cela pouvait donner…

Quelles sont ces sources d'inspiration pour la Caldecie d'un côté et le Kinosh de l'autre ?

La Caldécie est inspirée d’une Europe du XVème — XVIème siècle, unie en une fédération plus ou moins solide.
Les Kinoshs, eux, sont moins typés. On pourra retrouver dans leur civilisation une touche de culture japonaise, très codifiée, où les gestes et les paroles sont mesurés, mais aussi un rappel de l’âge d’or oriental, avec leur passion pour l’intellectualisation et la science, ou même un air d’Europe du XVIIIème ou XIXème siècle, avec leurs ambitions colonisatrices et leurs avancées technologiques.

Peux-tu nous parler de ces deux héros, Dacien et Azalon ?

Dacien est un vieux briscard caldécien. Issu d’une famille peu aisée, entrer dans l’armée était pour lui presque une évidence. Peu à peu, il y a fait sa vie et s’y est trouvé une véritable famille. À la tête d’une dizaine d’hommes, il jouit d’un statut un peu particulier parmi les armées régulières.
En effet, sa relation de longue date avec Ydes, un homme politique de premier plan, lui a apporté quelques faveurs… dont il se passerait bien, parfois ! Ydes aime à garder cet homme et sa troupe de fortes têtes sous la main, pour mener ses coups politiques. Ils sont compétents, autonomes et très soudés.

Azalon est un technologue, c’est-à-dire une sorte d’ingénieur kinosh.
Bien qu’il ait grandi dans le confort, il n’avait aucun rang particulier, jusqu’à ce qu’une invention particulièrement remarquée lui offre un statut officiel au sein de la société des technologues. Il en est fier, et suit avec une grande passion les découvertes menées par ses pairs en Caldécie.
Comme tous les gens de son peuple, il prend soin de son apparence et de son attitude en toute chose. Pour lui, suivre les mille et une règles qui régissent la vie des Kinoshs est une manière d’être accepté parmi la haute société. Un défi de chaque instant !

Mais… et les femmes dans tout ça ?
Quelle place occupe-t-elle dans ton univers ?

À vrai dire, elles occupent toute la place, même si je n’ai pas de narratrice ! Je n’ai pas mis en avant de super-héroïne, ni de reine toute-puissante. Comme pour Azalon et Dacien, finalement. Mes protagonistes, hommes ou femmes, sont des gens normaux, soumis à des enjeux difficiles à gérer.
Le statut des femmes est très différent selon les deux civilisations.
D’un côté, elles sont totalement intégrées et respectées dans toutes les strates de la société, quand de l’autre elles sont maintenue sous cloche… et n’attendent qu’une occasion pour changer tout ça !
On voit quelle place leur est dédiée, quelles sont leurs forces à travers les yeux de deux personnages masculins, avec leurs aprioris et leurs jugements parfois maladroits.

On sent une volonté de montrer plus en détails la culture Kinosh (et donc l’oppresseur) alors que le récit aurait très pu être une héroïque histoire de résistance ? Pourquoi était-ce si important pour toi de franchir l’océan ?

En effet, il était capital pour moi de montrer au fil du récit que ces étrangers n’étaient pas uniquement des méchants.
Il y a parmi eux des personnes plus ou moins attachantes, des gens plus ou moins compétents, tout comme chez les Caldéciens, et comme dans le monde réel !
Par ailleurs, même les personnages les plus antipathiques ont en général la volonté de « bien faire ».
Du moins, pour leur peuple.
Bon, d’accord, parfois c’est juste pour leur bien à eux.
Mais tout de même, de leur point de vue, ils font ce qu’ils ont à faire !

On compare souvent ton roman à la Compagnie Noire.
Est-ce vraiment une des influences de Miska ?

Difficile de faire mieux comme comparaison !
Je l’avoue sans honte, Glen Cook m’a fait vivre les aventures de la Compagnie comme si j’y étais. On retrouve dans Miska cet effet de « bande », et la gouaille de la soldatesque, ainsi qu’un humour parfois un peu grinçant.

Tu nous a dit que tu es aussi graphiste et il me semble également que tu dessines. As-tu dessiné/fait des illustrations pour Miska ?

Oui, j’adore donner corps à des concepts par le dessin.
Les monstres et bêbêtes chimériques ont de loin ma préférence !
Je n’ai pas réalisé la couverture de Miska, Eric Marcelin à proposé à Sébastien Annoni de s’y coller et c’était une super expérience, de voir comment un illustrateur voyait mes descriptions.
En revanche, j’ai pu faire la carte de la Caldécie présentée à l’intérieur du livre. Un exercice très agréable que je recommencerai sans hésiter !

Quels sont les derniers coups de cœur que tu as lu ou vu ?

Hmmm comment choisir… En littérature, j’ai beaucoup aimé Dans la toile du Temps et Dans les profondeurs du Temps de Adrian Tchaikovski.
J’ai aussi découvert Abercrombie, parce qu’on m’y a comparée et… eh bien, on ne pourra pas me taxer de m’en être inspirée : je ne l’avais pas lu !
Honte sur moi, c’est bien !

Du côté du petit écran, je suis récemment retombée dans la série Misfits. Oui, ce n’est pas tout jeune, mais ça n’a pas pris une ride et cette BO !!
Et, plus récent, le petit bijou de film Nimona. Si je ne devais n’en citer qu’une phrase : « Un chevalier ne boude pas, un chevalier se morfond » .
C’est punk, c’est drôle, c’est touchant, bref !

Quels sont tes projets à venir ?

Eh bien… j’écris !
J’ai quelques projets dans les cartons, j’espère que vous en entendrez parler très bientôt !
Il y a un peu de tout.
Du pastiche d’héroic Fantasy, un texte atypique que je surnomme « Darktatouille », si ça peut vous donner un indice… et pourquoi pas un retour en Caldécie. Allez savoir.

Un mot pour la fin pour tes futurs lecteurs…et aussi les autrices qui, comme toi, voudraient se lancer dans l'écriture ?

J’espère sincèrement que mes lecteurs prendront autant de plaisir à suivre Dacien et sa bande dans leurs aventures que j’en ai eu à les écrire.
Qu’ils y rencontreront des gens comme eux, ou presque, et qu’ils en retireront l’envie d’être tel que l’on est, sans pour autant juger celui qui nous est étranger.

À ceux et celles qui se sentent titillés par l’envie d’écrire : allez-y !
Du journal intime à la saga en 23 tomes, il n’y a (presque) pas de règle. Écrivez pour vous, ou pour les autres, mais ne restez pas muet par timidité. Il est des endroits où vous trouverez vos alter-egos d’angoissés de la page blanche, vos jumeaux du syndrome de l’imposteur et vos compagnons de blocages intempestifs. Je pense en particulier au forum Cocyclics, où l’on m’a encouragée, conseillée et accompagnée avec beaucoup de bienveillance.

Retrouvez la critique de Miska d’Éva Martin !

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