Miska : De la fantasy à l’heure (dé)coloniale

De l’autre côté du Maelström

Nicolas Winter
Published in
5 min readNov 3, 2023

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Tout commence par des rumeurs. D’inquiétantes rumeurs.
D’immenses navires auraient été repéré au large.
Des navires d’un genre inconnu et qui préoccupent de plus en plus les autorités de Caldécie.
Pour tirer les choses au clair, le capitaine Dacien et sa troupe sont missionnés avec pas moins de quatre navires amiraux.
Mais voilà que la rencontre tourne à l’affrontement et que les marins des Longues Côtes découvrent que les nouveaux venus n’ont aucune intention de négocier. Dès lors, la capitale Assale se retrouve en première ligne et l’invasion de la fédération commence !
L’armée Kinosh peut-elle être vaincue malgré sa formidable avance technologique ? …Et si la réponse armée n’était pas la bonne ?
Voilà ce que vous propose de découvrir Miska, premier roman de fantasy signé par la française Eva Martin et publié par les éditions Critic en cette fin d’année !

« En ôtant la vie, on se salit. L’âme en prend un coup, comme si on devait porter ce mort, et les suivants, sur ses épaules. »

Miska est un premier roman enthousiasmant et, pour tout dire, complètement addictif. Le lecteur plonge dans un monde en plein bouleversement ou, devrait-on dire, un monde en pleine collision.
D’un côté, la fédération de Caldécie avec ses cinq états, Des Causses à la Nordie en passant par les Plaines de Mirra et, bien sûr, Les Longues Côtes et sa capitale Assale.
De l’autre, l’empire Kinosh qui traverse la mer avec une armée impressionnante et qui maitrise déjà la poudre et une forme de magie bien plus avancée qu’en Caldécie.
C’est l’histoire d’un choc entre deux civilisations radicalement différentes et qui, forcément, vont avoir bien du mal à se comprendre l’une l’autre.
Eva Martin écrit donc une fantasy entre résistance à l’envahisseur et réflexion sur le colonialisme, ou comment parvenir à réconcilier les peuples en évitant les massacres et les atrocités.
Pour se faire, la Française imagine des colons qui sont un melting-pot d’influence, faisant ainsi du peuple Kinosh une sorte d’archétype universel qui rappelle au lecteur notre propre histoire, des Croisades à la Conquête de l’Ouest en passant par la traite des Noirs.
On suivra ainsi deux points de vue : celui de Dacien, un capitaine Calcadien constamment tiraillé entre son devoir et sa morale, et Azalon, un technologue Kinosh qui doute grandement de ce que l’on raconte à propos de ce peuple de sauvage qui vit par-delà l’océan.
C’est donc l’occasion de croiser deux regards différents et de comprendre le point de vue de chacun au sujet de l’autre. Comment en arrive-t-on à avoir une perception erronée de tout un peuple ? Qui en profite ?
Pourquoi certaines situations poussent-elles à des actes intolérables ?
Eva Martin prend grand soin de nuancer son propos, à tenter de comprendre les deux partis et à montrer au lecteur qu’il ne s’agit jamais totalement d’un monde en noir et blanc. Qu’il existe un tas de niveaux de gris entre les deux. Que certains résistants peuvent devenir des monstres et que certains colons peuvent vouloir changer les choses. Ce qui, au fond, fait tout le sel ce roman bien plus malin qu’il ne le semblait de prime abord.

« Apporter les bienfaits de la civilisation à un peuple qui possédait déjà la sienne… Quelle prétention. »

En explorant la civilisation Kinosh, aussi avancée sur les Caldéciens que les Européens sur les Amérindiens en leur temps, Eva Martin met en lumière le traitement différent des femmes, donnant l’occasion à l’une d’entre elle, Petite, de briser le plafond de verre et de se rendre compte de tout ce qui lui était jadis interdit. Miska devient un texte féministe qui montre à quel point le contact avec d’autres peuples, d’autres cultures, peut permettre de dénouer les choses et de faire avançer les combats.
Mais ce qui reste le plus intéressant dans Miska, c’est cette propension à aller au-delà des apparences pour comprendre les actes des uns et des autres. Que ce soit les actes de barbarie commis par Bérion et Ronn après avoir eux-mêmes été des victimes de l’envahisseur ou ceux des responsables Kinosh poussés par la famine et des dirigeants corrompus.
Personnage principal du roman, Dacien est un point d’ancrage parfait pour le lecteur, à la fois pendant la bataille mais aussi pendant les moments de doute. Dacien et ses compagnons, des jumeaux Loan et Ogar aux charmeurs — comprendre magiciens — Arnat et Ivold, forment une bande attachante qui n’est pas sans rappeler une certaine Compagnie Noire.
Pour les amateurs de fantasy, sachez que celle d’Eva Martin n’inclut pas de races étranges et exotiques, qu’elle a recourt à une certaine forme de magie (qu’on vous laisse le plaisir de découvrir) mais qu’elle semble surtout crédible jusqu’au bout, presque proto-historique. Ce qui la rend certainement d’autant plus accessible pour les novices…et attrayant pour les vétérans du genre. En vérité, l’univers est tellement intéressant, tellement maitrisé et foisonnant qu’on se prend à rêver à une suite pour explorer le reste du continent. Mais ceci…est une autre histoire !

« Je restai incrédule en écoutant cette description d’une « civilisation » capable de livrer une enfant à un vieux briscard sans broncher, mais où laisser une femme s’habiller comme elle le souhaitait était sacrilège. »

Addictif et roublard, le premier roman d’Eva Martin saura conquérir les novices comme les vétérans, ceux qui aiment la fantasy avec de grandes batailles et ceux qui veulent des thématiques fortes n’oubliant jamais l’histoire en cours de route.
Miska est une réussite à la française qui va vous faire chavirer à coup sûr !

Note : 8.5/10

Découvrez l’interview d’Eva Martin, l’autrice de Miska !

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