Le Trône de fer, intégrale 1 : A Game of Thrones

Winter is coming

Nicolas Winter
Juste un mot
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9 min readNov 9, 2017

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Cette édition rassemble les deux volumes Le Trône de Fer et Le Donjon Rouge parus en France selon le découpage des éditions Pygmalion. Il s’agit surtout de retrouver le découpage original de l’auteur. Dans cette optique, cette première intégrale sera désignée par le terme, plus juste, A Game of Thrones tout au long de la critique qui suit. Il ne sera établi aucune distinction ayant trait au découpage français, respectant ainsi l’œuvre telle qu’elle fut conçue.

Prix Locus 1997 — Prix Ignotus 2003 — World Fantasy Award 1997
Editions J’ai Lu, Intégrale, 790 pages

→ Critique de l’intégrale 2 : A Clash of Kings de George R.R. Martin

Winterfell se dresse, majestueuse forteresse du Nord et capitale de la maison Stark. C’est de ce lieu que va devoir partir Lord Eddard Stark pour répondre à l’appel de son ami désormais roi du royaume des Sept Couronnes, Robert Barathéon. Jon Arryn est mort, la Main du Roi n’est plus. C’est donc en toute logique que Stark doit le remplacer. Malgré ses réticences, il part avec ses deux filles vers le Donjon Rouge et Port-Réal, la capitale. Il va devoir se glisser dans le monde politique et royal, fait de Lords et de vassaux, de chevaliers et de princes, nid de serpents et repaire d’araignées. Le sort de son roi, le sort du maître du trône de fer et du continent de Westeros requièrent ses attentions. Mais au Nord, de sombres êtres rôdent, ni sauvageons ni enfants de la forêt, de l’autre côté du Mur et de sa Garde de Nuit, l’hiver vient…

La saga A song of ice and fire (renommée étrangement Le Trône de Fer en France) est l’œuvre monstrueuse de l’américain George R. R. Martin. C’est en 1996 qu’il entame l’écriture de cette fresque avec le roman A Game of Thrones. 2 ans plus tard, le livre sera coupé en deux pour être publié en France par Pygmalion. C’est seulement aujourd’hui que les éditions J’ai Lu ressortent A Game of Thrones dans son découpage original par le biais de cette intégrale. Depuis tout ce temps, l’œuvre de Martin a connu un succès colossal, encore accru par la sortie de plusieurs suites : A Clash of Kings, A Storm of Swords et A Feast for Crows. Encensé de toutes parts et couronné par de nombreux prix, A Game of Thrones est l’œuvre de tous les superlatifs.

C’est par un relativement long prélude que le lecteur pénètre dans A Games of Thrones. On y retrouve des membres de la Garde de Nuit aux prises avec des êtres surnaturels. Pourtant, c’est peut-être le seul élément véritablement fantasy que l’on trouvera avant près de 500 pages. S’il est une chose par laquelle il faut commencer cette critique, c’est par dire que A song of ice and fire s’apparente peu aux cycles de fantasy habituels et se rapproche plus des Rois Maudits ou de Gagner la Guerre (pour citer un exemple récent). Nous ne sommes clairement pas dans de l’heroic-fantasy mais plutôt dans de la medieval-fantasy. La première approche avec le roman est rude, très rude. A peine le prologue est-il achevé que George R. R. Martin nous plonge en plein cœur de son univers avec une myriade de noms et de personnages en à peine quelques pages. L’accès est donc des plus ardus…Et pourtant, il en vaut la peine. On remerciera à cet effet J’ai lu pour avoir mis en début d’œuvre une page qui nomme les principaux personnages, leurs affiliations et leurs appartenances ainsi qu’une carte en fin d’ouvrage.

C’est là le seul défaut pour A Game of thrones. Passée cette difficulté, le reste du voyage est admirable. Nous pénétrons dans le royaume des Sept Couronnes sur le continent de Westeros. L’univers qui s’y dessine est clairement une réminiscence de l’Europe médiévale avec ses maisons nobles, ses chevaliers, ses Lords et ses jeux de dupes. On retrouvera un roi dont l’autorité à réuni plusieurs maisons : les Stark, les Lannister, les Barathéon, les Tully, les Arryn, les Tyrell pour ne citer que les principales… Autour de celles-ci gravite une multitude de fiefs, de seigneurs, de hérauts. Tout ici contribue à s’immerger. D’abord la langue employée par l’auteur, dans un style parfois désuet tantôt précieux, il fait vivre son univers et vivre les protagonistes de son œuvre comme rarement. En près de 700 pages, A Game of Thrones décrit le monde imaginé par George R. R. Martin, ses croyances, ses mythes, son histoire, ses traditions, sa géographie avec un soin si méticuleux qu’on reste pantois devant ce tour de force. Bien entendu, on retrouve souvent des archétypes, mais ceux-ci sont utilisés par Martin d’une façon sûre et efficace, pour mieux ensuite se les réapproprier et les magnifier.

Pourtant, c’est autre part que dans l’univers, aussi réussi soit-il, qu’il faut chercher la qualité de ce Games of Thrones. Le point fort, ce sont les personnages. Il faut avouer être impressionné par le nombre faramineux de protagonistes que fait entrer en scène l’américain en 700 pages, au bas mot une centaine. Pour dérouler sa narration, George R. R. Martin a choisi de découper son œuvre en relativement courts chapitres, chacun dévolu à un des personnages principaux. Pour ce premier tome, ils sont au nombre de 8, principalement de la maison Stark : Sansa Stark, Eddard Stark, Bran Stark, Catelyn Stark, Arya Stark, Tyrion Lannister, Jon Snow, Daenerys Targaryen. Il s’agit ici seulement de 8 points de vue(certains reprocheront le concept feuilletonesque de la chose sans comprendre le jeu subtil qui permet de renverser les points de vues mais aussi de rendre compte de nombreuses péripéties d’un personnage à l’autre). On pourra rajouter Cersei Lannister, Jaime Lannister, Samwell Tarly, Robb Stark, Lisa Arryn, Robert Barathéon et tellement d’autres formant une galerie de personnages aussi hallucinante qu’hallucinée !! Inutile de dire qu’il reste en arrière une myriade de seconds rôles qui se comptent par dizaines encore. Pourtant, chaque personnage se trouve caractérisé, décrit et pourvu d’une histoire et d’un tempérament bien particulier. Le travail abattu est proprement titanesque. Non content de cela, l’auteur donne vie à des figures charismatiques, attachantes ou détestables. On citera le fascinant nain Tyrion Lannister, personnage fourbe, intelligent et terriblement ambigu, ou encore Varys, l’eunuque de la Cour Royale, tout aussi énigmatique que futé. Il serait facile de dire à quel point les personnages d’Eddard Stark ou de Daenarys Targaryen sont forts, mais il faut bien laisser la surprise de la lecture.

Au-delà des personnages en eux-mêmes, c’est le ton adopté par A Game of Thrones qui séduit définitivement. Nous sommes ici en présence d’une œuvre résolument adulte où les situations autant que les protagonistes se trouvent brossés en différents niveaux de gris. Vous ne trouverez pas de parfait gentil ou de grand méchant, simplement des hommes, certains braves et forts mais au lourd passé (Eddard Stark), d’autres détestables et avides de pouvoir mais non sans raison (Cersei Lannister). C’est aussi des figures comme Sandor Clegane qui fascinent par le refus de manichéisme de l’auteur en nous les dépeignant. Comparable en ce point à un autre cycle, La Compagnie noire de Glen Cook, A Game of Thrones ne ménage ni son lecteur ni ses intrigues. Puisque Martin n’a aucun scrupule à inclure meurtres d’enfants, viols, tortures, exécutions, incestes et autres joyeusetés au cœur de sa trame romanesque. N’oublions pourtant pas que c’est l’amour qui occupe une énorme part du roman, une multitude d’amours pour être exact, du plus pur au plus vil. Un amour multiple autant confraternel que marital ou même territorial. Autre point fort, et toujours à l’instar de Glen Cook, la multiplication des points de vue permet d’esquisser l’existence de différentes “vérités”. Si l’auteur utilise à fond le potentiel de ce concept dans les prochains volumes, nul doute qu’on tient là une saga extrêmement intelligente. On se doute bien que ce ton dur et adulte doit trouver un support à sa mesure outre les personnages, c’est là qu’intervient le dernier trait de génie de l’auteur américain.

“Et pourtant, c’était une erreur, messire, insista Cersei. Lorsqu’on s’amuse au jeu des trônes, il faut vaincre ou périr, il n’y a pas de moyen terme.”

Cette phrase de Cersei Lannister, reine de Westeros, illustre à merveille A Game of Thrones. Comme déjà dit plus haut, ce n’est pas vraiment de l’heroic-fantasy que l’on trouve en ces pages mais plutôt une myriade de fils qui s’enlacent, se font et se défont pour tisser une toile démesurée. Toute la complexité du livre tient, non seulement dans ses personnages, mais dans les rapports des uns avec les autres et des innombrables jeux d’alliances, de trahisons, de serments et d’allégeances. Dans cette botte de foin politique, Martin fait jouer le talent de sa plume pour dresser une histoire des plus impressionnantes. La cour royale est un véritable nid de serpents où chacun semble plus retors que le précédent et où les dangers sont aussi pléthoriques qu’inattendus. Sans déflorer ce qui fait le cœur du roman, ce sont les intérêts en jeu dans la famille au pouvoir, les alliances des différentes maisons et les vieilles haines et rancœurs qui tiennent en haleine le lecteur. Surtout lorsqu’à la seconde moitié du roman, les événements s’emballent et les armées se mettent en branle. A Game of Thrones prend alors une dimension épique et guerrière des plus impressionnantes… En clair, inutile de croire que vous vous en sortirez, une fois le doigt dans l’engrenage, le talent de conteur et la maîtrise parfaite de l’intrigue par Martin ne vous permettront plus de vous défaire de ce livre.

“Le membre de la Garde de Nuit voue son existence au royaume. Pas à un roi, ni à un suzerain, ni à l’honneur de telle ou telle maison, ni à l’or, la gloire ou l’amour d’une femme — au royaume, et à ses habitants, tous ses habitants. Le membre de la Garde de Nuit ne prend pas d’épouse, pas plus qu’il n’engendre de fils. Notre épouse est devoir, notre amante honneur. Et vous êtes les seuls fils que nous aurons jamais.”

L’imagination de Martin ne semble avoir aucune limite et n’a d’égale que la précision d’horloger qu’il met en œuvre pour agencer les événements et les situations, bien souvent une confrontation anodine n’en a que l’apparence. Finissons aussi par quelques mots sur le caractère fantasy, bien plus présent vers la fin avec notamment l’arc narratif de la Garde de Nuit qui surveille le Mur au Nord et au-delà duquel se terrent des êtres redoutables sobrement nommés les Autres. Des éléments fantastiques se trouvent tout de même disséminés de-ci de-là, de vieux mythes racontés au coin du feu sur des morts-vivants ou des monteurs de mammouths, l’hypothétique existence de dragons ou encore quelques obscures magies noires…Tout ceci se retrouve souvent dans les récits annexes de Game of Thrones, notamment celui de Jon Snow au Mur et Daenarys Targaryen (cette dernière profite d’ailleurs surement des passages les plus poétiques et des plus surprenants de ces 700 pages) sur un autre continent que Westeros. La question de savoir alors si l’amateur de fantasy plus traditionnelle y trouvera son compte se pose… Ce qui est certain, c’est que l’on ne peut que se réjouir de voir la plus grande chaîne télévisuelle du monde, HBO, mettre en images ce Game of Thrones pour le printemps 2011.

Il faut rendre honneur aux éditions J’ai lu de sortir cette intégrale. Outre la superbe couverture de Marc Simonetti, les cartes et les présentations de personnages, c’est la parution (enfin!!!) du roman A Game of Thrones dans son véritable découpage qui est une excellente chose. Il ne sera désormais plus possible d’être déçu ou trompé sur la qualité de l’œuvre en ne lisant qu’une maigre moitié en guise de premier tome.

“Des ténèbres, à cheval, surgirent alors les Autres. Ils étaient froids, ils étaient morts, ils exécraient le fer, le feu, le contact du soleil et toutes les créatures vivantes à sang chaud. Comme ils progressaient vers le sud, montés sur leurs cadavres de chevaux livides et menant les hordes d’assassinés, devant eux tombèrent un à un les places fortes et les villes et les royaumes des humains. Ils nourrissaient leurs serviteurs défunts avec la chair des enfants des hommes…”

Œuvre ambitieuse, adulte, majestueuse, hallucinante, démesurée, aboutie, maîtrisée et forte qui brode un récit tour à tour poignant, dur, épique, intense, mystérieux, glaçant, amusant et intense, A Game of Thrones esquisse ce qui pourrait bien être un chef d’œuvre, un monument sidérant de la fantasy et simplement de la littérature de la part de George R. R. Martin. Un tour de force, un travail titanesque…et ce n’est que le début. Jetez-vous dessus !!!

Note : 9.5/10

→ Critique de l’intégrale 2 : A Clash of Kings de George R.R. Martin

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