Le Trône de fer, intégrale 2 : A Clash of Kings

5 Rois pour un trône

Nicolas Winter
Juste un mot
Published in
8 min readJun 3, 2019

--

Cette édition rassemble les trois volumes La Bataille des Rois, L’Ombre Maléfique et L’Invincible Forteresse parus en France selon le découpage des éditions Pygmalion. Il s’agit surtout de retrouver le découpage original de l’auteur. Dans cette optique, cette seconde intégrale sera désignée par le terme, plus juste, A Clash of Kings tout au long de la critique qui suit. Il ne sera établi aucune distinction ayant trait au découpage français, respectant ainsi l’œuvre telle qu’elle fut conçue. Mentionnons que les personnes qui ne veulent pas découvrir certaines révélations de l’histoire seraient bien avisées de ne pas lire le premier paragraphe ni les citations de cette chronique.

Prix Locus 1999 — Prix Ignotus 2004

→ Critique de la première intégrale : A Game of Thrones de George R.R. Martin

Les Sept couronnes sont à feu et à sang. Le roi Robert Baratheon est mort, laissant le trône à son fils Joffrey Baratheon. Au vu de son jeune âge, c’est sa mère, la reine Cersei Lannister qui est chargée de protéger le royaume. Alors que Sansa Stark se trouve retenue en otage à Port-Réal après avoir assisté à l’exécution de son père Eddard Stark, les prétendants au trône se préparent à la guerre. Si Robb Stark fait face à Tywin Lannister dans les Conflans, Renly Baratheon et son immense armée remonte lentement du Sud pour s’approprier le trône. Seul Stannis Baratheon, le souverain inflexible de Peyredragon, semble camper sur ses positions. Au-delà de l’océan, Daenerys Targaryen pleure la mort du soleil étoilé de sa vie sous le regard de ses dragons, tandis que les alliances se font et se défont. La Garde de Nuit doit s’aventurer au nord du mur pour découvrir le sort de Benjen Stark avant que l’hiver ne vienne et que le choc des rois n’embrase tout Westeros.

Second tome de l’immense saga A Song of Ice and Fire, A Clash of Kings subit le même lifting que lors de la parution de la première intégrale chez J’ai Lu. Nouvelle et splendide couverture de Marc Simonetti, on notera aussi la présence des cartes de Westeros dont une nouvelle : la carte de Port -Réal. Inutile de dire, encore une fois, à quel point cette réédition fait figure d’indispensable puisqu’elle abolit l’infâme découpage de la première parution en restituant toute sa cohésion à l’œuvre de George R. R. Martin. Mais après l’excellence d’A Game of Thrones , ce second tome a fort à faire pour satisfaire le lecteur.

« Aussi revendiqué-je en ce jour pour mien, par droit de naissance et de sang, le Trône de Fer des Sept Couronnes de Westeros. A toutes gens d’honneur de manifester leur loyauté. Fait en la lumière du Maître, sous le paraphe et le sceau de Stannis Barathéon, premier du nom, roi des Andals, de Rhoynar et des Premiers Hommes, suzerain des Sept Couronnes. »

Le roman reprend là où s’arrêtait le premier volume, nous conviant d’abord à un prologue où l’on suit Mestre Cressen pour découvrir la faction de Stannis Barathéon et l’île de Peyredragon. Le système de narration ne change guère entre les deux ouvrages, il s’agit ici toujours de chapitres séparés selon une dizaine de personnages principaux. Nous retrouvons donc Bran Stark, Arya Stark, Sansa Stark, Catelyn Stark, Tyrion Lannister, Daenerys Targaryen et Jon Snow. Comme toujours, c’est la maison Stark qui est mise en avant mais il faut noter que le personnage de Tyrion Lannister prend dans ce volume une place bien plus importante. Pourtant, Martin introduit deux nouveaux personnages. Davos Mervault est un ancien contrebandier devenu chevalier au service de Stannis Barathéon. Offrant la perspective du camp de roi hautain et rigide de Peydragon, Davos s’avère un personnage aussi passionnant qu’attachant. Mais c’est surtout le personnage de Theon Greyjoy qui enchante. Otage des Stark depuis la rébellion de son père, Balon Greyjoy, Theon était un des personnages secondaires de Game of Thrones. Comme le laissaient supposer les perspectives et procédés du premier volume, l’écrivain renverse les points de vue et transforme totalement l’image que se fait le lecteur du jeune Greyjoy. Il permet également de faire découvrir la fabuleuse et singulière faction des îles de Pyk ainsi que la famille Greyjoy. Son histoire, tragique s’il en est, constitue une des plus éclatantes réussites du roman. A cela, on adjoindra les plus rares passages de Catelyn Stark qui affirment, s’il en est besoin, le talent de l’auteur pour dépeindre des instants tristes et touchants.

Si la force d’A Clash of Kings réside une fois de plus dans ses personnages, il reste de bon ton d’insister sur ce point. Toujours plus nombreux, toujours plus ambigus et fascinants, les acteurs de cette immense fresque restituent avec une vérité criante un monde médiéval et impitoyable. Au-delà des figures importantes des principales maisonnées, on découvre les bannerets et les chevaliers qui deviennent souvent des acteurs des plus charismatiques. A ce titre il faut citer l’excellence du personnage de Sandor Clegane qui oscille constamment dans les niveaux de gris entre le bien et le mal, mais se trouve habité d’une humanité troublante. On pourra aussi rappeler à quel point, au fil des pages et de l’intrigue, Tyrion Lannister se révèle être la plus grande réussite. Retors, difficilement cernable et ne se départissant jamais de son cynisme, il confirme son rôle central au cœur de l’immense épopée. On pourrait bien entendu parler longtemps de toutes ces personnalités (Varys, Gregor, Tywin ou encore Mélisandre), quasiment innombrables, qui parcourent ce récit-fleuve, mais il suffira de dire que jamais une œuvre de fantasy n’a fait montre d’un si éclatant accomplissement.
Revers de la médaille, la trame des alliances, des sympathies et des affiliations rend le récit vraiment complexe, mais il est évident que les personnes ayant réussi à lire le premier tome ne trouveront aucun inconvénient à cela.

« Son oncle lui décocha un regard songeur. “Lord Renly
- Sa majesté Renly.” Pour en obtenir de l’aide, elle devrait le gratifier du titre dont il s’était lui-même décoré.
“Peut-être.” Le Silure sourit d’un sourire acéré. “Il réclamera quelque chose, en contrepartie.
- Il réclamera ce que réclament toujours les rois, dit-elle, Hommage. »

L’histoire elle-même ne souffre d’aucun reproche. George R. R. Martin, non content de dépeindre de fabuleux personnages, construit un monde et une aventure digne de tous les superlatifs. Le récit enchaîne les moments mémorables. L’arrivée sur les îles de Pyk, la rencontre avec Mélisandre ou l’impressionnante bataille de Port-Réal ne sont que des événements parmi d’autres. Le canevas des destinées s’embellit à chaque instant et l’ambition affichée par l’américain ne semble pas avoir de limites mais surtout, de faillites. Le monde de Westeros — et au-delà même — prend vie aussi naturellement que si l’on écoutait l’histoire de notre monde au temps de jadis. Sans cesse des nouveaux éléments surgissent, sans cesse les sept couronnes étonnent et émerveillent le lecteur.

Point primordial, Martin ne s’est pas reposé sur ses lauriers. L’apparition de nouveaux personnages, notamment Theon Greyjoy, permet d’éprouver tout l’intérêt de l’éclatement des points de vue. Cela rend non seulement possible de suivre l’action sur plusieurs fronts mais aussi, et c’est primordial, de jouer avec les perceptions de bien et de mal du lecteur. Ainsi, on se surprend à s’attacher à ceux qui semblaient du mauvais côté. Contrairement à beaucoup d’ouvrages, on découvre ici que le sens du mot juste peut rapidement changer. Ce phénomène éclate littéralement dans les pages de Greyjoy et surtout dans celles de Catelyn Stark lors de sa conversation avec Jaime Lannister. Celui-ci s’avère beaucoup moins stéréotypé que ne l’a d’abord laissé suggérer le reste du récit. De ses paroles découle une vérité flagrante : la réalité n’est pas unique. Ici s’accentue encore le refus de Martin de tomber dans l’éternelle confrontation bien-mal que l’on trouve tant. De ses archétypes du début, il ne reste rien ou presque, son travail apparaît au grand jour, refusant autant les étiquettes que les compromis. Point de salut pour les personnages lorsque la mort vient les prendre, l’histoire suit son cours, peu importe ce qu’il en coûte. Que ce soient viols, meurtres, trahisons, humiliations, tortures ou incestes, rien n’est passé sous silence. Encore une fois, on ne peut s’empêcher de penser au cycle de Glen Cook, La Compagnie noire. A ceci près que celui de Martin le surclasse à tous les points de vue, malgré tout le bien que l’on pense du premier.

« Tout homme qui étudie les mystères supérieurs s’essaie tôt ou tard à la pratique des incantations. J’y ai moi-même succombé, je dois l’avouer. En gamin que j’étais, car quel gamin n’aspire pas à se découvrir, dans le secret de son cœur, des pouvoirs intimes ? Mes efforts n’ont pas été mieux couronnés que ceux des mille gamins qui m’avait précédé et des mille qu’i m’ont succédé. La magie, triste à dire, ne marche pas.
-Parfois si ! protesta Bran. »

Le changement à la fois le plus notable et le plus doux se trouve pourtant ailleurs. Dès l’introduction des Autres et des légendes sur des créatures mythiques, Martin annonçait le penchant fantasy de son œuvre. Bien qu’il soit ténu dans A Game of Thrones, il n’en était pas moins présent. Pour A Clash of Kings , la fantasy se fait bel et bien sentir. D’abord par la magie avec l’introduction de Mélisandre et de Dieu de Lumière. Une magie forcément noire. Ensuite par les péripéties de Jon Snow au-delà du mur et en compagnie de la Garde de Nuit. On découvre les terres glacées de l’extrême-nord et on redoute les dangers qui s’y tapissent. Rapidement, il deviendra évident qu’il y a plus que des hommes en ces lieux. Enfin, c’est le récit de Daenerys Targaryen qui impose cette patte surnaturelle, ceci pour deux éléments majeurs : les dragons et les non-mourants. On laissera le plaisir au lecteur de découvrir ces éléments qui laissent augurer du meilleur pour la suite.

Car comme pour A Game of Thrones, A Clash of Kings appelle à une suite. On ne peut d’ores et déjà que se réjouir de voir de nouveaux personnages avoir leurs propres chapitres, notamment Jaime Lannister. On attend également avec une impatience non dissimulée de découvrir les terres de Hautjardin et de Dorne, longuement sous-entendues dans ce second volume. Il faudra pourtant finir par s’étonner de plus belle du découpage français original. A la lumière de cette intégrale, celui-ci apparaît non seulement aberrant mais délétère pour l’œuvre dans son entier. Gageons simplement ne plus revoir cela pour le futur A Dance with Dragons

« Ce qui avait inspiré la grande rébellion de lord Balon était moins la vanité de recouvrer une couronne que l’espoir de restaurer l’Antique Voie. Or si Robert Baratheon et son copain Stark avaient mis un sanglant point final à cette ambition, voilà qu’ils étaient morts tous deux. De simples gosses gouvernaient à leur place, maintenant, et la zizanie morcelait le royaume forgé par le Conquérant. Voici venue la saison, songea Theon, tandis que le besognaient tout du long les lèvres de la fille, la saison, l’année, le jour, et je suis l’homme de la situation. »

A Clash of Kings retrouve toute sa majesté dans cette nouvelle intégrale. Parfaite suite du roman A Game of Thrones, il fait surtout figure de tour de force. Non content de proposer toujours plus de points forts, il magnifie son prédécesseur et ébauche un monde d’une ampleur gigantesque. Roman de la confirmation mais aussi de l’excellence, A Clash of Kings impose définitivement A Song of Ice and Fire comme un chef-d’œuvre total.

Note : 9.5/10

→ Critique de la première intégrale : A Game of Thrones de George R.R. Martin

--

--