Vice

Cheney tout-puissant

Nicolas Winter
Juste un mot
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5 min readFeb 21, 2019

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Dans la course aux Oscars de cette année, à côté de Black Panther ou encore La Favorite, on peut trouver un métrage beaucoup moins mis en avant que les autres : Vice.
Porté par une prestation étonnante du transformiste Christian Bale, le long-métrage est en réalité un biopic sur la vie de Dick Cheney, éminent homme politique américain et entre autres choses vice-président sous le mandat de George W. Bush. Si l’on pouvait logiquement craindre un portrait soporifique et lisse, sachez qu’il n’en est rien.
La raison ? Son réalisateur, le trublion Adam McKay.
Biberonné à l’école Ferrell, l’américain a brutalement troqué la comédie pure et dure pour un registre bien différent : celui du film à charge.
En 2015, il réalise The Big Short (handicapé en France par son sous-titre stupide de Casse du siècle…), véritable uppercut cinématographique qui prend tout le monde au dépourvu avec un Steve Carell impérial.
Trois ans plus tard, McKay persiste et signe avec un pamphlet brûlant et sans concession où il étrille le monde politique américain.

Dick Cheney en Christian Bale, ou l’inverse

Vice commence avec un avertissement : tout ce que l’on va voir ici est réel et a été méticuleusement documenté. Dick Cheney étant l’un des hommes politiques américains les plus secrets, Adam McKay l’affirme…ils ont bossé dur !
Le ton réjouissant et jouissif est donné, il sera le même que celui de son illustre grand frère. En choisissant d’entrelacer les époques et les fils conducteurs, le réalisateur ne simplifie pas la tâche du spectateur. Pour s’ancrer dans les différentes époques, il reste cependant Christian Bale et son physique caméléon, méconnaissable en Dick Cheney et épatant de la première à la dernière seconde. Autour de lui, Adam McKay a rassemblé une équipe de choc avec Steve Carrell, Amy Adams, Sam Rockwell, Jesse Plemons, Lily Rabe ou encore Eddie Marsan. Grâce à ce casting extraordinaire, Vice s’assure de solides bases pour explorer la complexité de la montée en puissance de Cheney. Partant de son passé d’ivrogne et de loser pour finir sur sa toute-puissance à Washington, Adam McKay tente de comprendre comment cet homme-là a pu finir par détenir les pouvoirs d’un vrai dictateur romain à notre époque moderne. L’explication semble pourtant simple : la ruse de Cheney et l’imbécillité de l’électeur moyen.
Mais avant d’en arriver à cette charge virulente du pouvoir et de la démocratie à l’américaine, Adam McKay, comme dans The Big Short, se doit de dénouer les fils de l’intrigue pour son spectateur.

L’humour au service de la vulgarisation

C’est précisément là que Vice fait des merveilles.
Adam McKay a cette particularité, comme on l’a dit plus haut, d’avoir réalisé par le passé un tas de comédies punchy mais oubliables. Au lieu de persister dans cette voie, le cinéaste a pourtant choisi de se servir des techniques de divertissement qu’il a engrangé pour en faire le moteur de sa vulgarisation politique et sociale.
Le résultat ? Vice.
Le film est nerveux, drôle à souhait, caustique et terrifiant tout à la fois. McKay ose tout pour faire comprendre au spectateur sans le lasser ou l’ennuyer avec un propos parfois abscons.
Il alterne un Alfred Molina en serveur présentant par le menu les lois écœurantes pour torturer et violer les libertés, il fait déclamer du Shakespeare à ses acteurs pour mettre en exergue le décalage fantasme historique et réalité politique…et il livre même une fausse fin pour faire réfléchir le spectateur sur les décisions de Cheney.
Et c’est jouissif à souhait tout en restant diablement intelligent ET accessible. Voici donc l’exploit principal de Vice : un film hautement politique qui déglingue la perfidie du système démocratique à l’américaine (et à l’occidental) tout en faisant rire le spectateur et en ne l’emmerdant jamais une seule seconde. La même mécanique que The Big Short en toujours plus inventif.

Le coupable, c’est vous

Mais là où Vice va plus loin, c’est qu’il charge l’électeur lui-même, c’est-à-dire vous, le spectateur.
Adam McKay montre la manipulation des esprits par les médias, les journalistes de bas étages, les orientations d’opinions et les techniques marketing. De façon troublante et édifiante, Vice démontre que l’ascension irrésistible de Dick Cheney résulte en grande partie de la stupidité crasse du peuple et du dirigeant-marionnette qu’il élit périodiquement…et qui finalement ne contrôle pas grand chose.
L’immense audace de Vice, c’est qu’au-delà de son aspect biopic, il détruit méthodiquement notre façon de concevoir la démocratie et révèle l’évidence : nous n’aurons jamais de pouvoir stable et bon dans un monde où l’ignorance et la bêtise sont glorifiées et revendiquées.
Il faut d’ailleurs rester pendant le générique pour voir justement l’aboutissement de ce sous-texte corrosif.
Tout comme The Big Short, Vice montre que notre société démocratique n’en est plus véritablement une et qu’elle ne l’a semble-t-il jamais été, que les puissants continueront toujours à crever les pauvres et que l’avènement de la manipulation de masse engendre catastrophe sur catastrophe.
Vice est un grand film qui vaut bien davantage que ce qu’il veut bien laisser voir de prime abord.

Brûlot politique et charge virulente contre une société bête et ignorante, Vice n’est pas que le show de Christian Bale, c’est aussi un film jouissif, nerveux et ultra-inventif qui fait définitivement entrer Adam McKay dans la cour des grands.
Et si vous vous demandez pourquoi la critique américaine n’a pas aimé, vous devriez déjà commencer par le voir pour comprendre.

Note : 9.5/10

Meilleure scène : Alfred Molina déclamant le menu du jour

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