Récits du Demi-Loup, Tome 1 : Véridienne

Clémente vous soit la pluie

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7 min readSep 13, 2018

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Éditions Les Moutons Électriques, Collection La Bibliothèque Voltaïque, 384 pages

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Dans leur volonté de faire découvrir de nouveaux talents français, Les Moutons Électriques nous ont déjà permis de nous délecter de la plume de Jean-Philippe Jaworski, de Timothée Rey ou plus récemment de Stefan Platteau. Cette rentrée littéraire était donc l’occasion idéale pour éditer le premier roman de la française Chloé Chevalier, jusqu’ici rigoureusement inconnue dans le petit milieu des littératures de genre. Après la parution de Royaumes de vent et de colères de Jean-Laurent Del Socorro ou Les Neiges de l’éternel de Claire Krust, l’écrivaine a la dure tâche de convaincre le public français. Misant sur le genre fantasy, Véridienne est le premier tome des Récits du Demi-Loup, un univers que l’éditeur n’hésite pas à comparer à celui de Martin, Hobb ou Dumas. Malgré ce genre de comparaisons pompeuses, l’objet-livre attire rapidement le regard, d’autant plus que fidèles à eux-mêmes, Les Moutons Électriques offrent un travail des plus soignés. Chloé Chevalier peut-elle se démarquer de la masse ? Rien n’est moins sûr…

Les Récits du Demi-Loup s’intéressent, comme leur nom l’indique, au royaume du Demi-Loup. Dans celui-ci, le pouvoir se scinde en deux pôles : le Roi du Demi-Loup qui occupe Véridienne et l’Echo-Du-Roi qui a la responsabilité de l’autre partie du royaume depuis Les Eponas. De plus, une tradition singulière veut que chaque prince, princesse, roi ou reine soient élevés avec un autre enfant né un jour après eux. Ce sont les Suivants et Suivantes. Ainsi liés, les deux enfants grandissent et mûrissent ensemble, se reposant l’un sur l’autre pour gouverner et doivent, le cas échéant, tempérer les humeurs et ambitions déplacées de l’autre. Malheureusement, le royaume du Demi-Loup vit une période sombre. Le roi Aldemar a envoyé son jeune fils Aldemor âgé d’à peine 12 ans pour conduire une armée de dix mille hommes dans le but de stopper les raids perpétrés par les peuples de l’Est. De l’autre côté du Demi-Loup, l’Echo-du-Roi Caldamir est las d’un pouvoir qu’il n’a jamais souhaité, tentant de composer avec les ambitions du général Edelin L’Adroit, maître des Chats, tout en protégeant sa petite fille Calvina et sa Suivante Lufthilde. Alors que de sombres rumeurs se propagent à Véridienne sur la mort de Caldamir, la princesse Malvane et ses deux Suivantes, Nersès et Cathelle, ne s’attendent pas à devoir accueillir une princesse condamnée à l’exil. Réunies dans l’adversité, les princesses et suivantes vont devenir les témoins privilégiés d’une catastrophe terrible : l’émergence d’une épidémie effroyable rapidement appelée La Mort de L’Eau. Véridienne et le Demi-Loup survivront-ils au destin ?

A chaque nouvelle voix émergente sur le marché de la fantasy, une question se pose d’emblée : comment sortir du lot ?
Chloé Chevalier cherche à répondre à cette interrogation difficile en plusieurs temps. Empruntant la voix d’une succession de journaux intimes ou, plus exactement, d’un melting-pot d’écrits des personnages principaux à propos de leur histoire, la française jongle avec plusieurs points de vues (quatre au total). C’est certainement en cela que la première comparaison avec Le Trône de Fer peut-être établi. Sans jamais atteindre la densité d’univers ni la foisonnance de personnages de ce dernier, Véridienne tente pourtant l’aventure en nous jetant sans ménagement dans un échalas de titres, de noms et d’individus. Il faut bien quelques dizaines de pages pour comprendre totalement les statuts et relations des uns et des autres, surtout que notre perfide auteure use de noms parfois très proches (Aldemar et Aldemor, Malvane et Malvamonde)liés aux traditions du Demi-Loup. En parlant de celles-ci, Chloé Chevalier utilise une idée très simple au final, celle des Suivants, pour enrichir son intrigue et son background d’une manière très efficace.

Passé le cap rugueux des premières pages, Véridienne met en place tout un univers avec la structure politique et sociale qui va avec. Chloé Chevalier évite le piège de vouloir par trop complexifier les choses et arrive à trouver le juste équilibre entre les extrêmes. La dichotomie Eponas-Véridienne ainsi que les rapports Suivants-Royauté s’établissent aussi progressivement que naturellement. Cependant, sous un faux-vernis de simplicité, l’écrivaine tisse patiemment une intrigue passionnante et, plus important encore, passionnée. Le lecteur va suivre l’enfance puis l’adolescence et enfin le début de l’âge adulte des princesses et de leurs suivantes. En commençant sur un versant à la fois étrange et risqué, à savoir les amourettes et querelles de jeunes filles, Chloé Chevalier arrive à bâtir un certain nombre de rapports humains qui s’enrichissent au fur et à mesure de l’avancée du récit. Du coup, les pages s’écoulent en même temps que les années et les conflits puérils de prime abord deviennent vieilles rancœurs, alliances et désamours. Si l’on aurait pu croire dans un premier temps que Chevalier allait nous ennuyer avec des enfantillages (ce qui n’est d’ailleurs même pas le cas, puisque même les interactions entre les enfants deviennent passionnantes), elle réussit à les transformer en un moteur de l’intrigue même.

La plus grande qualité de Véridienne se situe surement là. Chloé Chevalier jouit non seulement d’un style fluide et élégant, mais elle arrive à capturer les sentiments humains et les passions avec une exactitude et une authenticité des plus saisissantes. Les peines et les joies, les amours ou les colères se suivent et ne lassent jamais, tant l’auteure prend grand soin de les sous-tendre par une justification plus profonde. Chaque événement personnel a un retentissement politique à un moment ou un autre. Ce qui fait que le récit évite l’écueil principal de ce genre de parti-pris : la futilité. Rien n’est gratuit dans Véridienne et c’est certainement ce qui permet de suivre avec tant de plaisir les personnages à travers les divers âges de leur vie respective. Outre le capital sympathie (ou haine, c’est selon) que l’on en vient à éprouver face aux principaux acteurs du récit, c’est aussi la capacité de Chloé Chevalier a savoir renverser la table qui surprend agréablement. Rien n’est acquis, ni le titre d’un prince héritier revenu victorieux ni l’amitié de deux cousines.

Autre surprise majeure de ce récit, sa propension à rester presque exclusivement féminin. Si l’on met de côté Aldemor (et encore), l’intrigue de Véridienne est une affaire de filles puis de femmes. En évitant quasiment tous les clichés, Chloé Chevalier saisit cette vérité communément admise que derrière chaque grand homme se cache une grande femme. Il suffit de voir l’influence qu’acquéront Lufthilde ou Cathelle sur leur conquête respective. Mieux encore, elle offre un panel de destinées où chacune des figures féminines du récit trouve sa place. De l’épouse rongée par le temps à la féministe convaincue. Si Aldemor donne une touche masculine plus tardive à l’aventure, il ne démérite pas non plus. Son cynisme, son caractère tragique et finalement sa lucidité en font un personnage délectable. Reste alors un dernier compliment à adresser à Véridienne, celui de choisir de centrer son intrigue sur un royaume qui se désagrège et qui semble, franchement, minuscule sur l’échiquier politique à l’arrivée. Oubliez les vastes empires et les conquérants inébranlables, les Récits du Demi-Loup s’attache à décrire le grandeur funeste d’un royaume qui n’en finit pas de tomber, l’arrivée d’une épidémie n’étant certainement qu’un des nombreux clous enfoncés dans le cercueil du Demi-Loup. Du coup, tout semble plus intime, plus resserré et finalement plus authentique. Un élément ô combien capital qui permet allègrement à Chloé Chevalier de se passer des poncifs habituels du genre. N’espérez pas trouver de dragons ou de magiciens dans Véridienne. Le ballet des relations humains suffisant largement à le rendre épique à sa façon.

Une nouvelle fois, Les Moutons Électriques ont eu le nez creux. Chloé Chevalier ébauche un univers convaincant, attachant et solide. Ses personnages passionnants et son intrigue efficace permettent à Véridienne de ferrer le lecteur au bout de quelques dizaines de pages. Mêlant avec le même bonheur politique, sentiments humains et dimension intimiste, ce premier tome des Récits du Demi-Loup se révèle un excellent moment de fantasy, peut-être exigeant de prime abord mais constamment réjouissant par la suite.
En somme, un essai qui ne demande qu’à être transformé. On attend Chloé Chevalier au tournant pour la suite.

Note : 8/10

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Existe aussi en version poche chez Hélios :

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