The Batman

Quand le Vigilante cherche un sens à la Justice…

Nicolas Winter
Published in
9 min readMar 4, 2022

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Projet maudit, The Batman voit enfin le jour sur grand écran sous la houlette du réalisateur américain Matt Reeves (à qui l’on doit notamment Cloverfield ou encore La Planète des Singes : Suprématie).
Initié dès 2015 par Ben Affleck, alors interprète du Batman dans Batman vs Superman de Zack Snyder, le métrage finira non seulement dans les mains d’un autre réalisateur mais remplacera également son acteur principal au profit d’un certain Robert Pattinson. Produit par la Warner Bros, The Batman était presque devenu une arlésienne jusqu’à sa première bande-annonce qui met le feu aux poudres et redonne foi dans ce projet pour le moins risqué (souvenons-nous de Batman Forever…).
Pourtant, Matt Reeves nous réserve un retour aux sources qui fait du bien…

En effet, ce qui frappe d’emblée dans The Batman, c’est sa volonté de se démarquer à la fois de ses prédécesseurs signés par Nolan ou Snyder, mais aussi son ambition esthétique qui permet de retrouver l’un des points les plus appréciés des Batman de Tim Burton, à savoir donner une ambiance singulière à Gotham, la ville du Chevalier Noir.
Tout, dans The Batman, se déroule la nuit et, de préférence, sous une pluie battante. Gotham est une ville sombre, violente, poisseuse. Matt Reeves fait le choix de filmer les trois quarts de son récit dans le noir et c’est tant mieux puisque son héros surgit toujours de l’ombre et n’est jamais aussi terrifiant pour les criminels que lorsqu’il s’incarne dans la nuit. Gotham, elle, retrouve ses faux-airs de New-York mité, un aspect que nous avions perdu avec Christopher Nolan dès le fameux The Dark Knight et qui avait laissé un manque substantiel aux fans de l’homme chauve-souris.
The Batman fait l’effort louable d’incarner la cité du crime et se promène dans ses bas-fonds. Ce qui a une influence directe à la fois sur l’atmosphère très sombre et réaliste du film, mais également sur le récit qui nous est raconté.

En choisissant d’étendre son intrigue sur 2h57, Matt Reeves prend bien évidemment un risque. Pourtant, pour (ré)installer la hiérarchie de l’univers et refaire une beauté à son héros, il fallait au moins ça. The Batman n’est PAS une origin-story mais un récit sur les débuts du Batman. Robert Pattinson y campe un Batman encore jeune et en colère qui combat le crime depuis deux ans à peine. Le vigilante n’a pas grand-chose du super-héros type à la Marvel et incarne un peu l’opposé du flamboyant Superman de l’univers DC.
Ce qui est intéressant ici, c’est que le cinéaste américain choisi consciemment de ne pas faire un film de super-héros mais de tout miser sur la case detective.
C’est un fait établi dans la tête des fans de Batman, l’alter-ego de Bruce Wayne est surtout connu pour être l’un des meilleurs enquêteurs du monde (si ce n’est le meilleur) et Matt Reeves déroule devant les yeux du spectateur une histoire qui lorgne non pas vers les productions super-héroïques mais vers le polar et le thriller.
The Batman s’inspire de façon évidente du cinéma de David Fincher, partageant avec Se7en la même atmosphère urbaine pluvieuse et le même criminel anonyme à la John Doe. Le Riddler (ou L’Homme-Mystère pour les nostalgiques) devient ici une fusion entre le meurtrier de Se7en et le psychopathe roublard de Zodiac. Il n’est pas question d’affrontement physique entre lui et le Batman mais bien d’une chasse où l’intellect et les nerfs sont mis à l’épreuve.
Tout du long, le spectateur va remonter la piste d’une série de meurtres qui offre une occasion en or à Matt Reeves non seulement pour retrouver l’essence de son héros, mais lui permettre surtout de déployer toute une galerie de personnages et de rapport de forces que l’on oublie trop souvent dans l’univers de Batman.

Ainsi, Matt Reeves introduit les indispensables grandes familles du crime de Gotham, les Maroni et les Falcone, éléments secondaires des films de Christopher Nolan mais ici partie prenante de ce polar noir qui fait d’abord et avant tout la part belle aux gangsters qui gangrènent la vie politique de la cité. Pour incarner Carmine Falcone, Matt Reeves a choisi l’excellent John Turturro tandis que l’un des personnages les plus emblématiques du Bat-Verse, Le Pingouin, apparaît sous les traits d’un Colin Farrel métamorphosé. Face au milliardaire en costume, c’est donc les criminels de l’underground et la corruption qui surgissent et se taille la part du lion.
The Batman, tout comme pouvait l’être notamment The Dark Knight Rises en son temps (avec Occupy Wall Street) ou Joker plus récemment, est un film de son époque. Si les Marvel aiment mettre l’emphase sur les luttes raciales et sociales de façon souvent grossière et ostentatoire, The Batman, lui, préfère la politique et la subtilité. Ainsi, The Batman se focalise sur la corruption des politiques et de la justice, sans parler de la police elle-même, et de la légitime défiance du citoyens envers des puissants qui détournent l’argent et sapent la confiance du Peuple en ses institutions.
Mine de rien, The Batman pose un sous-texte qui appelle à la Révolution contre des institutions sclérosées et souvent malhonnêtes, mais, loin de dresser un portrait idyllique de ceux qui veulent changer la donne, Matt Reeves va au contraire s’acharner à montrer que le sentiment de révolte légitime du peuple a quelque chose de dangereux et de pervers à l’époque de Twitter et YouTube… et qu’un opportuniste peut très bien tirer profit de ce mécontentement populaire.

On en vient donc ici à l’autre attraction du film après le Batman lui-même : le Riddler. Oubliez bien vite Jim Carrey et ses fresques en costume vert moulant, le Riddler de Matt Reeves tient plus du pervers sado-masochiste trop intelligent pour son propre bien que du fou extravagant en goguette. Travaillant dans l’ombre, méticuleux et précis, le Riddler est l’un des méchants les plus passionnants qu’il nous ait été donné de voir dans l’univers de Batman. Incarné par un Paul Dano impérial (et idéal pour le rôle), le Riddler semble à la fois synthétiser le serial killer à la David Fincher mais aussi une certaine métaphore de l’incel américain, anonyme, blanc, rejeté par la société et en quête d’une reconnaissance par la violence. Mais c’est surtout sa façon de communiquer qui interpelle. En utilisant les réseaux sociaux (avec des vidéos style TikTok et Instagram) et les médias plus conventionnels qui relaient avec complaisance et hypocrisie ses prises de paroles, le Riddler est la mauvaise solution à un vrai problème. The Batman s’interroge sur la légitimité de ceux qui poussent à la révolte et rendent leur propre justice quand la Justice elle-même fait défaut. On comprend rapidement que derrière la Révolution fomentée par le Riddler, il y a le piège du populisme et du fascisme.

Ce qui va pourtant faire tout le sel de ce jeu du chat et de la souris entre le Riddler et le Batman, c’est la comparaison qui s’établit entre les deux. Matt Reeves, dès le départ, multiplie les références rapprochant les deux hommes. Deux orphelins en quête d’une identité, d’une raison d’exister, deux personnages qui veulent la justice et sont prêts à en payer le prix, deux voyeurs qui aiment espionner les autres, deux esprits torturés avec deux conceptions bien arrêtées sur ce que devrait être Gotham.
Comme Grant Morrison dans L’Asile d’Arkham, Matt Reeves montre que son héros est aussi fou que les méchants qu’il poursuit et que ses penchants psychotiques peuvent vite déborder. C’est là une des plus grosses réussites du métrage : rendre Batman aussi intéressant et charismatique que son adversaire en insistant sur sa part d’ombre, tâtonnant au bord du gouffre.

En effet, que ce soit pour les films de Snyder ou ceux de Nolan, Batman avait bien du mal à prendre l’avantage sur ses adversaires côté charisme. On se souvient du Joker dans The Dark Knight qui éclipsait totalement Christian Bale ou du massif Tom Hardy en Bane bien plus intéressant que l’homme chauve-souris. En changeant radicalement le look du Batman et en lui donnant un coup de jeune, Matt Reeves se permet aussi d’insister sur son instabilité mentale et émotionnelle. Batman n’est pas encore sûr de ce qu’il doit incarner pour Gotham et de la façon dont il doit se comporter face à ses habitants. Derrière les yeux sur-maquillés de Robert Pattinson et de son look emo, c’est un jeune vigilante qui se cherche et que l’on découvre plus vulnérable que jamais. Au fond, le film de Matt Reeves s’interroge sur notre définition de la justice. Dès sa première apparition, Batman le clame haut et fort : il est Vengeance. Mais la vengeance est-elle la justice ? Ou une autre forme de folie meurtrière qui s’auto-légitimise ? C’est le cœur du récit proposé par Matt Reeves et son co-scénariste, Peter Craig, ce qui ne cesse de hanter son héros. En rencontrant Selina Kyle et sa soif de vengeance personnelle (sans parler de ses méthodes plus définitives), Batman comprend que le poids de l’histoire familiale est un risque béant pour le justicier qu’il veut incarner. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’autre grand allié du vigilante n’est autre que le lieutenant Gordon sous les traits d’un Jeffrey Wright toujours impeccable. Gordon incarne ici la véritable (et parfois limitée) justice. C’est entre la droiture de Gordon et la fougue vengeresse de Catwoman (qui n’est jamais présentée comme telle d’ailleurs, nous sommes bien dans une veine réaliste et non Burtonesque) que le Chevalier Noir va s’accomplir. Robert Pattinson mérite d’ailleurs toutes les louanges pour son incarnation dépressive et torturée d’un héros qui ne l’est pas moins. Sa jeunesse et sa tronche maladive tranche radicalement avec ses prédécesseur et lui donne à l’écran une aura bien plus prégnante qu’un Christian Bale ou un Ben Affleck.

Au-delà de son aspect polar, The Batman ne s’interdit pas quelques scènes d’action plutôt dantesques dont notamment une course-poursuite déjà iconique avec ce plan-retourné de l’arrivé du Batman sur fond de flammes et de pluie crépitante. Plusieurs scènes-symboles seront d’ailleurs disséminées dans le film comme lors des funérailles du maire de la ville ou de la visite du repaire du Riddler où un certain homme chauve-souris s’aperçoit de l’étendue du gouffre mental qui le guette. Mentionnons également la présence pas innocente du tout de trois personnages noirs et qui, tous, représentent en un sens le chemin parcouru par l’Amérique à leur propos : un flic intègre au sein d’une police vérolée, une héroïne-vigilante qui reprend sa vie en main face aux blancs de la pègre et une candidate à la mairie qui fait face au cataclysme et incarne le renouveau. Comme on l’a dit, The Batman est bien plus intelligent que toute la machinerie Marvel lorsque l’on en vient au propos social et politique. Et à propos de Marvel, il semble absolument vital de rappeler à quel point l’existence de ce blockbuster de plus de 3h avec sa patte graphique assumé et son côté film d’auteur fait du bien dans un monde du cinéma que l’on pensait définitivement abandonné à la formule Marvel de Kevin Feige. The Batman n’est pas un film familial ou même un film facile, c’est la vision d’un auteur qui parvient à la fois à incarner un univers tout entier et un personnage sombre en ne casant pas 8 blagues à la minutes et en versant jamais dans un happy-end obligé agrémenté de scènes post-génériques racoleuses et inutiles. L’existence même de ce film-monstre où la nuit domine et où le super-héros ressemble tant à son super-vilain est la preuve qu’une autre voie existe pour raconter un récit ambitieux et brutal aussi réaliste que divertissant.

Que ce soit par sa mise en scène inspirée ou son esthétique assumée, sans parler de l’excellente partition d’un Michael Giacchino particulièrement inspiré, The Batman s’impose comme un retour aux sources pour le héros DC mais aussi pour un cinéma super-héroïque piégé dans la toile de la formule industrielle Marvel. Sombre, dense, poisseux et passionnant, le film de Matt Reeves impressionne et rassure : le Chevalier Noir n’est pas mort et le cinéma d’auteur super-héroïque non plus.

Note : 9/10

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