Marvel a-t-il tué le super-héros au Cinéma ?

Le blockbuster à l’ère des Avengers

Nicolas Winter
Juste un mot
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9 min readApr 30, 2018

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There was an idea, to bring together a group of remarkable people. To see if we could become something more. So when they needed us, we could fight the battles that they never could.”

En 2012, les spectateurs du monde entier découvrent avec un certain émerveillement une expérience inédite sur grand écran : plusieurs super-héros font équipe pour sauver la planète. Le premier crossover super-héroïque de l’histoire du cinéma est né, il s’appelle Avengers.
Six ans plus tard, Marvel Studios renouvelle l’exploit à une échelle largement supérieure avec Avengers : Infinity Wars. Divertissement solide et rythmé, le film marque l’apogée d’une Phase 3 qui laisse pourtant dubitatif après une longue série de films tièdes voir médiocres.
Comment Marvel peut-il à la fois porter le super-héros sur grand écran et le tuer à petit feu ?

The Avengers (2012) par Joss Whedon

Aux origines du super-héros moderne

C’est en 2008 que l’épopée de Marvel Studios commence réellement avec la première phase du Marvel Cinematic Universe.
Iron Man s’affirme alors comme un film sympathique, frais et au casting particulièrement fin avec un Robert Downey Jr absolument parfait. Le métrage inaugure également la tradition de la scène post-générique et évoque déjà la possibilité d’un crossover.
Fort du succès d’Iron Man, Marvel Studios récidive avec le peu convaincant L’incroyable Hulk de Louis Leterrier et le discutable Iron Man 2.
En 2011, les choses se précisent avec un Thor bancal et un excellent (mais très sous-estimé) Captain America. La Phase 1 touche au but et Avengers finit par battre tous les records en 2012 propulsant par la même occasion Marvel sur le devant de la scène.
Une chose étrange puisque le super-héros au cinéma n’est pas né avec Marvel Studios.

Spider-Man 2 (2004) de Sam Raimi
Batman : The Dark Knight (2008) de Christopher Nolan

De Batman à Spider-Man, en passant par X-Men et Superman, le super-héros était déjà bien installé dans le paysage cinématographique avant l’arrivée de Marvel Studios sur le marché.
Il faut même avouer que le Spider-Man de Sam Raimi et le X-Men de Bryan Singer avait mis la barre bien plus haut que les films de la Phase 1 chez Marvel Studios.
En face, DC fait le choix de confier son univers à la Warner Bros qui place un certain Christopher Nolan sur la route du Chevalier Noir de Gotham et transcende totalement la vision du super-héros au cinéma avec The Dark Knight.
Malgré toute cette concurrence, Marvel Studios fait mieux que résister…et va même écraser la concurrence !

Le secret : la Formule Marvel !

Kevin Feige

Cette victoire sans appel, Marvel le doit à un homme : Kevin Feige, le président de Marvel Studios. Convaincu que le super-héros peut devenir une manne financière intarissable, Feige organise son entreprise de façon ultra-efficace et esquisse rapidement les contours de ce qui devient vite la Formule Marvel.
En somme, chaque film des Studios Marvel doit apporter un super-héros, une bataille entre le bien et le mal, un (ou des) side-kicks humoristiques et surtout offrir du divertissement au public en harmonisant les différents opus entre eux, à la fois thématiquement et sur le plan de la mise en scène.
La mise en oeuvre de cette philosophie s’avère à la fois un énorme succès commercial et un désastre artistique presque total.

Malgré toute cette concurrence, Marvel Studios fait mieux que résister… et va même écraser la concurrence !

Dès la Phase 2, les films Marvel vont progressivement perdre toute personnalité propre (à l’exception notable du premier Gardiens de la Galaxie). Ainsi, Kenneth Branagh et son ton Shakespearien quitte définitivement la saga Thor, Iron Man 3 débarque Shane Black et Ant-Man évince le génial Edgar Wright. Tout est lissé, préformaté pour devenir un produit de consommation de masse qui se constitue rapidement une fanbase immense et une popularité au diapason.

Ant-Man (2015) de Peyton Reed

Le public veut rire et se divertir, en avoir plein les yeux (et les oreilles).
C’est du moins ce que pense Kevin Feige et Marvel Studios…et ça marche !
Chaque film Marvel devient un petit événement en soi et avec le rachat par Disney, le Petit Poucet devient un Ogre croulant sous les billets verts.

Une concurrence dans les cordes…

Man of Steel (2013) de Zach Snyder

En face, DC tente de copier Marvel avec la coopération de Warner Bros. Au départ, c’est à Zack Snyder que DC confie la délicate mission de rattraper son retard. Ce choix audacieux (Snyder ayant réalisé peut-être le meilleur film de super-héros au cinéma avec le chef d’oeuvre Watchmen) va vite tourner court. Après un Man Of Steel franchement excellent et bien plus inspiré sur le plan esthétique que la concurrence, DC fait pression sur Snyder pour insérer au forceps les membres de la Justice League dans son Batman vs Superman. Le résultat ? Un film boiteux mais infiniment génial dans le fond qui iconise à merveille ses héros.

Catastrophe pourtant avec Justice LeagueZach Snyder quitte le navire en cours de route, dévasté par la mort de sa fille mais également poussé vers la sortie par des studios Warner qui tentent de copier Marvel après les reproches du public quand au caractère trop sombre des précédentes productions DC.
Justice League sera un échec sur tous les plans, un spectacle grotesque qui montre que Marvel impose une certaine ligne de conduite qui mène à une dédramatisation forcée des aventures.
Point d’orgue de cette stratégie humoristique, le calamiteux Thor 3, sommet d’amusement hollywoodien où les deux héros se tapent dessus avec des gags toutes les 5 secondes tuant dans l’œuf tout début de dramatisme. L’humour et le fun deviennent ici une fin en soi, enlevant toute autre prétention artistique au film.

…Mais la résistance s’organise !

En effet, alors que Marvel Studios met l’accent sur une formule grand public accessible au plus grand nombre au risque de niveler l’ensemble de sa production par le bas, d’autres tentent quelques coups de poker payants.
C’est le cas de la Fox avec son irrévérencieux Deadpool qui, s’il adopte une ligne narrative finalement banale, s’amuse des faiblesses des films Marvel et brise le sacro-saint Quatrième Mur avec un plaisir évident.

Deadpool (2016) de Tim Miller

De son côté, Logan mise sur un univers sombre et désespéré, plus proche d’un The Dark Knight que d’un Doctor Strange.
Enfin, Matthew Vaughn offre une seconde jeunesse aux X-Men avec le fabuleux X-Men First Class avant que Bryan Singer n’enfonce le clou avec X-Men : Days of the Future Past (et surtout avant que celui-ci n’échoue avec son Apocalypse).
Dernier adversaire de Marvel, et certainement le plus inattendu, un certain Night Shyamalan qui prend tout le monde au dépourvu avec Split, premier film de super-vilain qui ouvre la voie à un Shyamalan-Universe.

Split (2017) de Night Shyamalan

La Télévision, nouveau champ de bataille ?

Marvel ne s’arrête pourtant pas au grand écran et collabore avec Netflix pour une fournée de séries prometteuses. Malheureusement, si les deux premières saisons de Daredevil et la première saison de Jessica Jones s’avèrent d’excellentes surprises, le reste tient davantage de la douche froide avec un Iron Fist lamentable, un Luke Cage infiniment lent et un Punisher qui tourne en rond.
La vraie grosse surprise vient pourtant du petit écran puisque c’est la chaîne FX qui vient jouer les trublions avec Legion. Grâce au génial Noah Hawley (Fargo), le spectateur découvre une histoire tortueuse, à la mise en scène époustouflante et aux enjeux toujours plus électrisants. Un joli pied de nez à la stratégie de Feige qui continue de façon grandiose actuellement avec une saison 2 dantesque.

Legion (FX) de Noah Hawley

Comme au cinéma, DC se retrouve rapidement dans les cordes en confiant l’entreprise télévisuelle à la plus mauvaise chaîne publique américaine : la CW. Arrow, The Flash, Supergirl, Legends of Tomorrow…la grande ère de Batman Forever semble resurgir des tréfonds de l’histoire.

“La vraie grosse surprise vient pourtant du petit écran puisque c’est la chaîne FX qui vient jouer les trublions avec Legion

Pourquoi Marvel risque-t-il de tuer le super-héros ?

Simplement parce Marvel uniformise et standardise.
En niant la responsabilité artistique et en accordant son soutien à des faiseurs plutôt qu’à de véritables réalisateurs, Marvel se fourvoie.
Iron Man 3 en est certainement le meilleur exemple. Brillant film de super-héros qui ne respecte pas (du tout) le comics de base et accouche d’une oeuvre à la Shane Black, Iron Man 3 a du style et retrouve une inspiration formelle indéniable. Malheureusement, Black subit les foudres de fanboys traumatisés par l’absence du véritable Mandarin sans se rendre compte que le film incarne le meilleur du super-héros inspiré sur grand écran.

Iron Man 3 (2013) de Shane Black

La même chose se reproduit avec Ant-Man où l’on appelle à la rescousse un Peyton Reed insipide pour venir remettre de l’ordre. Au final, il ne reste que quelques miettes du génie de Wright dans le métrage.
Pour capitaliser sur certains sujets sociétaux, Marvel investi le champ du super-héros noir avec Black Panther et offre un film putassier où le seul argument commercial devient “le premier super-héros noir”. Non seulement la chose est fausse (Blade peut vous remettre rapidement les idées en place) mais en plus elle oublie finalement la qualité intrinsèque du film et de l’intrigue qui, de fait, passe au second plan.
Dans cette course au grand public, les films s’enchaînent et manquent cruellement de vilains emblématiques. Il faut attendre Le Caïd sur le petit écran et Thanos dans Infinity Wars (soit 18 films ! ) pour enfin avoir des propositions convaincantes.
On pourrait penser que les choses s’améliorent…mais ce serait avoir la mémoire courte.
En effet, The Dark Knight avait un méchant autrement plus mythique que l’ensemble des méchants Marvel réunis, sans parler du Spider-Man 2 de Sam Raimi et son sublime Docteur Octopus.
Quelle différence ? Le réalisateur bien sûr.
Difficile de comparer un Jon Watts à un Sam Raimi ou un Christopher Nolan à un Joss Whedon

Avengers : Infinity Wars (2018) d’Anthony et Joe Russo

Marvel, le grand Vilain du cinéma ?

Bien que le jugement puisse sembler sévère, Marvel n’est pas à proprement parler le grand méchant que l’on note ici ou là.
Dans le fond, Kevin Feige et son équipe réalisent tout de même un rêve de gosse : celui de rassembler un nombre invraisemblable de super-héros sur grand écran.
On peut (et on doit) évidemment critiquer l’uniformisation provoqué par le succès de Marvel Studios, mais ce succès a également ses raisons.

Dans le fond, Kevin Feige et son équipe réalisent tout de même un rêve de gosse.

Si Sam Raimi a certainement posé l’une des pierres angulaires de l’iconisation du super-héros au cinéma, Marvel a édifié un monument avec l’initiative Avengers.
Perfectible, parfois désolante, mais qui offre en fin de compte un divertissement honnête avec son dernier opus, Infinity Wars.
Finalement, il ne tient qu’à la concurrence de laisser tuer le super-héros au cinéma.
Marvel, quant à eux, se contentent d’en tirer un univers unique dans l’Histoire du cinéma.
Espérons simplement qu’un jour, nous puissions revoir d‘autres Dark Knight ou Watchmen sur les écrans plutôt qu’un énième Thor ou Doctor Strange.

Watchmen (2009) de Zach Snyder

“C’est une farce. Tout n’est qu’une farce !”

Nicolas Winter

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