Dix livres de fantasy à lire pour ceux qui n’aiment pas ça

L’autre côté du miroir

Nicolas Winter
Published in
11 min readJul 15, 2020

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… et donc, j’ai tenté de lire de la fantasy et, en fait, tu sais quoi, c’est bien de la littérature ! »
Horreur, stupeur, la fantasy n’est pas ce que l’on peut croire.
Des nains, des elfes, des dragons, que nenni !
Parce que dire que l’on n’aime pas la fantasy, c’est parfois (souvent) être éreinté à l’avance par le héros qui se frotte l’épée avec des gobelins avant de s’envoyer la princesse en détresse, voici que l’on vous présente non pas un, non pas deux mais bien dix romans garantis « hors des sentiers » et où la seule magie réside dans la qualité de l’écriture.
On embarque ?

Un Étranger en Olondre | Sofia Samatar

L’une des plus grandes hontes actuelles, c’est elle.
Une honte ? Mais pourquoi diable aurions-nous honte de Sofia Samatar, poète, écrivaine et professeure ?
Parce que Sofia, malgré son incroyable talent et sa gentillesse extraordinaire, Sofia n’est toujours pas disponible en France !!
Jadis traduit par Patrick Dechesne, son premier roman, Un Étranger en Olondre, reste désespérément rare sous nos latitudes.
Et si vous n’aimez pas la fantasy, ce n’est pas grave car son roman tout en poésie et en finesse brille par l’intelligence d’un monde où ce sont les livres — « les vallons » — qui incarnent la plus stupéfiante source de magie.
À la mort de son père, riche cultivateur de poivriers dans une contrée reculée, Jevick prend en charge les affaires familiales. Des responsabilités nouvelles qui vont le conduire à Olondre, dans la cité de Bain, où il ne tarde pas à se retrouver impliqué dans une guerre de religions après avoir été visité par un Ange, sorte de fantôme vénéré par les adorateurs de la déesse Avalei
Pas un elfe, pas un orc là-dedans mais une visite exotique et romantique d’un pays fantasmé à travers une langue rien de moins qu’extraordinaire. Réflexion sur les origines et sur le savoir, Un Étranger en Olondre a décroché la récompense suprême avec le World Fantasy Award.
Bon, et si on le rééditait avec le reste de l’œuvre de Sofia Samatar dans la foulée ?
MISE A JOUR : Ce magnifique roman est désormais réédité par les éditions Argyll et disponible partout ! Profitez-en !

La Saga du Demi-Loup | Chloé Chevalier

Forcément, avec la fantasy, c’est toujours une question de créatures et autres machins incroyables. Forcément.
Dans la saga du Demi-Loup, qui compte quatre tomes (et un petit recueil de nouvelles) en tout, vous allez devoir bien retourner les pierres de Véridienne pour en trouver des trucs magiques. En utilisant un univers moyenâgeux du plus bel effet, Chloé Chevalier imagine surtout le destin d’un tout petit Royaume dans l’ombre d’un grand…et d’une galerie de personnages tous plus passionnants les uns que les autres. Vous y suivrez des reines et des princes en devenir et leurs suivantes, des empires et des tragédies, des joies et des amours interdits.
Toujours à hauteur humaine et jamais dans les fantaisies d’ailleurs, Chloé Chevalier construit quelque chose qui se rapproche plus des Rois Maudits version féminine que d’un Trône de Fer version dragons et marcheurs blancs.
Subtil et émouvant, passionnant et bourré jusqu’à la gueule de destins inoubliables, on vous met au défi d’y voir à la fantasy-cliché que vous pensiez trouver en ouvrant la page du Demi-Loup !
(Et puis ça tombe bien parce que, contrairement à d’autres, Chloé a déjà bouclé sa saga !)

Kalpa Imperial | Angelica Gorodischer

On change de continent maintenant mais pas d’exigence qualitative.
Chez La Volte, il n’y a pas qu’Alain Damasio… il y a aussi Angelica Gorodischer !
Cette écrivaine argentine admirée par une certaine Ursula K. Le Guin (excusez du peu) a mis trente-trois ans à nous parvenir en France. Trente-trois ans !
Mais il faut dire que ça valait le coup puisqu’elle nous offre la vie et la mort d’une cité-empire imaginaire aux mille visages et aux mille âmes.
Kalpa Impérial raconte l’Empire le plus vieux, le plus immense, le plus incroyable que le monde ait porté. À travers onze histoires rapportées par un conteur de contes simplement nommé le narrateur, Angélica Gorodischer construit non seulement un monde à la complexité remarquable, mais aussi une galerie de personnages apparemment sans fin.
Ouvrage exigeant, autant qu’un grand vin pour un palais encore novice, c’est aussi un roman plein de sous-textes politiques sur l’histoire mouvementée de l’Argentine.
Ici, point de prophétie ou d’anneaux magiques, mais des hommes, des empires, des passeurs de légendes et puis ce style, cette plume, incroyable, apoplexiante, tétanisante.
Plus littéraire que la fantasy, ça existe déjà ?

Un Long Voyage | Claire Duvivier

Non, Claire Duvivier n’est pas double. Mais on la trouve (souvent) aux côtés d’Estelle Durand, sa complice derrière les (excellentes) éditions Asphalte qu’elles ont fondé ensemble.
Donc, puisque l’on parlait de fantasy « littéraire », voilà que débarque Claire en cette année 2020 chez un éditeur insolemment génial, Aux Forges de Vulcain.
Toujours sans un seul nain à l’horizon mais avec une subtilité magique dans le tas, Un Long Voyage raconte l’histoire de Malvine Zélina de Félarasie, une figure importante du monde créé par Claire Duvivier et qui nous est rapporté par un homme qui, pour sa part, n’a jamais eu les honneurs de la grande Histoire.
Un Long Voyage s’ouvre sur un tabou. Celui qui entoure Liesse, petit garçon du village de Roh-henua, l’une des îles de l’Archipel, dont le père décédé laisse la charge écrasante de trois enfants à une mère désormais seule. Les sages du peuplement décide alors que le cadet de la famille sera retiré de la garde de sa mère pour alléger son fardea. C’est ainsi que Liesse est confié au comptoir impérial de Tanitamo, capitale de l’Archipel situé sur l’île de Tan-henua.
Avant de rencontrer Malvine et de vivre son Long Voyage.
Difficile de décrire la justesse d’écriture et la grandeur d’âme (humaine) du roman de Claire, évitant tous les clichés du genre avec une maestria quasi-divine et qui met en lumière le petit et l’insignifiante.
C’est infiniment beau, infiniment grand. Une vrai (putain) de découverte !

L’épouse de Bois | Terri Windling

Marre de la fantasy à l’européenne ?
Bon, alors suivez le guide !
Non seulement Les Moutons Électriques ont une flopée d’excellents auteurs/autrices de fantasy chez eux, mais ils se sont aussi payés le luxe de traduire la fabuleuse Terri Windling en langue française.
Dessinatrice, peintre, essayiste, directrice littéraire…et romancière !
Rien que ça.
Son seul roman à l’heure actuelle ? Le superbe L’Épouse de Bois, un tantinet passé sous les radars à l’époque et qui, pourtant, entraîne le lecteur dans une fantasy moderne et envoûtante au cœur du désert de l’Arizona !
Près de la ville de Tucson, le poète David Cooper est retrouvé noyé dans le lit d’une rivière asséchée. Ses dernières volontés font mention de sa correspondante, Maggie Black, poète et journaliste. À celle-ci, il lègue sa maison dans le désert et tous ses travaux. C’est l’occasion rêvée pour Maggie d’en apprendre plus sur celui qu’elle considère comme son mentor.
Au programme, point d’enquête policière barbante mais une découverte fabuleuse d’un pays où l’humain est un intrus et où les pierres murmurent et chuchotent au grès du vent.
Des Mages, des Truqueurs ou des Change-formes pour sortir du bestiaire habituel et tant d’autres créatures étranges mais envoûtantes qui mêlent poésie et raffinement. C’est exotique, inventif, unique.
Si on (re)découvrait tout ça ?

Dernières nouvelles d’Œsthrénie | Anne-Sylvie Salzman

En France, on a beaucoup de talent(s) question fantasy.
Mais pas forcément chez les écrivaines les plus en vues ou les plus vendues.
La preuve avec Anne-Sylvie Salzman, traductrice et romancière, qui a offert un magnifique ouvrage Kalparien chez les excellentes éditions Dystopia.
En imaginant un pays d’Europe Centrale…qui n’existe pas… Anne-Sylvie construit son mini-Empire à elle et s’invente une civilisation racontée par une jeune fille de bonne famille.
Quelque part entre l’Autriche et l’Empire Russe, où donc est passé cette satanée Œsthrénie ?
Nul part et partout serait-on tenté de dire tant Anne-Sylvie force le respect du lecteur par la densité et la précision acérée de son écriture qui balkanise tout, de l’histoire aux personnages en passant par la contrée elle-même.
Les amoureux d’histoire, de philosophies, de religions et de politiques y trouveront une toute nouvelle contrée à explorer en plus de la découverte d’une plume exigeante et inspirante.
Après tout, inventer une nation entière, ça mérite le coup d’œil, même sans dragons, non ? Ne ratez pas les Dernières nouvelles d’Œsthrénie !

Vita Nostra | Marina et Sergueï Diatchenko

Après l’Arizona et les Balkans, voici un nouvel horizon pour la fantasy : l’Ukraine !
Celle-ci, on va la faire courte.
Vita Nostra est une bombe, une énorme bombe atomique qui emporte tout sur son passage et c’est tout. Voilà. Bonne soirée. Au revoir.
Bon, pour les sceptiques, Vita Nostra c’est l’histoire extraordinaire d’Alexandra Samokhina surnommée Sacha, une jeune fille russe de seize ans qui se réjouit tout particulièrement de ses vacances dans une petite ville balnéaire avec sa mère.
En empruntant la rue « Qui-mène-à-la-mer », Sacha s’aperçoit qu’un homme vêtu de noir et retranché derrière des lunettes toutes aussi noires l’observe avec insistance. Apeurée, elle cherche à l’éviter mais celui-ci s’entête.
Craignant pour sa vie, elle finit par le confronter et celui-ci lui formule une étrange demande : elle devra se rendre tous les jours à quatre heures du matin à la plage, se dévêtir complètement et nager jusqu’à la bouée de signalisation avant de revenir. Perplexe, Sacha refuse d’abord mais Farit Kojennikov s’entête. Si elle ne fait pas ce que lui demande l’inconnu, des conséquences fâcheuses pourraient bien survenir…
On vous passe les autres défis étranges de Farit (vous les découvrirez vous-même) et on vous signale juste que Sacha va faire sa rentrée des classes dans une école très particulière pour apprendre des choses…très particulières.
Non, ce n’est pas Harry Potter et non, ce n’est pas, vraiment, de la magie.
Vita Nostra explose les canons du genre et brise tous les murs narratifs pour une aventure hautement littéraire avec supplément de cruauté et de malice en prime. Un chef d’oeuvre, quoi, un putain de grand chef d’oeuvre.

L’Ours et le Rossignol | Katherine Arden

Vous aimez l’hiver russe ? Ça tombe bien, nous aussi.
Continuons avec une balade au temps des knèzes et de la Russie médiévale du XIVème siècle avec la trilogie de Katherine Arden.
L’Ours et le Rossignol oublie la fantasy traditionnelle pour les mythes et légendes slaves.
Vassia n’est pas une fille comme les autres et renferme un pouvoir singulier qui en font un enjeu majeur entre deux puissantes entités surnaturelles : Morozko, démon du gel et seigneur de la Mort, et son frère maudit, L’Ours borgne Medved.
Oui, vous ne connaissez certainement pas ces démons-là…et encore moins les autres créatures qui hantent L’Ours et le Rossignol.
Pourtant, le charme opère quasi-instantanément dans cet univers atypique où croyances populaires et coutumes se mêlent.
Réflexion sur la confrontation entre chrétienté et mythes païens, l’histoire de Vassia et du monde qui l’entoure interroge sur le rapport à la foi et sur les traditions.
C’est parfaitement passionnant et jamais attendu, enfilez votre doudoune, vous risquez de prendre froid !

L’Année de notre guerre | Steph Swainston

Après Sofia Samatar, une autre injustice question traduction française avec… Steph Swainston !
Malgré la publication Outre-Manche de cinq volumes dans sa saga des Livres du Château, la britannique reste désespérément inconnue en France.
Qu’à cela ne tienne, parlons quand même de L’Année de notre Guerre, courageusement traduit par les éditions Bragelonne et qui nous emmène dans un univers de fantasy où règne un cercle d’Immortels au service d’un Empereur. Parmi eux, Jant, le Messager, seul capable de voler parmi les Dieux. En voulant aider les humains contre les Insectes, l’ennemi d’au-delà du Mur, Jant doit jouer de finesse pour esquiver les coups bas de ses pairs.
Notre désabusé et hautement ironique Jant est aussi rien de moins qu’un junkie accroc à une substance qui lui ouvre les portes d’un monde parallèle.
Un ange presque-déchu ou un démon qui s’ignore, qui sait ?
Même si votre détecteur de clichés à fantasy croit avoir détecté un Mur à la Martin, n’ayez crainte puisque c’est bel et bien Jant qui fait l’attrait de ce surprenant roman qui lorgne davantage vers une mythologie greco-romaine à la sauce fantasy que vers les Marcheurs Blancs du papy George.
Un plaisir de lecture dont on attend la suite… un jour…

Qui a peur de la Mort ? | Nnedi Okorafor

Finissons par briser définitivement les clichés avec la grande et géniale Nnedi Okorafor.
Si Qui a peur de la Mort ? est encore en développement chez HBO, il est déjà bel et bien réédité en France par les éditions ActuSF !
Direction l’Afrique.
Tout commence par une mort.
Celui d’un père.
Et les larmes de sa fille, Onyesonwu.
Onyesonwa est une ewu. Une personne née d’un viol de guerre.
Dans une Afrique d’après l’apocalypse, la guerre n’en finit pas entre les deux ethnies majoritaires. D’un côté les Nurus, maîtres et tortionnaires, de l’autre les Okekes, condamnés à naître inférieurs comme l’affirme le Grand Livre d’Ani. La mère d’Onyesonwu était Okeke lorsque les Nurus ont attaqué son village et qu’ils y ont sauvagement violé les femmes qui y vivaient. Errant dans le désert, Najiba se refuse à mourir et finit par donner naissance à une fille ewu qu’elle nomme Onyesonwu, Qui a peur de la mort ?. En grandissant, celle-ci comprend qu’elle possède des pouvoirs hors du commun et que son destin sera de sauver son peuple de la barbarie. Une sorcière, une eshu, une ewu.
Nnedi Okorafor nous parle de l’horreur de la guerre et de la tradition mais sait aussi tirer les plus belles choses de la culture Africaine. Elle donne naissance à Onyesonwu, une figure féminine magnifique, et à un univers singulier, qui nous emmène loin, très loin, dans le pays du sucre de cactus et des mascarades.
Une histoire nécessaire et sublime mais… Qui a peur désormais de la fantasy ?

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Image de couverture : © Justin Rowe

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